(28 novembre 1934 - 2 avril 2016)
Le saxophoniste ténor argentin Leandro « Gato » Barbieri est né à Rosario, capitale des plaines à blé argentines, le 28 novembre 1934. Fils d'un charpentier, violoniste amateur, il découvre le ténor auprès d'un oncle saxophoniste puis le jazz en écoutant Charlie Parker en 1944. Il débute sur le requinto (petite clarinette). Cinq ans de cours particuliers de clarinette à Buenos Aires, mais il aborde également le saxophone alto et la composition.
Il rejoint un temps en 1953 l’orchestre de Lalo Schifrin, autre compatriote qui deviendra aussi un compositeur renommé de musique de films culte comme Bullit ou de séries comme Mannix et choisit le ténor en 1955. En 1962, il quitte l'Argentine pour l'Europe, et tout d'abord l'Italie d'où sa femme Michelle est originaire. Il enregistre avec des musiciens italiens et, en 1965, rencontre Don Cherry à Paris. Il enregistre à la fin de l'année le disque Complete Communion où l'esprit free jazz du trompettiste domine, après avoir participé au festival de Monterey dans l'orchestre du saxophoniste John Handy. L'année suivante, il joue au Cafe Montmartre à Copenhague avec Don Cherry. De larges extraits de ces concerts ont été publiés chez ESP.
Entretemps, à Milan, il participe aux Nuovi Sentimenti de Giorgio
Gaslini.
En 1967, il enregistre ses deux premiers disques sous son nom
("In search of the mystery" et « "Obsession" »). Le public
international le découvre alors que son jeu, qui s'inscrit alors dans le courant dominant free Jazz, est encore très
influencé par les sonorités puissantes et déchirées de John
Coltrane et Pharoah Sanders.
Il collabore avec Carla Bley pour
« Escalator over the hill » et « Tropic
appetites », et
avec le Liberation Orchestra de Charlie Haden, Gary Burton en 1971 pour la suite « A genuine Tong Funeral »
écrite pour Gary Burton par Carla Bley
Il opère au tournant des années 70 une authentique révolution
esthétique en recherchant ses racines latino-américaines.
Le lyrisme flamboyant de son phrasé accidenté, sa sonorité rauque,
mouvementée, reconnaissable entre mille, cherche la fusion entre free
jazz et
traditions populaires.
Mais peu à peu sa carrière prend un tour différent. Son sens très personnel de la mélodie, sa sensibilité et sa chaude sonorité ne se retrouvent pas vraiment dans l'abstraction de certains courants du free jazz. Il revient petit à petit vers les rythmes latins. En 1968 il enregistre en duo avec le Sud-Africain Dollar Brand qui n'a pas encore rejeté le nom ni adopté l'islam et le patronyme d'Abdullah Ibrahim. Ces duos impriment à sa musique un tournant décisif en direction de ses origines sud-américaines et, plus largement, des musiques du tiers monde.
Il signe alors un contrat avec RCA qui marque son ressourcement dans une Amérique latine magnifiée, recréée à travers son expérience du jazz vécu dans le cadre du jazz du tournant des années soixante. Il développe alors un potentiel expressif et mélodique jusque-là inédit, et une puissance de récit très originale. Le tiers-monde (The Third World sera un de ses titres) est alors engagé dans des luttes de libération, et les disques du saxophoniste s'intègrent parfaitement dans cet engagement romantique que la mort de Che Guevara exacerbe; comme la musique Afro-Américaine des Etats-Unis s'est intégrée à la lutte pour les Droits civiques aux Etats-Unis. En deux ans, Gato Barbieri enregistre six disques chez RCA qui constituent la colonne vertébrale de son œuvre (Cancion, The Third World, Fenix, Under Fire, El Pampero, Bolivia) et qui vont trouver des prolongements dans les années soixante-dix chez Impulse! Fenix et Under Fire comptent parmi les joyaux de cette période entre
jazz et tiers-monde.
En 1972, Bernardo Bertolucci lui commande la musique du Dernier tango à Paris, un film tragique avec l'inoubliable Marlon Brando. Le parfum de scandale qui entoure le film et la parfaite adéquation de la musique au propos du film propulsent Gato Barbieri au rang de star. Gato Barbieri avait dès 1970 goûté à la musique de film avec Pier Paolo Pasolini pour Appunti per un'Orestiade africana (Carnet de notes pour une Orestie africaine).
À partir de 1973 il accentue la référence à ses
racines en s'entourant de musiciens sud-américains. Les quatre disques publiés chez Impulse! (« Chapter one » à « Chapter four ») confirment la synthèse réussie du jazz avec ses racines sud-américaines et marquent l'apogée de l'œuvre artistique de Gato Barbieri.
La fin du contrat avec Impulse! coïncide avec le déclin du romantisme révolutionnaire de l'Amérique latine et le désenchantement d'une société de consommation de masse. Gato Barbieri est devenu une star, et il signe alors avec le label A&M, ramenant sa musique dans une veine commerciale qui signe sa réussite économique mais aussi la fin de son œuvre créative.
En 1976 l'album Caliente! remporte un immense succès, avec la reprise du thème «Europa» de Carlos Santana qui sert de générique à une célèbre émission de radio.
Sa production pour A & M devient de plus en plus commerciale, très marquée par le pop-jazz. En 1981, il revient à une musique plus influencée par le jazz-rock et l’Amérique du Sud avec le live "Gato ... Para los Amigos", sous la houlette du producteur Teo Macero.
Petit à petit, la passion semble le quitter. Il reste inactif durant la
première moitié
des années 90 suite à de graves ennuis de santé et, lorsque son épouse Michelle décède, il cesse d'enregistrer et de jouer en public.
En 1997, il tente un retour sur le devant de la scène
avec le disque
"Que Pasa" pour Columbia et sa prestation remarquée
au Playboy Jazz
Festival de Los Angeles. Il enregistre encore cinq disques, mais l'engouement du public n'est plus là, et le succès de Gato Barbieri des années 1970 est déjà loin.
Son dernier disque à ce jour, The Shadow of the Cat, publié en 2002, permet de retrouver sa sonorité intacte.
Ses dernières années le voient atteint par la cécité suite à une maladie. Il décède d'une pneumonie le samedi 2 avril, à New York, où il vivait depuis une cinquantaine d'années, à l’âge de 83 ans. .
-> Voir les articles qui lui ont été consacrés à cette occasion.
Tout à la fois styliste du timbre, qu'il malmène à outrance, et lyrique tenté par l'expressivité du cri et l'authenticité de la mélodie, hésitant entre la véhémence et le plaisir, l'illisibilité et la limpidité, il a su fonder son propre équilibre sur un enracinement dans une tradition populaire. Tout comme Dollar Brand ou Chris McGregor, il a montré l'histoire de la musique noire américaine en exemple aux musiques populaires du tiers-monde...
Musicien de jazz, Gato Barbieri se réclamait de l’influence de John Coltrane qu’il entendit vit sur scène pour la première fois en 1957 – dans le quintet fondé par Miles Davis - lors d’un concert en Uruguay. Il ne se définissait pas comme un musicien argentin mais international et fera d’ailleurs l’essentiel de sa carrière à New York où il s’était installé, tout en nourrissant sa musique de couleurs latines via le folklore ou encore le tango.
Premier disque enregistré sous son nom, en 1967, à New York, par le grand saxophoniste ténor argentin, In Search of the mystery le montre déjà en possession de tout son matériel musical. Il marque une période de transition pour Gato, puisqu’il a été enregistré après sa rencontre avec Pharoah Sanders (qui va l’influencer profondément), et avant celle, décisive, du cinéaste Glauber Rocha.. Pour l’instant, Barbieri se cherche encore dans les méandres de l’avant-garde new-yorkaise.
« Obsession »
est un document
inédit En 1967, Gato possède depuis quelques années
déjà un langage propre : il l'a prouvé, quelques temps plus
tôt, en illustrant de façon magistrale les conceptions si personnelles
de
Don Cherry.
Encore sous l’influence de Coltrane, il est encore incapable
d'organiser son discours pour l'illustration d'un univers personnel.
Dans Michelle, la plus latine de ces trois plages, on
sent poindre par endroits le
Barbieri des jours heureux et des réussites exemplaires.
Un disque de Dollar Brand
qui serait le disque-clé
de Barbieri, tant il nous apporte une explication juste de l’attitude
du
saxophoniste argentin. Ce disque marque la transition entre
« Complete
Communion » et « The Third World ».
Free Jazman impliqué dans le mouvement new-yorkais, collaborateur actif de grands noms de la new thing, Barbieri découvre ici, au contact d’un Dollar Brand à l’art déjà achevé et déterminé, la nécessité d’un cheminement parallèle à celui qu’il a pour l’instant emprunté dans la musique afro-américaine.
Celle-ci lui a fourni les moyens et le terrain d’expression ; Dollar Brand, lui renvoyant sa propre image, pousse Barbieri à une prise de conscience. Tous les éléments de son art futur se trouvent ici condensés avec une authenticité naturelle surprenante.
Dans The Aloe And The Wild Rose, Barbieri a tout dit, le reste ne sera que développemement à l’infini des formules mises au point dans ce disque. Un album-manifeste.
“ La beauté sera convulsive ou ne sera pas ”, voilà ce qui vient à l’esprit à l’écoute de ce disque magnifique et INDISPENSABLE.
Une chanson de
berger argentin (Cancion del llamero), un tango d'Astor
Piazzolla, un Zelao, une composition de Barbieri, Antonio Das
Mortes, en hommage au
cinéaste Glauber Rocha, et enfin un extrait des Bachianas
Brasileiras de
Villa-Lobos suivi par un chant africain de Dollar Brand ; le
tiers-monde est bien au
centre de ce CD.
Première fusion, chez le saxophoniste, entre le jazz d'avant-garde côtoyé en Europe et à New-York et les musiques de l'Amérique du Sud et d'Afrique. Loin de toute perfection formelle, la musique devient progressivement hurlement, entre désespoir et jubilation. Oreilles délicates s'abstenir. Mais au-delà de la rugosité, que de passion et d’ivresse non encore récupérées !
Il faut noter également la qualité des accompagnateurs : le batteur Beaver Harris, compagnon d'Archie Shepp et Pharoah Sanders, Charlie Haden, le tromboniste Roswell Rudd (écouter son remarquable contrechant sur Antonio das Mortes) et le pianiste Lonnie Liston Smith.
Sans réduire ce disque à son contexte politico-historique, il faut se remémorer le contexte de l’époque pour bien saisir l'originalité de Gato Barbieri. Pendant que les jazzmen noirs américains (John Coltrane, Yusef Lateef, Pharoah Sanders, etc.), par engagement politique ou ouverture d'esprit, ont enrichi leur syntaxe au contact d'autres univers, africain, moyen et extrême-oriental, la culture sud-américaine s'est métamorphosée grâce aux compositions lyriques de Gato Barbieri, sous les coups de boutoir de ses improvisations sauvages et rauques, de son timbre éraillé et paroxystique à nul autre pareil (le seul auquel on puisse le comparer est sans doute celui de Pharoah Sanders).
L'affirmation de
son identité d'homme du Tiers-monde à travers le dur
apprentissage du jazzman éclate dans Fenix,
enregistré en 1971 en
compagnie de musiciens américains du Nord et du Sud réunis avec
bonheur,
notamment le Brésilien Nana Vasconcelos et les New-Yorkais Ron Carter
et Lonnie
Liston Smith.
Disque charnière. avant que Barbieri ne s'enfonce plus
profondément dans sa latinité.
Puissance du tempo, du drive, de la charge émotionnelle d'un ténor au lyrisme incandescent. Vertigineuse accélération rythmique lancée à brûle-pourpoint sur des envolées déchirantes. Compositions originales et arrangements de chansons traditionnelles serviront dorénavant de tremplin à une écriture lucide et rougeoyante, toujours changeante, sensible aux micro-variations du feeling.
Une "merveilleuse
orgie sonore", pour reprendre les
termes de Laurent Goddet, auteur des notes de pochette de la première
édition française de ce disque, au milieu des années 70 : à
lire les témoignages de ceux qui en ce 18 juin 1971 assistèrent, jusqu’aux petites
heures (4h du matin, exactement), à ce concert au festival de Montreux
71 dans le
cadre d’une soirée spéciale consacrée au label Flying Dutchman
(à laquelle participa le big band d’Oliver Nelson),
l’événement fut marquant.
Et l’on est tout à fait disposés à les croire, vu le feu qui
semble jaillir de ces quatre morceaux saisissants dans lesquels Gato
Barbieri pousse son
jeu à un point de beauté et de force inouïs.
La magie de ce concert est d’autant plus remarquable qu’elle doit, pour beaucoup, au hasard et à une heureuse conjonction d’individualités : seuls le pianiste Lonnie Liston Smith et Nana Vasconcelos ayant suivi Barbieri dans son déplacement européen, celui-ci dut faire appel à Bernard Purdie (batterie) et Chuck Rainey (basse électrique), arrivés à Montreux avec la chanteuse Aretha Franklin. La manière dont les musiciens abordent les compositions de Barbieri, qu'ils découvrent pour ainsi dire pour la première fois, est incroyable ; la cohérence et l’homogénéité de cette formation inédite ne font aucun doute, et permettent au saxophoniste argentin, sur des rythmiques aux frontières du jazz funk, de littéralement déchirer la nuit. Une véritable fête dont on sort abasourdi.
D’abord une ballade,
sur un
thème répétitif, El Pampero, qui évoque les longues
chevauchées dans la pampa argentine. Une introduction qui monte, qui
monte... puis
Gato, soutenu par la basse électrique et les percussions, s'envole,
dérape,
hurle magnifiquement. Une énergie incroyable.
Puis, sur une suite de
compositions
écrites par des compatriotes, il évoque son pays. Un thème,
d’abord (Mi Buenos Aires Querido), évoquant les
divers aspects de sa
ville, Buenos Aires. Déjà apparaissent ici certains éléments
de la musique populaire d’Amérique du Sud. Dans Brasil,
ils forment
toute le trame sonore sur laquelle Gato improvise. La moitié des
musiciens sont
des percussionnistes, assurant un roulement continu qui nous rappelle
que
l’héritage africain est aussi vivant dans le continent du Sud que dans
celui
du Nord. Et pour finir, un El Arriero bourré
d'énergie.
Une musique de fête gorgée de
félicité. .
Hélas seules quarante des généreuses cent vingt minutes du concert donné ce soir-là ont réussi à trouver leur place sur support audio. Espérons qu'un jour les bandes originales soient exhumées et rééditées... En tout cas album indispensable.
Un disque confidentiel (pirate ?) déniché par hasard à Milan, d'un concert de Gato donné en Argentine en 1971.
Pour accompagner la descente aux enfers de Marlon Brando dans le sulfureux Ultimo Tango a Parigi de Bernardo Bertolucci, Gato Barbieri a imaginé un
jazz orchestral fortement teinté de tango qui déplaira encore à coup
sûr aux puristes. Difficile pourtant de ne pas craquer en écoutant les
cordes bouleversantes...
Le saxophoniste traversait
alors sa
période la plus faste, celle de "Bolivia", dont on retrouve ici les
éclairs
fulgurants, les arrangements et les mosaïques de percussions, chants et
cuivres.
Une réussite exemplaire.
Réédition très soignée, agrémentée
d'inédits, et livret (très riche) se dépliant en affiche du
film.
El Parana
est une composition de Gato Barbieri. Stanley Clarke très en
valeur,
asseoit un tempo majestueux, tandis que le guitariste surgit ça et là
en
phrases brèves. Gato joue avec un lyrisme passionné et quelques cris de
colère. Le pianiste a un jeu percutant très efficace et original.
Yo Le Canto A La Luna est une composition du grand
guitariste et poète argentin Atahualpa Yupanqui. C'est une sorte de
lamento imprégné de cette nostalgie si particulière à toute la musique de
l’Amérique du Sud.
Stanley Clarke y est toujours aussi impérial.
Gato, qui joue avec un cœur admirable, chante aussi avec un feeling
intense. Il faut
plusieurs écoutes pour réaliser tout ce que les percussionnistes y
apportent d’invention et d'ingéniosité.
Antonico est dû à lsmael Silva; Abercrombie y joue de la
guitare
« classique » d'une manière typiquement
« latine ». Gato fait véritablement chanter son
saxophone et
renforce l’impression de lyrisme par un re-recording trés sobre.
Maria Domingas de Jorge Ben commence comme une
fiesta brésilienne. Puis
Gato joue un solo tres méditatif, très intériorisé, introduit
et accompagné par les riches arpéges de la guitare. Abercrombie joue
alors
un rythme typiquement brésilien, tout l’orchestre rentre avec fougue et
le
pianiste se déchaîne. Puis Gato joue avec une fureur concentrée, les
percussions le portent, avec de véritables éclairs ici et là par
Lonnie Liston Smith ; le tout s'achève par des cris qui s'espacent peu
à
peu dans le lointain.
El Sertao commence d’une façon particuliérement âpre
et
dramatique par tout l’orchestre, puis le saxophoniste développe encore
le
climat pathétique de la composition, psalmodiant sur son instrument un
peu
à la façon des flamenquistes. Lonnie Liston Smith est superbe au piano
électrique. Gato rentre à nouveau avec intensité et le tout
s'achève comme à regret, comme s’il y avait encore tant à dire
sur l'âpreté, sur la misère du Sertao.
Pour moi, un des meilleurs disques de Gato Barbieri, en pleine
possession de ses moyens,
conciliant lyrisme et autorité, force et clarté.
Certains critiques ont néanmoins écrit qu’il "se répètait
jusqu’à l’exaspération"…
Dire de la musique de Barbieri qu'elle est accrocheuse, ou même
vulgaire, c'est faire un énorme contresens sur son mode de fonctionnement, c'est voir
des concessions là ou il n'y a qu'authenticité d'une recherche
passionnément vécue. Gato veut retrouver les voies qui mènent
à une expression authentiquement populaire :il joue, simplement, sur le
chemin qu'il a choisi.
Dans ce disque c’est une partie de l’élite des drummers et percussionnistes que l’on entend : Roy Haynes, Airto Moreira, James M’Tume (fils du saxophoniste Jimmy Heath), Moulay Ali Hafid. Un contrebassiste et un guitariste parmi les meilleurs de l’époque : Stanley Clarke et John Abercrombie,. Il y a aussi Lonnie Liston Smith, un des plus brillants, un des plus subtils pianistes de sa génération.
Enregistré à la même époque que Under Fire et avec les mêmes musiciens, Bolivia est peut-être légèrement moins bon, malgré de merveilleux moments, notamment Michellina ou Merceditas
Le dernier disque de Gato pour Flying Dutchman. Il change une nouvelle fois de line-up ; ce sera la première fois qu'on pourra l'entendre sans l'apport souterrain mais considérable de Lonnie Liston Smith. Il s'entoure cette fois de l'excellent pianiste George Dalto, du guitariste Paul Metzke, du contrebassiste Ron Carter et du batteur Pretty Purdie.
On retrouve les mêmes procédés narratifs et le jeu toujours aussi incisif du saxophoniste, dans un contexte nettement plus jazz.
Ici Gato prend des risques. Choisir "Yesterdays" dont la version de Coleman Hawkins est LA version de référence, au point que personne d'autre n'osa y toucher depuis. Il propose également ici une interprétation toute personnelle de "Village Blues", rebaptisée "A John Coltrane Blues" pour l'occasion. "Marnie" et "Cariñoso" reviennent au style de "Bolivia", .
Après le choc créé
par "The Third World" et "Fenix", après la
fougue torrentielle d'"El Pampero" et la luxuriance de "Bolivia" et
"Under Fire", force
est de reconnaître que ce disque est un peu léger, témoignant
d’un certain essouflement de la formule.
L'Argentin trouvera très vite le moyen de sortir de l'impasse avec le
sublime
"Latin America Chapter One", aux couleurs plus authentiques. Ici Gato
ne nous apporte
rien de neuf sur lui-même qu'il ne nous ait déjà (mieux)
exposé.
Le point d'intérêt du disque est finalement le jeu lumineux de Paul Metzke à la guitare.
Ce disque, de même que celui paru chez Planet Jazz, reprend des morceaux déjà parus, à l’exception de El Gato d’Oliver Nelson, où Gato s’exprime avec la force qu’on lui connaît.
Ce morceau justifie à lui seul l'acquisition du disque !
Si un disque comme Fenix
marquait
une rupture, là il ne s'agit que de la continuation d'un projet clair,
l'écriture d'un nouveau chapitre de ce chant d'amour à l'Amérique
Latine.
On sent à travers la plénitude du son de Barbieri au sax, ce refus de
sa
mise en avant au profit d'une musique de groupe, que l'ex-free-jazzman
a trouvé
une joie de jouer fondamentale.
Son saxophone ténor se fait de plus en plus langoureux, chant lyrique
hérité du tango sur une assise rythmique de samba, foisonnement de
percussions, frénésie qui appelle inévitablement la danse.
Le
son du saxophone à la sonorité chaude chavire, délire,
s'enflamme, voix qui improvise un hymne à cette fête où fusent les
cris, s'insinue une flute, apparaît soudain une guitare rapidement
submergée
par l'etuve des percussions.
Entouré d’une importante formation de musiciens argentins, Barbieri est
au
top de sa forme tout au long de cette session torride, plus
particulièrement sur
les thèmes "Encuentros" et "India".
Une mention particulère
au dernier morceau, "To be continued", où Gato
présente un à un
et successivement tous les instruments composant une école de samba,
avant que son
saxo ne pousse son cri qui lance "Encontros".
Enregistré live à Buenos Aires, Rio de Janeiro et Los Angeles, le deuxième chapitre démarre là où finissait le premier :
avec Encontros, suite de To be continued.
Le timbre du ténor de Gato
a une force et une charge émotionnelle indescriptible, mélange de
désespoir et de rébellion. La couleur, la danse, le rythme, la chaleur
de
la musique sud-américaine sont constamment présents dans tous les
morceaux.
Impulse a récemment réédité les chapters 1 et 2,
remixés et augmentés d'inédits. On trouve notamment la version
complète d'Encontros, publié dans un premier temps
en pièces
détachées.
Disque évidemment indispensable, même si, avec le recul,
malgré le foisonnement rythmique - ou à cause de lui - le jeu de Gato
Barbieri semble un peu au bout du rouleau. Il n'y a plus beaucoup d'inventivité
mélodique ou harmonique dans son jeu, et les phrases fébriles sont souvent
réemployées.
Paradoxalement, cette réédition augmentée
fait ressortir les faiblesses - toutes relatives - de ces
enregistrements.
Après avoir enregistré “ Chapter One :
America ” à Rio De Janeiro et chez lui, à
Buenos-Aires,
“ Chapter Two: Hasta Siempre ” en
Amérique du Sud et
à Los Angeles, Gato Barbieri retrouve New-York.
La musique produite dans le présent volume représente une nouvelle
expérience pour le saxophoniste : la rencontre avec Chico
O'Farrill.
Personnellement, je ne suis pas emballé…
Le début de la pente douce qui conduit tranquillement de la nouveauté
à la facilité ? Seul El sublime sauve la
mise.
Entouré d'un petit ensemble dans lequel on retrouve le bassiste Ron Carter, un concert de Gato à New-York en février 1975.
Quel choc ! Je dois avouer qu’à la
première
écoute de ce disque, j’étais catastrophé. Très
commercial, en rupture totale avec les disques précédents !
Et
puis,
on se laisse prendre. Prenez le premier morceau, Fireflies
: des cordes
sirupeuses, un tapis de guitares électriques, mais petit à petit on
retrouve le son de Gato, avec ses hurlements sur la fin. Ni du jazz, ni
de la musique
sud-américaine, plutôt une sorte de pop, mais quel son de
saxo ! Et
quel plaisir d’entendre ainsi le Europa de
Santana !
Gato Barbieri a pour lui de s'être créé un style si personnel qu’il peut faire un disque jazzy-rocky-funky sans (trop) tomber dans les travers du genre...
A&M 64 710 - LC 0485
Alors là… je ne marche plus !
Euphoria ? Hum !
Il n'est pas facile de survivre à sa légende…
Trois disques non indispensables...
Une compilation des precedents.
Oui, qué pasa ? Il semble bien loin, le temps béni de "Bolivia"
ou de la musique du "Dernier tango à Paris", tour à
tour charmeurs, ensorcelés, enfiévrés !...
Ce nouvel album est uniforme et monotone, le saxophone alangui se
promène sur une trame parfaitement formatée FM. On peut se demander ce qu'il reste du
Gato que l'on a aimé ? Le lyrisme peut-être.
Pour le reste, audace,
authenticité, véhémence ont disparu au profit d'une démarche
résolument commerciale et lisse. Le chat a rogné ses griffes….
Est-ce la nostalgie qui nous tient ? A l’écoute de The Shadow of the Cat, on retrouve par instants le Gato qu’on a tant aimé…
Ambiances contrastées de “El Chico”, joli “Last Kiss,” avec la guitare acoustique de Peter White…
Un disque qui se laisse écouter, sans plus.
On peut voir Gato dans un DVD paru récemment, filmé le 3 juillet 1984 lors d'un concert au Festival de jazz de Montréal.
Ce n'est plus le flamboyant Gato des années 60-70, mais ce concert se laisse regarder...
A retenir aussi (surtout !) les collaborations de Gato avec Carla Bley, à découvrir sur plusieurs disques :
La musique du film «Le dernier tango à Paris», c’était lui. On a appris la disparition samedi 2 avril, à l’âge de 83 ans, du musicien et compositeur argentin Leandro «Gato» Barbieri. Il est décédé à New York, où il vivait depuis une cinquantaine d'années, d'une pneumonie.
Musicien prolifique et touche à tout, Gato Barbieri avait à son actif une trentaine de disques et un Grammy, récompense obtenue pour le film de Bernardo Bertolucci, Le dernier tango à Paris (1972) dont il avait écrit la musique.
Il a joué avec les grands noms du jazz, de Don Cherry à Charlie Haden en passant par Cecil Taylor ou Carla Bley. Il s’est aussi illustré avec son saxophone sur scène avec Carlos Santana – il collabore à l’album Europa - ou en revisitant la célèbre composition de son compatriote Atahualpa Yupanqui, El arriero.
Gato Barbieri, né à Rosario, capitale des plaines à blé argentines, a commencé par jouer de la clarinette avant de s’essayer au saxophone alto puis ténor sur les scènes de Buenos Aires. Il rejoint un temps l’orchestre de Lalo Schifrin, autre compatriote qui deviendra aussi un compositeur renommé de musique de films culte comme Bullit ou de séries comme Mannix.
Musicien de jazz, Gato Barbieri se réclamait de l’influence de John Coltrane qu’il entendit vit sur scène pour la première fois en 1957 –dans le quintet fondé par Miles Davis- lors d’un concert en Uruguay. Il ne se définissait pas comme un musicien argentin mais international et fera d’ailleurs l’essentiel de sa carrière à New York où il s’était installé, tout en nourrissant sa musique de couleurs latines via le folklore ou encore le tango.
Source : RFI
Le Monde | 03.04.2016 à 17h11 | Par Francis Marmande
Né à Rosario (Argentine), le 28 novembre 1934, Leandro Barbieri, dit « Gato », est mort le 2 avril 2016, dans un hôpital de New York, a annoncé sa femme Laura, des suites d’une pneumonie. Sa première femme s’appelait Michèle – rôle essentiel dans les liens de la musique et du cinéma. En novembre 2015, on pouvait encore entendre Gato Barbieri lors de son récital mensuel au Blue Note. Il n’avait plus l’aura qui fut la sienne dans les années 1960 et 1970, mais sa renommée excédait toujours le septième cercle du « jazz ».
Son nom remue ceux de Don Cherry, Carla Bley, Charlie Haden, Enrico Rava, Steve Lacy, J.-F. Jenny-Clark et Nana Vasconcelos : plus qu’un orchestre, une communauté de cœur, de pensée, d’objectif politiqueet d’amour. On le dirait aujourd’hui « altermondialiste », l’un de ses triomphes fut, à Montreux, en 1973, le très tiers–mondiste El Pampero. La face lumineuse, gauchiste, populaire, festive, présente dans tous les meetings politiques et sur tous les podiums de la joie, du très introuvable « free jazz ».
« Le chat » au chapeau
De Barbieri, on retiendra trois détails : son surnom de « Gato » qui suffisait à l’identifier (« le chat »), chaffre aux étymologies aussi nombreuses que les pompeux informateurs qui vous en instruisaient ; son légendaire chapeau noir qu’un contestataire inspiré lui avait piqué, le 23 août 1977, à Chateauvallon (Var), le même sans doute qui venait de brailler à l’adresse de la pianiste Carla Bley : « Retourne à tes fourneaux ! » (le gauchisme n’a pas donné que des résultats satisfaisants ; les cons étaient à la mesure du projet) ; ce son de saxophone ténor qui semblait démarqué du rajo, l’inimitable fêlure des cordes vocales des flamencos de Jerez. Tout cela pour dire qu’il fut, de son vivant, visage malin, petites lunettes plus stylées que celles de Lennon, un mythe en scène et dans la vie. Porté par les orages du bonheur des tambours, son lyrisme incandescent eut tôt fait d’écarter les pisse-vinaigre et les amateurs au chef dodelinant – les bons amateurs.
Fils de charpentier, il taquine le violon, découvre le viril ténor auprès de son oncle maternel (dans Les Structures de la parenté, Lévi-Strauss établit clairement l’importance dans ce fatras de l’oncle maternel), et attaque par la face sud le requinto. Le requinto est une clarinette jivarisée qui ne fait pas sérieux. Là-dessus, coup de tonnerre, il tombe sur Charlie « Bird » Parker (un vilain poste de TSF à Buenos Aires) : pilier de Notre-Dame (voir Claudel) ! Joie, Joie, Pleurs de joie ! (se réciter le Mémorial de Pascal, cousu dans sa doublure jusqu’à sa mort). Altiste dans l’orchestre de son compatriote Lalo Schifrin, Gato choisit le ténor (1955).
En 1962, après un bref séjour au Brésil (João Gilberto, etc.), il s’établit à Rome où il joue avec Jim Hall et Ted Curson. C’est à Paris, où Don Cherry se déplaçait à Solex, trompinette dans la poche, au printemps 1965, qu’ils se rencontrent pour ne plus se quitter. À New York, ils gravent un miracle – par définition rétif à tout enregistrement : Complete Communion suivi de Symphony For Improvisers (1966). Quand on a eu la chance de vivre en direct cette époque bénie de tous les diables, on peine un peu à se faire interviewer par un gandin effaré, sur l’air de : « La première fois que vous avez entendu du free jazz, vous avez été épouvanté ? Ahuri ? Sonné ? Agressé ? » Il faut cocher.
Tout-terrain esthétique
La rencontre avec Giorgio Gaslini a lieu à Milan (Nuovi Sentimenti). En 1967, il signe ses deux premiers albums personnels, In Search Of The Mystery et Obsession, avec Sirone à la basse. Rôle des contrebassistes auprès de Gato. À Rome, avec Enrico Rava, Don Cherry, J.-F. Jenny-Clark et quelques égéries, ils vivent en communauté une vie de bâton de chaises qui tient de l’expérience scientifique et du tout-terrain esthétique.
La nature des conflits actuels (quatre vingt-trois guerres au compteur, et des institutions aussi nobles que l’Eglise déchirées par la chair) donne à cette période une allure assez sportive. D’un poil plus âgé que la bande à Gato, Steve Lacy qui tenait le rôle de passeur quasiment bilingue, fit non sans sagacité observer : « Attenchion, attenchion, mes amis, si vous continouiez à mener le vie gracieuse, le Bon Dieu, il va vous punisser… »
Blonde et aussi bouclée que Delphine Seyrig, Carla Bley est l’autre rencontre décisive. Gato participe à ce chef-d’œuvre signé Carla Bley et Paul Haines pour le livret : Escalator Over The Hill. 1968 se profile partout, même aux Jeux de Mexico. Non, non, on n’a été ni épouvanté, ni ahuri, ni sonné, encore moins agressé… Simplement heureux comme devant l’épiphanie du free. Deuxième chef-d’œuvre d’une bande de révolutionnaires dont Charlie Haden et Carla Bley portent la banderole de manif (rouge), le Liberation Music Orchestra : Don Cherry, Perry Robinson, Dewey Redman, Michael Mantler, Roswell Rudd, Bob Northern, Howard Johnson, Sam Brown, Paul Motian et Andrew Cyrille. Moins un orchestre qu’un style de vie et une pensée. Pendant une semaine, pour dire les osmoses du temps, le Liberation Music Orchestra sert de générique à l’irremplaçable « Pop-Club » de José Artur, sur France Inter.
Luttes, tambours
Gato enregistre avec le pianiste sud-africain adoubé par Duke Ellington, Dollar Brand (Abdullah Ibrahim). Virage à 180° vers ses origines sud-américaines, les luttes, les tambours. Ce qui nous conduit au Carnet de notes pour une Orestie africaine (1970), de Pier Paolo Pasolini, où il apparaît autant qu’il joue avec le contrebassiste sarde Marcelo Melis et le percussionniste Don Moye.
Ses commandos à géométrie variable, où se succèdent les plus grands bassistes, nombre de percussionnistes (Airto Moreira, James Mtume) autour de piliers (Lonnie Liston Smith jusqu’en 1973, Roswell Rudd…) obtiennent de vifs succès auprès des jeunes et des classes laborieuses. Après quoi, elles accentuent leur tonalité latina, le goût des chansons et des messages (Viva Emiliano Zapata !), chantent l’Euphoria comme aujourd’hui on brame à la Melancholia.
Il est possible que l’on traverse désormais le pont de Bir-Hakeim sans immédiatement songer au Dernier Tango à Paris (1972) de Bernardo Bertolucci, autre affidé à la bande. C’est Gato qui a composé la musique, récoltant au passage un de ses Grammys dorés. Petite curiosité, lorsqu’on voit à l’écran le voisin qui fait ses exercices au ténor (on l’aperçoit bien de la cuisine où le beurre est dans le frigo), le son est celui de Gato, mais le figurant qui joue du saxophone est noir. Ah ! effets de réel… Passons…
Les amateurs, les bons amateurs, tiennent la fin de la carrière de Gato Barbieri pour trop populaire et commerciale. Relire sur ce point Le Meunier, son fils et l’âne (Jean de La Fontaine). Musicien d’époque, son de cathédrale, mouvements intestinaux des révolutions, tentative de Hip Hop All Stars (2000), on a donc tant perdu la passion de l’Histoire ?
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