Le corse se caractérise principalement, pour sa morphologie :
- par la variété d'intensité de certaines consonnes, dites "cambiarine", selon leur position dans le mot ou la phrase ;
- par un système vocalique particulier.
Les 12 consonnes et 2 semi-consonnes (J et V) du latin se sont conservées en corse, qui connaît deux sons particuliers (affriquées palatales) rendus par CHJ et GHJ.
Une des principales particularités du corse est la variation du son de la plupart des consonnes (mutation consonantique).
En effet, selon les lettres qui leur sont contiguës ou leur position dans la phrase, 13 consonnes dites "cambiarine" sont articulées plus ou moins fortement ou plus ou moins faiblement.
Elles sont dites mutantes par prédétermination consonantique (cunsunatura capunanzu).
Ces cambiarine sont : B, C, D, F, G, P, Q, S, T, V, Z ainsi que les groupes CHJ et GHJ.
Les 4 autres consonnes (L, M, N et R) sont constantes.
La mutation des consonnes suit la règle suivante :
Après ponctuation, accent tonique ou consonne, les consonnes sont dites en position forte et ont un son plein (dur); dans tous les autres cas, les consonnes sont dites en position faible et sont atténuées (adoucies).
Cet adoucissement va dans certains cas juqu'à la mutation de valeur, "F" devenant "V", "T" devenant "D", "C" devenant "G", "S" devenant "Z", etc.
On a ainsi cane/[u gane], santu/[u zantu], etc.
Cette transformation, que l'on retrouve également en Ombrie méridionale et dans le Latium, est plus sensible dans le Nord que dans le Sud, où la consonne est affaiblie mais pas transformée.
B
Le B est dur après consonne. Doux après voyelle, il se prononce alors "w" au Nord et "b" peu atténué au Sud.
Ex : un bellu bancu se prononce [un bellu uancu] dans le Nord.
C
La prononciation du C varie selon qu'il est suivi ou non de E ou I. Dans ce cas, il se prononce [TCH] (ou [DJ] dans le Nord).D
s'atténue plus ou moins selon les localités.
F
Le F sera : sourd et tendu après accent : hè fatta
dur (sourd) après consonne ou à l'initiale absolue : un fattu, facciu.
doux (sonore) et non tendu après voyelle atone :
"aghju fattu" se prononce [adiou vatou], "u fiatu" [u viatu], "u tafonu" [u tavonu], "a filetta" [a vilet'a].
G
Le G a généralement la valeur du G vélaire de "gai".
Il s'adoucit, voire s'efface devant a, o, u en position intervocalique ou après voyelle atone en initiale devant r.
Ex
:
a gola [a'(g)o'la]
u granu [u 'ra'nu]
Le maintien du son G avec e et i s'obtient en intercalant un h :
Ex : ghirlanda
P
Entre deux voyelles à l'intérieur d'un mot, P est atténué en [b] dans le Nord, simplement affaibli dans le Sud (mais pas du tout dans le Sartenais).
Ex
:
u capu [u ca'bu]
u pani [u ba'ni]
Q
Il est prononcé [KW] (Quist'annu) ou [GW] (di Quenza, liquidu) selon sa position.
Précédé de C, sa valeur forte est conservée : acqua.
S
Il se prononce dur ("S") comme dans "salut" :
- après ponctuation, accent tonique, consonne :
Salutu, à sàbbatu, trè suldata
- devant C suivi de A, O, U ou H :
scàtula, boscu, schèlatru
- devant F, P, Q et T :
disfattu, spirdu, Pasqua, stazzona
- lorsqu'il est doublé :
assassinu.
Il est doux ("Z") en position intervocalique (casanu, màsimu ...), en position initiale après voyelle non accentuée et devant voyelle (una sedda) et avant B, D, G, V, M et N (sbatta, sdrughjà, sguidà).
Dans le Sartenais, il se prononce "TS" lorsqu'il est entre une consonne et une voyelle :
Corsica [cor'tsiga], pinseri [pint'seri], mansu [man'tsu], in Sartè [in'tsartè].
T
Entre deux voyelles, il est atténué en "d" au Nord, en "t" au Sud (pas dans le Sartenais).
Ex :
a catena
> cadena
u piscatore > piscadore
V
Atténué en "B" doux au commencement d'un mot ou devant une consonne au Nord, V est atténué (son "W") ou effacé entre deux voyelles ou à l'initiale, après voyelle non accentuée.
Dans le Sud, V se prononce comme en français en position initiale après ponctuation, voyelle accentuée ou consonne, ainsi qu'à l'intérieur d'un mot après consonne ou devant r : Calvi, muvra, invernu.
Ex :
veranu
[beranu] (N.)
vergogna
[bergogna]
un vinu
[un' binu]
povaru
[po'aru]
alivetu
[aliwetu].
Z
Comme le S, se prononce "TS" ou "DZ" selon le cas :
zappà
[tsapa']
in
Zicavu
[in'tsi'gawu]
alzà
[al'tsà]
Cuzzà
[cu'tsà]
mais on a :
orzu
[ôr'dzu]
lonzu
[lon'dzu].
mezu
[me'tsu]
laziu
[la'dziu]
Nous reviendrons plus loin sur l'orthographe, longtemps controversée, des affriquées palatales CHJ et GHJ dites "inchjaccatoghji".
CHJ
Ce signe ternaire se prononce "TY" après point, accent ou consonne, "DY" au Nord ou "Y" au Sud en début de mot après une voyelle atone : a chjave [a tiave], u chjosu [u tiosu], l'ochju [l'otiu], duie chjachjere [douyé dyàtièrè].
A Sartène, il est invariable et se prononce toujours "TY" : [duie tiatiari].
GHJ
Se prononce "DY" après point, accent ou consonne, ou "Y" en début de mot ou après voyelle non accentuée :
Ghjàcumu [dia'cumu], un ghjàcaru [dià'garu],
mais
a ghjesia di Ghjunchetu [a yesia di yunketu].
Rappelons enfin que CI se prononce [TCH], que SCI donne [CH], et que la chuintante sonore rendue en français par le J est orthographiée SG (+ E ou I).
En résumé :
graphie corse | équivalent français | son | exemple |
A | a de cat (angl.) | ae | a carne [a gaerne] |
a de tomate | a | a fame [a va'mi] | |
C | c de cadeau | k | trè case [trè ka'si] |
tch de match | tch | cità [tchità'] | |
E | é de blé | e | u seru [u zé'ru] |
è de mère | è | a mela [a mè'la] | |
F | f de faim | f | trè fetti [trè fè'ti] |
v de vache | v | a fame [a va'mi] | |
V | v | Calvi [cal'vi] | |
w de water | w | a vacca [a wa'ka] | |
ovu [ô'wu] | |||
G | dj de djebel | dj | gestu [djes'tu] |
I | i de pile | i | a pila [a pi'la] |
i de pied | y | fiumu [fyu'mu] | |
L | l de lumière | l | trè lume [trè lumi] |
GL | li de lion | ly | a moglia [a mo'lya] |
EN | enn | a mente [a menn'te] | |
IN | inn | u tintu [u tinn'tu] | |
O | o de parole | o | u toru [u to'ru] |
ô de rôle | ô | a tola [a tô'la] | |
R | r de rat | r | u rospulu [u ros'pulu] |
SC | ch de chat | ch | scemu [chè'mu] |
SCI | Cuscionu [kucho'nu] | ||
SG | ge de rage | j | cusgidori [kujidô'ri] |
SGI | casgiu [ka'ju] | ||
U | ou de cou | u | u lumu [u lu'mu] |
w de water | w | acqua [ak'wa] | |
GHJ | di de Dieu | dy | Ghjacumu [dyà'cumu] |
y | u ghjornu [u yor'nu | ||
CHJ | ty | a machja [a mat'ya] | |
Z | ts de tsar | ts | u ziteddu [u tsit'eddu] |
dz | u zannu [u dzan'u] |
Les voyelles brèves et longues du latin ont subi, comme dans toute la Romania, une évolution, mais dans un sens diamétralement opposé : les voyelles longues se sont fermées et les brèves se sont ouvertes.
Il faut noter que l'évolution a donné des résultats différents au Nord et au Sud de l'île :
NE i è a ò u
NO i è a u
S i a u
La prononciation est généralement à l'inverse de celle de l'Italien :
e ouvert è parte
e fermé é mela
o ouvert ó comme dans port : O Antó !, óchju, rotta, facitóghju ...
o fermé ò comme dans pot : morte, sorte, porta
Les voyelles connaissent un type particulier de mutation, dit alternance vocalique, surtout dans les parlers du Sud :
Lorsque le "e" ou le "o" tonique deviennent atones, ils se changent respectivement en "i" et "u" dans les mots dérivés :
Ainsi, "mela" donne "miluccia", "fegatu" > "figateddu", "catena" > "catinacciu", "porta" > "purtone", "bastonu" > "bastunata", "meddu" > "middurà", "lettara" > "littarina", "deci" > "dicina", "petra" > "pitraghju", "ghjornu" > "ghjurnata", etc.
Le même phénomène affecte la conjugaison des verbes :
pusà - eiu posu - no pusemu
spoddà - mi spoddu - ci spuddemu
Les accents sont assez peu usités dans l'orthographe corse, et on peut le regretter car ils permettraient de préciser systématiquement l'emplacement de l'accent tonique et l'aperture des voyelles.
On commence cependant à les voir apparaître sur les panneaux indicateurs :
u Tàravu, u Bàraci, a Restònica ...
Ils ne sont utilisés ordinairement que pour marquer les finales des mots tronqués (parolle mozze ou tronche en it.). L'accent est alors un accent d'intensité ou "incalcu".
Ex : Sartè, Auddè ...
Ils servent également à distinguer des mots homonymes :
à
(préposition)
a article
è (et)
e (article)
sò (ils sont
so (je suis)
bòtte
(barriques)
botte (bottes)
tòrta (tourte)
torta (tordue)
ùn (négation)
un (article)
Notons enfin que hà est la 3e personne singulier du verbe avoir, ha étant la 2e personne (tu as). Par symétrie, on écrit hè (il est) là où l'italien écrit è.
On a ainsi "hà fattu" (ha fattu : il a fait), et "ha fattu" (ha vattu : tu as fait).
Le corse étant une langue à accent libre, on peut avoir l'accent sur la pénultième syllabe (parolle lisce), comme dans parolle, sur l'antépénultième syllabe (parolle sguillule) comme dans chjàchjere, éramu, à védeci, séttima , sur l'antéantépénultième (parolle bisguillule) : mittitemine, éntresine, andémucine ...
Dans le Sartenais, les voyelles e et o portent toujours l'accent tonique : sinon elles se transforment en i et u et deviennent atones.
A noter deux conventions d’écriture qui ont été mises en place dans les années soixante :
– l’aletta, accent graphique (distinct de l’incalcu, accent tonique), marque la dernière syllabe :
cità, lavà; tù, hè, trè, è, à, frà...)
– le ’è explétif (issu de la conjonction è qui remplace la dernière syllabe atone élidée de polysyllabes non-oxytoniques.
Ex. : (cume -> cum’è, quante -> quant’è
Cette particule explétive n’a pas de valeur sémantique et ne sert, tout comme l’aletta, qu’à indiquer quels mots ne donnent pas lieu à l’affaiblissement de la consonne initiale du mot suivant.
On peut distinguer grossièrement deux aires principales de parlers, ne coïncidant ni avec la chaîne montagneuse centrale, ni avec la division administrative. En fait, il n'y pas une ligne de démarcation unique, mais un faisceau de lignes au tracé différent suivant la nature des différences :
Par exemple, le V en position forte se prononce "b" au nord d'une ligne reliant Vico à Ajaccio, Bocognano à Bastelica.
De même, l'aire où les deux "L" se transforment en "dd" (u beddu cavaddu) n'est pas la même. Ce son, aboutissement du latin -LL ou -L, se retrouve également en Sicile, Sardaigne et en Afrique du Nord.
D'une manière générale, on peut dire que les parlers du Sud ont gardé davantage d'archaïsmes et ont été moins influencés par le toscan. En revanche, ils sont plus proches du sarde.
La partie nord de la Sardaigne, désertée pendant les XVe et XVIe siècles du fait des maladies et des invasions barbaresques, avait été repeuplée par des populations venues de Corse à partir de la fin du XVIe siècle et au cours du XVIIIe siècle, ce qui explique les parentés entre le corse du Sud et le gallurais. Les Gallurais disent d'ailleurs "I Sardi" pour désigner les habitants du reste de l'île et se considèrent comme "Corsi".
Les parlers du Sud paraissent à l'oreille généralement plus rudes que ceux du Nord du fait des articulations consonantiques plus fortes, des redoublements de consonnes et de la réduction des voyelles à un souffle après une consonne forte.
Les principales différences des parlers du Sud de la Corse par rapport à ceux du Nord sont les suivantes :
2.1 - différences phonétiques :
- les
voyelles :
Le vocalisme du Sud se réduit aux trois voyelles a, i et u.
Les voyelles accentuées du latin, transposées au Nord et sur le continent dans le gallo-roman ou l'italo-roman (I devenant e et U devenant o), ont disparu dans le Sud :
Ainsi pilu/pelo, filu/filo, furru/forno, bucca/bocca, cruce/croce.
"pilu" (i bref) présente la même voyelle que "filu" (i long); de même "furru" (u bref) et muru (u long).
Les voyelles
e
et o ne sont conservées dans le Sartenais que si elles portent l'accent
tonique.
Le vocalisme
se
présente comme suit :
i bref donne i dans le Sud, e ouvert (è) dans le Nord :
D'où les oppositions siccu/seccu, fritu/fretu, pilu/pelu, iddu/ellu ...
u bref donne u dans le Sud, o ouvert dans le Nord :
D'où russu/rossu, cruci/croce, furru/fornu, puzzu/pozzu, suttu/sottu ...
Les e, qu'ils soient brefs ou longs, peuvent donner e fermé ou e ouvert dans le Sud, alors qu'au Nord, e long donnera e ouvert (è) et e bref donnera e fermé (é) :
Dans le Sud, on prononcera : séra, téla, méla, réta, séta, céra, mais vèna, tèna, rènu, fèsta, lèttu ...
L'impression
générale est d'inversion des apertures par rapport au nord, plutôt que
d'aperture systématique des voyelles : séra et non sèra,
quistu et non questu, mais pèttu
et non péttu ...
L'aperture coïncide avec la présence d'une consonne nasale après la voyelle ou d'une syllabe dite entravée par une consonne (chj et ghj conservant cependant le son ouvert).
De même, les o latins se résoudront en o ouverts ou fermés dans le Sud, en fonction des consonnes qui les suivent, alors que le o long donnera forcément un o ouvert au nord :
o fermé : focu, locu, colu, dolu, boiu ...
o ouvert : pôsu, nôdu, sônu, côsa, bônu, ômu, côrsu, môrti, côstu ...
Le o ouvert est beaucoup plus fréquent dans le Sartenais.
La mutation des voyelles s'accentue :
omu donne umonu, ochju uchjonu, escia isciutu, pensu pinsà.
A l'inverse, le u atone peut se changer en o en devenant tonique :
cuddà/coddu, pisà/pesu.
Les e et o atones sont quasi absents, avant la syllabe tonique (vargogna, ibidi, uccidà, uffiziu, alivi), comme après celle-ci (nazioni, saluta, mari ...)
Les voyelles finales sont très peu audibles, l'élision étant systématiquement pratiquée, ce qui donne une élocution plus rapide que dans le Cismonte.
- les
consonnes
:
- Les parlers du Sud ne connaissent pratiquement pas la lénition (affaiblissement) des consonnes : à part f devenant v en position faible et s devenant z, les autres consonnes sont très peu affaiblies. Ainsi on dira u capu (u gabu au N.), u pedi (u bee), mais "u viori" et "u zumeri".
Le Nord joue
uniquement sur la sonorisation, alors que le Sud utilise davantage la
tension : le B, le P, le T sont à son constant, à peine affaibli
parfois.
On a ainsi :
so' tori : sourd au Nord (so' tori), tendu au Sud (so' ttori)
un toru sourd (N)/ non tendu (S)
u toru sonore au Nord (u doru), non tendu au Sud (u toru)
- les parlers du Sud n'appliquent pas le bêtacisme du Nord : on a "vinu", "vinti", "vena"...
- Ils redoublent fréquemment les consonnes : u farru (u feru au Nord) ;
- Les consonnes s'assimilent fréquemment :
invarru/invernu
cistarra/cisterna
furru/fornu
En outre, le groupe -rn du nord passe à -rr au sud : carri au lieu de carne ...
- Particularité du Sud, la prononciation cacuminale (dd articulé avec la pointe de la langue relevée vers le haut du palais) évoquée plus haut (u cavaddu, piddà).
Les mots se treminant en -e au nord se terminent en -i au sud : u mari, u pani, parfois en -u : u purtonu ...
Dans le Sartenais, on trouve des pluriels masculins en -a, dérivés des pluriels neutres du latin.
Ainsi u corpu/i corpa, u mesi/i mesa ...
A l'inverse, les pluriels féminins se terminent en -i, sauf ceux portant l'accent tonique sur la dernière syllabe : a petra/i petri... mais i libertà.
Les infinitifs en -e atone du nord sont en -a atone au sud : essa, veda.
On ne trouve donc pratiquement pas de mots se terminant en -e.
On trouve des différences lexicales, en nombre restreint cependant :
vaghjimu / auturnu, ghjacaru / cane, maiori / grande, missiavu / babbone, asinu / sumeri, mufroni, fazzulettu/mandile ...
On peut distinguer cinq dialectes principaux :
-
le bonifacien, qui est en fait d'origine génoise ;
- le sartenais ;
- le taravais ;
- l'ajaccien rural (Prunelli et Gravona) ;
- l'ajaccien urbain.
L'aire sartenaise s'étend en fait de l'Alta Rocca jusqu'à la Gallura sarde.
Les nombreux I et U toniques changés ailleurs en i et o sont conservés (cruce, bucca, iddu ...). Cette originalité purement sartenaise disparaît dans la campagne environnante.
Par ailleurs,
de nombreux E et O se prononcent ouverts (comme en italien) : fèsta,
rèstu, pèttu, portu, pocu, mais fôcu, lôcu, onôri.
Les consonnes P, T et CHJ sont invariables en toute position.
Le S se prononce [TS] entre consonne et voyelle :
Corsica [kôr'tsiga], salsa [sal'tsa]
Autre particularité : le "DD" qui remplace non seulement le double L, mais aussi les groupes gli, glia issus du "li" latin :
fiddolu,
famidda, cavaddu, travaddu.
De nombreux masculins (ceux qui n'ont pas de féminin) prennent leur pluriel en -a :
u corpu/i corpa, u frati/i frata, un ovu/dui ôva.
Les substantifs dont l'accentuation est sur l'antépénultième syllabe font leur pluriel en "i" :
ànguli/ànguli, nivulu/nivuli, spàsimu/spasimi ...
Les noms
féminins font leur pluriel en "i", sauf les noms abstraits portant
l'accent tonique sur la dernière syllabe.
Dans l'Alta Rocca, on prononce [K] le C en n'importe qu'elle position, quand il n'est pas suivi d'un E ou d'un I : àmicu, amichévuli.
Le groupe "QU" se prononce toujours [kw] dans l'Alta Rocca : è di Quenza, a quarésima ...
On pratique fréquemment les contractions de propositions suivies d'articles :
à u donne au (prononcé o)
à i donne ai (prononcé é)
à a donne aa (prononcé a:)
Enfin, "beaucoup" se dit "parecchj", nosciu et vosciu se prononcent avec un o ouvert, le son "gu" est parfois prononcé "v": vadagnà, invernu, vuletta.
Il faut noter qu'à Sartène cohabitent deux idiomes: celui de l'Alta Rocca, parlé par les sartenais de souche, et celui du Taravo.
L'article est une création du latin tardif. L'article défini est dérivé du pronom démonstratif "ille" alors que l'indéfini vient du numéral "unus".
Les articles corses sont "u" et "a" au singulier, "i" et "e" au pluriel.
(en poésie on trouve parfois les formes "lu" et "la").
il y a deux
types de démonstratifs :
remplissent uniquement le rôle
d'adjectifs et ceux qui
peuvent être adjectifs ou
pronoms.
De plus, le corse a un
système triple comme le
latin, dérivé soit de iste, soit de ipse, soit
de ille.
Il distingue trois
degrés de localisation de l'objet
désigné : ici, là, là-bas.
Latin | Pronom | Adjectif |
quand l'objet désigné est proche de celui qui parle :
istud ista isti iste |
questu questa questi queste |
stu sta sti ste |
ipse ipsa ipsi ipse |
quessu quessa quessi quesse |
issu/su issa/sa issi/si isse/se |
quand l'objet est lointain :
ille
illa illi ille |
quellu
quella quelli quelle |
quellu
quella quelli quelle |
- quista casa è a meia (cette maison-ci, tout près)
- quissa è di me fratellu (celle-là, plus loin)
- quilla è di mè ziu (l'autre)
Cette distinction
approximativement juste ne rend
toutefois pas compte de
toute la diversité : dans la phrase "fighjula
st'acellu à nant'à quillu
muru", l'opposition stu/quillu distingue plutôt l'animé de
l'inanimé.
Dans d'autres cas, l'opposition peut porter sur la qualité :
quissi so belli, quilli no".
Le corse s'oppose au
français et à l'italien sur
plusieurs points :
- il a généralisé
la forme venant du réfléchi
latin suus;
- s'il généralise
l'article comme l'italien, il
a développé des formes
tronquées insensibles aux variations
nombre et de genre.
PRONOM Masc.
u soiu u nostru u vostru u
soiu i mei i toi i soi i nostri i vostri i soi |
Fém.
a toia a soia a nostra a vostra a soia e meie (i mei) e toie (i toi) e soie (i soi) e nostre e vostre e soie |
ADJECTIF Masc. u mè (mo, mio) u tò u sò u nostru (nosciu) u vostru (vosciu) u sò i mè (mo, mio) i tò i sò i nostri (nosci) i vostri (vosci) i sò |
Fém. a mè (mo, mio) a tò a sò a nostra a vostra a sò ie (i) mè (mo, mio) e (i) tò e (i) sò e (i) nostre (nosci) e (i) vostre (vosci) e (i) sò |
AVÈ
Présent
aghju ebbi
(ebbu)
avarebbi abbia (abbii
ou
aghji ESSE (ESSA) Présent sogu ou
sò Passé simple fui
(fuiu ou
fubbi) passé composé : sò statu plus-que-parfait : era statu passé antérieur : fui statu futur antérieur : saraghju statu 1ère conjugaison régulière : CANTÀPrésent cantu canti canta cantemu canteti càntani Passé simple canteti 2ème conjugaison
régulière : TEME temu Passé
simple
Présent sortu
surtitti
finiscu
finiti
|
Imparfait avia (aviu) avii avia aviamu (aviami) aviate (aviati) avianu (aviani) Futur avaraghju avarei (avarè) avarà averemu (avaremu) averete (avarati) avaranu (avarani) Conditionnel II avaria (avariu) avarii (avaristii) avaria avariamu (avariami) avariate (avariati) avarianu (avariani) Subjonctif imparfait avissi avissi avissi avissimu avissite avissini Imparfait eru (era) eri era èramu (èrami) èrate (èrati) èranu (èrani) Futur saraghju sarè (sarei) sarà (sarè) saremu sarete (sareti) saranu (sarani) Imparfait cantàiu cantaia cantai cantàiami cantàiati cantàiani Futur
cantaraghju Imparfait timiu (verbes e ou
a atone forme adjectivale en
-itu Imparfait surtiu Futur surtaraghju (verbes en -isce ou -iscia) Imparfait finiu Passé simple Futur finisceraghju
|
1ère conjugaison irrégulière : andà, stà, dà
2ème conjugaison irrégulière : duvè, pudè, sapè, vulè
3ème conjugaison irrégulière : more, vede, beie
4ème conjugaison irrégulière : custrui, ostrui, appari (adj en -uttu ou -su)
5ème conjugaison irrégulière : perde, permette (adj en -su)
6ème conjugaison irrégulière : dì, fà et leurs dérivés
7ème conjugaison irrégulière : apre, copre, soffre...Note : Au futur on
emploie souvent des formes
telles que :
- Le COD introduit par la préposition à:
Cet emploi comme signe de l'accusatif est une exigence grammaticale quand il s'agit de personnes : "Mí à Petru".
En revanche,
l'utilisation de l'article exclut la préposition : "fighjula u prete".
Cette
particularité est à rapprocher de l'espagnol dans lequel on a : "Paulo ama a
Ines", "El Presidiente
recibio al jefe del gobierno", "Pedro comió
los huevos".
(on trouve cependant : "El acido ataca a los metales"...)
La préposition est utilisée pour mettre en vedette le complément
Dans le cas
d'un cod pronomalisé, il n'est précédé de "à" que si l'on veut insister.
- Suffixes :
- le suffixe -aghju : Issu du latin -arius
- formation des noms de lieux : granaghju, pagliaghju, sulaghju...
- formation des noms de métier : capraghju, mulinaghju, paghjulaghju, uliaghju...
- formation de noms d'objets : pulintaghju, mundulaghju
- le suffixe -aru : "arius" a donné "-ario" en toscan, puis "aio", le pluriel "ari" :
carbunaru, scarparu, macellaru ...
- le suffixe -eghju : du latin -erius :
capisteghju
le suffixe -aciu : du latin -aceus :
muntagnaciu
- le suffixe -iciu : du latin -icius :
rumaniciu
- le suffixe -toghju : -arius s'ajoutait en latin au radical des participes passés pour former des substantifs. Ce suffixe a donné "-oir" ou "-toir" en français, "-toio" en italien, "-toghju" en corse :
lavare>lavatarium>lavoir, lavatoio,
lavatoghju
- Etymologies
particulières
- micca
:
Le
latin "mica"
est conservé en italien, en corse et également en espagnol (miga) et en
français (mie).
En
français,
"mie" et "miette" sont remplacés vers le XVIIe siècle par "point" et
"pas".
En Italie, la
négation se marque par "non", "micca" étant encore employé pour
renforcer la négation : "non lo conosco micca".
On retrouve un
usage comparable à celui qui en est fait en corse dans certains
dialectes : toscan, lombard ("minga"), piémontais ("mia"), calabrais
("micu").
- nice
:
Du latin "ne
scire", passée en italien sous la forme "fare il nesci", découle
l'expression "fà nice" : faire semblant
Ce n'est qu'en présence de la situation créée par la substitution progressive du français à l'italien comme langue écrite que l'on a ressenti le besoin d'écrire la langue populaire.
On trouve
quelques textes anciens écrits en corse, mais l'on n'a réellement
commencé à écrire le corse qu'à la fin du XIXe siècle, donc après la
fixation définitive de l'orthographe italienne, ce qui n'est pas
indifférent.
L'orthographe corse résulte d'un lent effort entrepris depuis Falcucci (1835-1902). Elle est très voisine de l'écriture italienne, mais s'en écarte parfois et a été adaptée de façon à noter des sons inconnus de l'italien officiel et à rendre compte des variétés dialectales.
Autant il paraît souhaitable que la langue garde sa diversité, autant il apparaît indispensable d'utiliser une graphie normalisée unique.
Quelle forme choisir pour la langue " standard " ?
On peut sélectionner l'une des formes en présence : c'est la solution qui a prévalu en France.
On peut
également forger une forme nouvelle : dans ce cas une description
précise de variations dialectales est nécessaire pour forger une forme
moyenne. Au niveau de la graphie, comment transcrire un mot prononcé de
différentes manières sur le territoire, afin que tout le monde le
reconnaisse ?
Au niveau du lexique, quelle variante conserver lorsque le même objet ou la même notion ne sont pas nommées de la même façon dans les différentes formes dialectales ?
Au niveau de
la
syntaxe, comment choisir la norme ?
Dans les
grandes lignes, le corse s'écrit comme l'italien. Cependant, certains
particularités sautent aux yeux : la graphie "GHJ" et "CHJ", ainsi que
les "J" en fin de mot.
Cette dernière graphie est la semi-voyelle J, variante calligraphique du I à l'origine, disparue de l'italien au XIXe siècle. Elle traduit certains pluriels en -ii. On y trouve l'origine des noms propres Valery, Landry, Mary, Ottavi primitivement Valerj, Landrj, Marj, Ottavj.
Ce J semi-voyelle existait en toscan.
Les graphies CHJ et GHJ sont une réponse à la nécessité de transcrire les phonèmes inconnus en italien : les affriquées palatales.
On écrit ainsi "chjaru" pour l'italien "chiaro" et "ghjornu" pour "giorno".
(On trouve dans d'anciens textes l'opposition cchi/chi : specchiu, struchiu, achiu, ghiornu).
Notons que "ochju" vient du latin "oculus" à travers "oclu" et que "vechju" vient de "vetulus" par "vetlu" puis "veclu".
Cette graphie a été longtemps critiquée, notamment dans le Sud de la Corse où l'on a tendance à utiliser le J ; elle fait à présent quasiment l'unanimité.
Une transcription "à l'italienne" aurait eu pour inconvénient de faire écrire de la même façon des sons différents comme dans "schiattà" et "schjavu", "chi" et "chjave", "secchi" et "vecchj" ...
L'utilisation du J pour rendre les phonèmes [y] et [dy] peut-elle être envisagée ?
Si on la réserve à la position faible (solution de P.M. de la Foata), un même mot aurait eu des orthographes différentes selon la construction de la phrase :
un giornu/u jornu.
Si on l'utilise dans tous les cas, on ne rend pas compte du son "dy" et l'on s'éloignerait parfois de l'étymologie :
ghjaddu < gallus
ghjenaru < gener
mughjà < mugire
ghjirà < gyrare
ghjelu < gelu.
Cependant, dans de nombreux cas, cette orthographe se rapproche de l'étymologie latine :
jacca < jacere
jubila < jubilare
juncu < juncus
majali < majalis
On pourrait aussi envisager d'écrire les affriquées palatales "gi", mais on écrirait alors "gi" le son en position faible, qui se prononce "y".
un giornu [djornu] /u giornu [yornu]
Ce n'est pas très satisfaisant.
La solution retenue, si elle peut surprendre un francophone par son aspect compliqué, a l'immense mérite de permettre une écriture unifiée rendant compte de la mutation consonantique CHJ/GHJ analogue à celle du C et du G.
Sauf
intention particulière de rendre les différences dialectales, on
s'oriente vers une écriture standard tenant compte au maximum de
l'étymologie pour transcrire les consonnes mutantes b-w, c-g,
f-v, p-b, qu-gu, s-z, t-d, v-w.
On utilisera les signes graphiques correspondant aux prononciations sourdes, quitte à les prononcer sonores pour ceux qui opèrent la sonorisation après une voyelle atone.
On écrit donc "focu", qui sera prononcé "focu" par ceux qui ne sonorisent pas. Les autres (ceux du Nord) appliqueront la règle générale qui veut que "C précédé d'une voyelle atone se prononce G".
A contrario, la graphie "fogu" excluerait les Corses du Sud qui ne sonorisent pas.
De même, on écrira "cità" plutôt que "città", afin que les gens du Nord puissent prononcer la sonore "d" ("cidà"), et que ceux du Sud prononcent t tendu : "città".
Pour les sonores qui ne s'affaiblissent nulle part en Corse (b et d), il suffit de les doubler : rubbà, sabbatu, addiu.
Ainsi, chaque locuteur, selon son origine, pourra interpréter de lui-même : au Nord, le "P" entre deux voyelles se prononcera toujours [b], F se prononcera toujours [v]. Au Sud, "LL" se prononcera toujours [dd], etc.
Dans certains cas cependant, la synthèse est difficile à opérer :
Dans le Nord, le redoublement du C sert à conserver le son [TCH] qui se prononcerait [DJ] avec un seul C :
faccia, leccia, accia ...
Cette solution s'écarte parfois de l'étymologie :
accentu, mais minacia ou minaccia ?
accidenti, mais lècia ou leccia ?
bracciu, mais facenda ou faccenda ?
La graphie C pour conserver la valeur [g] après voyelle, cohérente dans le Sartenais, est discutable pour le Nord, même si elle permet dans de nombreux cas de conserver le C étymologique. Doit-on écrire "aricusta" (de locusta), "biddicu" (umbilicus), "fècatu" (ficatum), "làcrima", "pricà" ou bien "aligosta", "billicu", "fégatu", "làgrima", "pregà" ?
Il faut en
l'espèce tenir compte des régions de Corse où le g intervocalique est
amui : figatellu [fi'atellu], ligà [li'à], etc et du fait que le C,
toujours adouci entre deux voyelles dans le Sud, reste, dans le Nord,
dur après l'accent tonique.
Deux particularités de l'orthographe communément utilisée nous paraissent discutables : le h ajouté aux auxiliaires dans hè et hà, et l'écriture "è" de la conjonction de coordination. Ce choix paraît relever d'une volonté de se démarquer de l'italien ... Pourquoi n'être pas allé au bout de l'étymologie en orthographiant "havè" plutôt que "avè" ?
La grande majorité de ceux qui écrivent aujourd'hui en corse s'accorde sur la même pratique orthographique.
Cette orthographe n'est pas plus compliquée ou artificielle que l'orthographe française. En effet, personne n'est surpris de devoir écrire trois voyelles successives pour figurer le son d'une quatrième dans "eau", ni de prononcer [segon] ce qui s'écrit "second", ni du fait que le mot "oiseau" ne comporte dans sa forme orale ni O, ni I, ni S, ni E, ni A, ni U !
Rappelons la proposition de George Bernard Shaw d'écrire "ghoti" le mot fish (gh=f comme dans enough, o=i comme dans women et ti=sh comme dans nation !)
Le système adopté a l'immense avantage de permettre de prendre en compte les variantes de prononciation locales.
On relève des
origines pré-latines liées à une particularité du relief (Calacuccia,
Avapessa, Carbini, Alzi) ou au type de culture : (Olmetu, Frassetu,
Carpinetu, Salicetu). A leur arrivée, les Français ont repris la
transcription italienne des noms propres, à quelques exceptions près
(l'Ile-Rousse et les noms de saints : Saint-Florent, Ste Lucie de
Tallano, St Pierre de Venaco, etc).
La récente initiative de généralisation du bilinguisme sur les panneaux routiers, à l'instar de ce qui se pratique depuis longtemps en Provence ou en Bretagne, officialise les orthographes (et permet également aux panneaux de rester intacts ...).
On trouve
ainsi
Belvédère/Belvidè, Argiusta-Moricco/Arghjusta Muricciu, Moca-Croce/Macà
Croci, Olivese/Livesi, Aullène/Auddè ...
On pourra certes discuter à l'infini de la légitimité de corsiser des noms qui n'ont jamais été orthographiés autrement qu'en toscan.
Est-il légitime de faire "cadrer" l'orthographe avec la prononciation ? En particulier se pose le problème des noms de lieux aux finales "tronquées" :
Sartè, Altaghjè, Auddè, Belvidè, Bisè, Bucugnà, Casaglió, Cuzzà, Fuzzà, Tizzà, Bicchisgià, Surbuddà...
On peut penser que, comme tous les mots portant l'accent tonique sur la dernière syllabe, ils comportaient à l'origine une finale tronquée par l'usage, à moins que ce soit le nom des habitants qui ait donné la consonne finale : Sartinesi -> Sartène -> Sartè ?
Rappelons que les syllabes atones ont chuté du latin dès l'origine : ainsi òculus a donné "ochju", auriculam "arechja", civitàtem "cità", habère "avè"