Pour Julien, la trentaine, c'est le chant qui accompagne tous les grands événements de sa vie. "À mon mariage, on l'a chanté. Au baptême de mon fils, aussi, comme à l'enterrement de mon père. Pourtant, je ne suis pas très pratiquant, et je me rends rarement à la messe. Mais ça a toujours été comme ça, depuis que je suis tout petit."
À l’instar de toute sa famille, et de la très grande majorité de ses amis, Julien connaît le Dio vi salvi Regina par sur le bout des doigts, "comme certains connaissent mot pour mot la Marseillaise", glisse-t-il dans un sourire. C'est, après tout, rajoute-t-il, "notre hymne national".
Il faut dire que le Dio vi salvi Regina a traversé les siècles. Certaines légendes voulaient, un temps, qu'il ait été écrit en 1720 par un berger du Niolu... Mais c'est plutôt à la fin du XVIIIe siècle, vers 1675, que ce chant à la gloire de la Vierge Marie a été rédigé. Composé par un jésuite italien, Saint François de Geronimo, ce texte est en réalité directement inspiré du "Salve Regina", hymne religieux parmi les plus populaires du Moyen-Âge, et encore aujourd'hui chanté dans des monastères.
Dès 1681, les paroles du chant sont imprimées dans la Dottrina cristiana spiegata in versi, puis en 1704 dans le Sommario della Dottrina cristiana, rédigé par l'alors archevêque de Gênes, Monseigneur Giambattista Spinola.
Le Dio vi salvi Regina se diffuse rapidement dans toute l'Italie, avant de tomber dans l'oubli. À l’exception de la Corse, où il reste particulièrement populaire. En janvier 1735, il devient même le chant de ralliement des insurgés, alors qu'une consulte tenue à Corte voit les chefs nationaux proclamer la rupture avec Gênes et la souveraineté de l'île. La Corse indépendante choisit pour reine protectrice la Vierge Marie, et comme hymne national, le Dio vi salvi Regina.
Chanté dans toutes les églises corses, la popularité de l'hymne perdure... Et au fil des siècles, finit même par sortir du cadre clérical, désormais entonné dans les soirées, réunions privées, ou même dans de plus gros événements publics ou des manifestations politiques. Plus qu'un chant, le Diu vi salvi Regina s'est imposé comme un pilier intellectuel et culturel de la société corse.
Le 12 novembre 1976, le chanteur corse Tino Rossi le reprend par exemple dans les rues d'Ajaccio, entouré d'un large public, dans le cadre de l'émission Midi Première, alors diffusée sur TF1.
Au stade de Furiani - comme notamment lors des commémorations de la catastrophe du 5 mai 1992 -, il n'est pas rare de l'entendre résonner avant que ne siffle le coup d'envoi de la rencontre. Et l'hymne ne s'arrête pas aux tribunes d'Armand Cesari : la Squadra Corsa le reprend régulièrement avant ses matchs.
Rien d'étonnant selon l'abbé Georges Nicoli : "Nous avons en Corse une forte identification, aussi bien culturelle que religieuse. Et il est vrai qu'il s'est passé toute une partie de l'histoire de l'île où les deux étaient intimement liés, estime le prêtre Bastiais. Quand Pascal Paoli déclare l'Immaculée conception comme Reine de la Corse, il place véritablement le religieux et le politique ensemble."
Au fil de l'histoire, et en tenant en compte l'application et la perception particulière de comment se caractérise et doit s'observer la laïcité sur l'île - une laïcité, somme toute, "à la corse" -, le Diu vi salvi Regina "a pris une autre ampleur, une autre place, et a dépassé les murs de nos paroisses et de nos églises, reprend l'abbé Georges Nicoli. Il se chante dans les stades, dans les concerts... Un peu de partout, là ou les Corses se rassemblent, sont heureux d'être ensemble. Ou parfois dans des moments plus difficiles, comme la catastrophe de Furiani."
Quitte à mettre de côté le principe de la laïcité ? "La notion de la laïcité n'est pas vécue de la même manière en Corse que sur le continent", rappelle l'abbé. La reprise du Diu hors du cadre des églises, poursuit-il, ne dépend finalement "ni des instances politiques, ni des instances religieuses, dans le sens où ce chant a été assimilé par le peuple lui-même."
En Corse, constate le père Nicoli, la laïcité est "plus paisible, plus diplomatique, elle se fait écoute entre les deux instances et permet de pouvoir chanter le Diu assez facilement. Et quand bien même, tranche-t-il, un régime politique ou même clérical voudrait interdire l'utilisation de ce chant, il est tellement ancré dans les gênes du peuple corse qu'il sera difficile de modifier quoi que ce soit."
Car pour le prêtre, si le Diu vi salvi Regina conserve, encore aujourd'hui, sa popularité, c'est parce qu'il porte "un message d'espérance, qui nous tourne vers le ciel. Avec la Vierge Marie, nous avons l'impression que notre vie chrétienne prend un sens beaucoup plus concret, chanté en polyphonie à la manière d'ici, à travers les us et coutumes d'ici, et cela lui donne un cachet beaucoup plus local, plus personnalisé. Sur les 8000 km2 que représentent cette île, nous avons la grâce d'avoir ce chant qui rassemble tous les âges, toutes les régions, toutes les micro régions."
Et qui devrait continuer de les rassembler pour encore de nombreuses générations.
Par Jean-François Pacelli jfpacelli@corsematin.com
Publié le 11/09/24
Calvi
Après 20 ans de projet politique et trois ans de travaux, l'inauguration de la nouvelle salle de spectacle de Calvi-Balagne devait être une fête. Les élus, les financeurs et les concepteurs étaient conviés à un lever de rideau, suivi d'un petit concert et d'un moment de convivialité autour d'un pot. L'irruption d'une trentaine d'acteurs culturels de Balagne a chamboulé le début des festivités. Il y avait des représentants de l'association U Svegliu calvese, de l'école de musique U Timpanu, des membres des groupes A Filetta et Meridianu, des Rencontres de Calenzana parmi les onze associations culturelles signataires d'une lettre ouverte.
" Trouvez-vous normal que les associations culturelles de la microrégion n'aient pas été associées à la conception de cette salle, ni à son inauguration ? " s'interroge le courrier. Sur une banderole, on peut lire "Eppuru simu qui", "Pourtant, nous sommes là" en référence à une célèbre chanson du groupe A Filetta.
"C'était important d'être là, argumente Jean-Claude Acquaviva, cofondateur du groupe A Filetta. Les acteurs culturels de Balagne n'ont pas été associés à l'élaboration de cet outil. Nous n'avons été consultés en rien. Aujourd'hui, nous ne sommes même pas conviés à l'inauguration. C'est assez incroyable, pour nous qui sommes sur le terrain depuis 40 ans. L'inauguration a lieu en même temps que l'ouverture des 36es Rencontres de chants polyphoniques de Calvi, qui font venir des gens du monde entier. C'est hallucinant. Nous sommes dans deux mondes parallèles et c'est regrettable. Ce lieu était attendu depuis des décennies ; il y a un besoin énorme. "
François Canava, président du Svegliu Calvese, souligne : "Nous existons, nous sommes sur le terrain depuis 40 ans. Nous sommes là, nous espérions davantage de reconnaissance de la part des officiels, pour le travail effectué. Alors, on s'est concerté avec d'autres associations, et nous sommes là, pour dire que l'on ne doit pas être ignoré. Cette salle était attendue et on ne veut pas être ignorés."
L'arrivée préventive des forces de l'ordre, soit deux véhicules de gendarmerie, illustre les tensions passagères qui ont accompagné cette prise de parole inopinée de la part des acteurs culturels.
Pour autant, ces derniers se sont dispersés dans le calme, après avoir lu leur lettre ouverte, laissant se dérouler l'inauguration dans une ambiance quelque peu crispée.
" Je me suis toujours inscrit dans le dialogue, s'est défendu François-Marie Marchetti, le président de l'intercommunalité de Calvi-Balagne, au sortir de l'inauguration. Si ces gens avaient voulu discuter, ils auraient trouvé une porte ouverte. Je connais et j'estime de nombreuses personnes qui étaient présentes ce soir. Il y a un peu d'incompréhension, car le dialogue aurait permis de trouver des solutions. Pour ce qui est de la conception, eu égard à la technicité, c'est une affaire de spécialistes. Et puisque cette salle a une vocation balanine, il aurait fallu associer l'ensemble du monde associatif. Pas une seule, même si elle a pignon sur rue et qu'elle a été le moteur de cette initiative. On devrait se réjouir que la salle soit sortie de terre plutôt que de polémiquer. C'est dommage d'avoir ce genre d'attitudes. "
Bien que très attendue par l'ensemble des Balanins, la salle de spectacle a été, à plusieurs reprises, l'objet de débuts de polémique. Il y a d'abord eu le départ des boulistes, dont certains regrettent ce terrain dit de l'Oasis. Le bâtiment a ensuite été critiqué pour son esthétique, et parfois qualifié de "mur de prison". Enfin, l'absence de parking, les surcoûts de la construction ou encore le budget de fonctionnement ont été l'objet de vives discussions lors de conseils communautaires successifs.
Ce mardi soir, avec l'action des acteurs culturels, c'est donc une nouvelle fausse note, au milieu d'un concert somme toute très réussi.
C'est la première fois qu'il est l'invité d'un festival en Corse, mais Sylvain Tesson connaît bien l'île. Il en a déjà exploré les chemins, grimpé les voies de granit rouge des aiguilles de Bavella, arpenté les rues d'Ajaccio en quête de 'la geste impériale napoléonienne" qui le fascine.
Mais la Balagne il la connaît peu, alors ce 10 août, peu importe la canicule, il n'a pas pu résister au plaisir d'une marche, avant d'aller à la rencontre de ses lecteurs à Lumio.
C'est donc imprégné de ces paysages majestueux, qui se révèlent en parcourant les chemins des bergers entre le village abandonné d'Occi et l'auberge de Cateri, qu'il nous a accordé un entretien, lyrique et poétique.
Je suis allé saluer la très ancienne présence de la civilisation méditerranéenne dans ces montagnes. C’était une merveilleuse plongée dans le temps, dans la beauté absolue de cette Corse pastorale. Le sylvopastoralisme a embelli ces montagnes. Ces oliviers noueux accrochés à la roche, ce granit rongé par l'iode qu'on appelle le tafoni, ça m'émeut beaucoup. La Corse, c'est la noce de la mer avec le granit qui est une roche chère à mon cœur, un socle tellement dur, chargé de mémoire. Ces chemins témoignent d'une présence humaine millénaire. Mais aujourd’hui ce ne sont plus les mêmes semelles qui les parcourent. On est passé de l'ordre pastoral à l'ordre du loisir, on consomme ces chemins.
Il y a 10 ans j'ai été victime d'une chute de 10 mètres, un accident très grave, et depuis j'ai renoncé à l'alcool. Je ne peux plus boire pour des raisons médicales. C'est mon malheur. Mais c'est très logique d'associer le vin et la littérature. Tous deux sont des moyens de transport de l'âme et de l'esprit, des moyens de sortir de soi. Le vin et la littérature sont des élixirs de création. Pour moi, le poète et le paysan sont deux corps de métier très proches, des mots ou de la terre ils font naître de la beauté.
" Il faut revenir au grand chant d'amour à la nature, demander aux murs, aux chemins, aux perdrix de nous inviter à entendre leur chant. "
Sylvain Tesson
écrivain voyageur
Je n'ai pas du tout besoin d'imaginer que la fée est une petite créature libellule en tutu dotée d'une baguette magique. Pour moi la fée est la manifestation de la puissance de vie. Le monde réel, le spectacle de la vie florale et animale, la conversation entre le photon et l'azote sont tant d'occasions de s'émerveiller de la beauté de la vie, de ce miracle et de sa puissante fragilité !
La terre brûle, l'eau bout. Je ne vais pas ajouter une voix au concert de déploration. II y a trois possibilités : soit on ne fait rien, soit on continue, soit on fait quelque chose. Et si on fait quelque chose, soit on fait avec la technique, qui s'attache tellement à trouver des remèdes qu'elle en oublie les origines du mal et de le prévenir ; l'autre possibilité, c'est de faire ce qu'on peut avec ce que l'on a. Moi je fais avec la poésie. Je crois en la puissance performative de la langue, aux mots plutôt qu'aux chiffres. Le chiffre ne dit rien. Un poème qui vous arrache des larmes saura mieux éveiller à la beauté de la nature que toutes les statistiques et autres données scientifiques. Il faut revenir au grand chant d'amour à la nature, demander aux murs, aux chemins, aux perdrix de nous inviter à entendre leur chant. Moi je crois à la poésie, et au mouvement. La vie c'est le mouvement. Il faut aimer le monde puisque l'on vient au monde. C'est ça que j'ai envie de partager avec ceux qui me lisent.
Couronné du prix Musanostra 2024 pour son deuxième roman au succès retentissant " Les yeux de Mona ", Thomas Schlesser a offert un échange passionné aux amoureux de vin et de littérature venus le rencontrer ce vendredi soir à Lumio.
Historien de l’art, professeur à Polytechnique, directeur de la fondation Hartung- Bergam et écrivain, l'homme est brillant et partageur. Un plaisir pour le public venu échanger avec celui dont le roman "Les yeux de Mona" publié aux éditions Albin Michel, s'est vendu à plus de 160 000 exemplaires en France et a été traduit en 37 langues.
La veille c'est l'auteur insulaire Petru Leca qui a reçu le prix Musanostra de littérature en langue Corse pour son recueil de poèmes "E u ventu" paru aux éditions Albiana.
Et la soirée de clôture ce samedi 10 août se déroulera en compagnie de l'écrivain voyageur Sylvain Tesson, pour la première fois en visite en Corse.
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