Ballu (Danse): Sidi Larbi Cherkaoui

Dernière mise à jour : 13/11/2024

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Ayant abordé la danse après avoir assisté à In Memoriam de Sidi Larbi Cherkaoui, on ne s'étonnera pas que cette page soit intégralement consacrée à cet immense chorégraphe/danseur.

larbi

Biographie

D'origine marocaine par son père, arrivé de Tanger dans la vague de l'immigration des années 1960, et flamande par sa mère, Sidi Larbi Cherkaoui est né à Anvers le 10 mars 1976. Enfant, il va à l'école coranique, pratique le dessin et reproduit les toiles des maîtres flamands. Ouvert à toutes les formes d'expression chorégraphique, il ne débute la danse qu'à l'âge de 16 ans, alors que la plupart des danseurs de son talent ont déjà plusieurs années de pratique derrière eux.

Après des débuts de danseur et chanteurs dans des spectacles de variété à la télévision belge, il décide d'entamer une formation professionnelle de danse contemporaine aux P.A.R.T.S., fondée par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Parallèlement à sa formation contemporaine, il travaille avec des compagnies de hip-hop et de modern jazz en Belgique. Son style reste marqué par cette époque, notamment en raison ses capacités peu ordinaires de souplesse voire de réel contorsionniste.

En 1995, le danseur reçoit le premier prix pour le meilleur solo de danse belge à Gand, un concours lancé par Alain Platel.

Sidi Larbi Cherkaoui fait partie de cette jeune génération d'artistes néerlandophones et francophones qui représente une nouvelle vague dans le milieu de l'art chorégraphique belge et européen. Membre de Les Ballets C de la B (les Ballets Contemporains de la Belgique), compagnie de danse située à Gand en Belgique, Cherkaoui y participe en tant que danseur mais également en tant que chorégraphe. Sa première pièce en tant que chorégraphe est intitulée Anonymous Society et s'apparente à une comédie musicale où il danse sur des chansons de Jacques Brel. Il recevra pour cette création trois prix internationaux et verra sa carrière lancée auprès des institutions européennes qui décident rapidement de le programmer. Sidi Larbi Cherkaoui se révèle alors réellement au grand public en 2000, avec un pièce d'envergure, Rien de rien, qui l'imposera immédiatement sur la scène de la danse contemporaine. Dès lors son travail s'attache aux notions de multiculturalité et de différence.

Très apprécié par la critique internationale, surtout européenne, Sidi Larbi Cherkaoui travaille avec les plus grandes compagnies et les plus grands théâtres qui lui commandent des chorégraphies. Peuvent être cités le Grand Théâtre de Genève ou encore les Ballets de Monte-Carlo. Par son ouverture à toutes les formes d'art scénique, le répertoire de Cherkaoui est fortement personnel, théâtral et éclectique, avec par exemple l'utilisation fréquente du plain-chant avec son complice Damien Jalet qu'il a rencontré lors de Rien de rien. Les créations de Cherkaoui sont presque toujours en relation avec l'exploration de l'identité qu'elle soit culturelle, religieuse, ethnique, ou sexuelle. De même, pour certaines chorégraphies, dont Ook, il travaille avec des danseurs et des comédiens handicapés psychiques et mentaux issus du Theater Stap. Le comédien trisomique Marc Wagemans intègre ensuite sa troupe. Une autre constante de Cherkaoui est l'humour, utilisé dans les mots, les gestes, et la musique.

En résidence à la Toneelhuis d'Anvers depuis 2007, il fait partie de la nouvelle génération émergente des chorégraphes flamands formés autour notamment d'Alain Platel et des Ballets C de la B et d'Anne Teresa De Keersmaeker à la fin des années 1990. Adepte d'une danse relativement physique notamment en termes de capacités de souplesse des membres, il collabore fréquemment avec de nombreux autres chorégraphes tels que Akram Khan et son complice de longue date Damien Jalet. Il fonde en janvier 2010, la compagnie Eastman.

En 2005, Sidi Larbi Cherkaoui crée et danse un duo important avec Akram Khan, Zero Degree, qui rencontrera un succès mondial pour les deux chorégraphes montants des années 2000. Il s'autonomise alors en 2006 des Ballets C de la B en s'installant en résidence à la Toneelhuis d'Anvers. En 2007, il travaille avec le plasticien Gilles Delmas sur une installation intitulée La Zon-Mai et créée pour la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, qui consiste en une maison de toile sur les faces de laquelle est projetée en boucle une mosaïque de performances chorégraphiques de vingt-un danseurs filmées dans leurs propres maisons. L'esprit de ce travail est repris en partie l'année suivante dans le spectacle Origine de 2008 mettant en scène les thèmes de l'immigration et du départ, des gestes du quotidien et du chez-soi. Également 2007, il part dans le sud de la Chine travailler avec des moines d'un monastère Shaolin, le temple de Henan, pour l'écriture de son spectacle Sutra qu'il crée en collaboration avec le sculpteur Antony Gormley.

L'année 2010, marque une importante transition dans la carrière de Sidi Larbi Cherkaoui avec la fondation en janvier de sa nouvelle compagnie intitulée Eastman qui est en résidence à la Toneelhuis d'Anvers. Il complète également cette même année avec un spectacle rempli d'humour intitulé Babel (Words) créé en collaboration avec Damien Jalet, qui remporte un vif succès, un triptyque informel initié en 2003 avec Foi et continué en 2007 avec Myth sur « la quête du salut » et le lien entre l'homme et Dieu. Pour 2013, il reçoit la commande du ballet de l'Opéra de Paris de revisiter le Boléro de Maurice Ravel.

2015 : Sidi Larbi Cherkaoui, anversois de naissance, a été choisi comme nouveau directeur artistique du ballet de Flandre, indique l'institution mercredi. Il entrera en fonction dès le 1er septembre prochain. Ayant largement contribué, aux côtés notamment d'Anne Teresa De Keersmaeker et de Michèle Anne De Mey, au rayonnement actuel de la Belgique en matière de danse contemporaine, l'Anversois revient ainsi s'ancrer durablement dans sa ville natale auprès d'un ballet plusieurs fois mis en lumière dans les médias internationaux comme étant une des meilleurs compagnies au monde.

Monographie

La première monographie consacrée à Sidi Larbi Cherkaoui !

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Présentation :

Le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui a affirmé en l’espace d’une quinzaine d’années la force d’une œuvre protéiforme au carrefour de la danse, du théâtre et de la musique live. L’Anversois aux racines marocaines a fait de ses origines métissées le fer de lance d’une pensée flexible du monde.

Revendiquant son identité, Sidi Larbi Cherkaoui hisse la différence et les blessures intimes en fondamentaux d’une danse existentielle. Mû par un désir increvable d’adhérer à l’autre pour mieux le comprendre, il multiplie les collaborations : son plateau accueille toutes les danses (kathak, kuchipudi, flamenco, tango…), toutes les musiques, toutes les cultures à travers des pièces aux accents de rituels contemporains.

Ce livre-parcours donne la parole à ses principaux partenaires de jeu. Tous disent sa rage d’apprendre, son appétit pour l’autre, son plaisir à danser et à transmettre.

Il se focalise sur une quinzaine de ses créations :
Rien de rien (2000)
D’Avant (2002)
Foi (2003)
Tempus Fugit (2004)
In Memoriam (2004)
Zero Degrees (2005)
Myth (2007)
Apocrifu (2007)
Sutra (2008)
Dunas (2009)
Babel(words) (2010)
Play (2010)
Puzzle (2012)
Tezuka (2012)
Boléro (2013)
M¡longa (2013)

L'auteur: Rosita Boisseau est critique, spécialiste de la danse au journal Le Monde et à Télérama.

Livre en français
Relié, 192 pages
150 photographies
Editions Textuel

Suivre ce lien pour lire l'article de l'Echo reproduit ci-dessous.

echo

MILONGA

Sidi Larbi Cherkaoui s'éprend de tango

LE MONDE ǀ 03.06.2013 à 12h17
Par Rosita Boisseau

milonga

Milonga, un spectacle du chorégraphe belgo-marocain Sidi Larbi Cherkaoui,
sur le thème du tango. © Diego Franssens

Et pourquoi pas le tango ? Dans la longue liste des apprentissages du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, le tango trouve une place de choix. Aux côtés du kuchipudi, danse traditionnelle indienne, du flamenco, du kung-fu, du chant, voilà que le Flamand vorace et curieux s'est jeté à corps perdu dans cette danse de couple pour Mlonga, pièce pour douze interprètes servie dans un jus porteo.

A l'origine de l'idée, le producteur Ricardo Szwarcer. Ce dernier lui propose un projet de tango en 2008, à l'issue d'une représentation de Sutra, chorégraphié par Cherkaoui pour dix-sept moines shaolin. "J'ai toujours été très ému par cette danse de couple, raconte le chorégraphe. Il y a une sorte de communication entre les danseurs qui passe quasiment sans aucun contact visuel ou parole. Mon style de danse est enraciné dans le toucher et le contact physique, et c'est ce qui est inhérent au tango." Après la solitude de la performance kung-fu de Sutra, l'idée de retrouver ses fondamentaux en ajoutant une nouvelle corde à son arc séduit Cherkaoui.

IMMERSION

Lors de six séjours dans la capitale argentine, il plonge dans l'atmosphère des milongas, ces soirées de tango propres à certains bars de Buenos Aires. Introduit par Nelida Rodriguez de Aure dans le milieu du tango, il rencontre le gratin des danseurs. Il prend aussi des cours et peaufine son apprentissage. Le tango est déjà une vieille histoire dans la courte, mais effervescente, carrière de ce chorégraphe de 37 ans, devenu star internationale de la danse contemporaine en l'espace de treize ans. En 2000, sa première pièce, Rien de rien, qui fait un carton et accroche son nom en haut de l'affiche, met déjà en scène un tango dansé par deux interprètes. Pour l'occasion, Cherkaoui, qui aime "apprendre pour comprendre", chausse les souliers ad hoc et s'initie au tricotage savant de cette danse, dont la fièvre physique se nourrit d'abord et avant tout de sa virtuosité.

Deux ans après, D'avant (2002), co-mis en scène et interprété par Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Juan Kruz de Garaio Esnaola et Luc Dunberry, relance la donne pour un quatuor imbriqué et inextricable de tangueros. C'est le tour ensuite d'un couple furieusement dépareillé - l'Argentine Lisi Estaras et Cherkaoui lui-même - de s'accrocher des quatre fers dans Tempus Fugit (2004).

De ses apprentissages et jeux de duos, Cherkaoui a décidé cette fois de ne pas témoigner sur scène. "Je ne suis pas un très bon guide, assure-t-il. Je préfère d'ailleurs endosser le rôle de la femme dans l'affaire. Elle est à l'écoute et se laisse guider sans prendre aucune décision." Et il invente la réponse la plus vive et singulière possible pour poursuivre le dialogue pied à pied.

UN DOUBLE VISAGE

Sur le plateau de M¡longa, Sidi Larbi Cherkaoui s'est trouvé deux alter ego, les danseurs contemporains Damien Fournier et Silvina Cortes. Un double visage masculin féminin pour raconter au moins deux histoires. La première, celle d'un curieux, comme Cherkaoui, qui pénètre dans un monde qu'il ne connaît pas et désire connaître. La seconde, celle de la contamination d'un geste contemporain par une autre danse, ici le tango, et la manière dont chaque univers va déplacer ses habitudes et ses codes pour dégager un nouvel horizon. Cette alchimie chorégraphique rassemble dans le même chaudron les deux interprètes contemporains et cinq couples argentins, experts en tango.

C'est à Buenos Aires que Cherkaoui a sélectionné ces danseurs. Vrais partenaires à la vie et à la scène ou simples complices de danse, mais pour toujours, ces paires ont fait du tango leur langue corporelle intime. "J'ai été frappé par le fait que peu de danseurs de tango sont solitaires, se souvient-il. La plupart forment des couples qui dansent toujours ensemble et ont du mal à se séparer pour se risquer avec d'autres personnes. Ils ont développé une complicité très profonde qu'il est difficile de rompre, ce que je tente pourtant de faire dans le spectacle."

Le corps à corps, l'étreinte, la fusion du tango émeuvent ce romantique qu'est Cherkaoui. "L'homme et la femme se tiennent enlacés tout le temps lorsqu'ils dansent le tango, glisse-t-il. C'est une éternelle étreinte entre les danseurs qui peut prendre toutes les couleurs : sexuelle, sensuelle, solitaire et bienveillante."

M¡longa, de Sidi Larbi Cherkaoui. Les 11 et 12 juillet, Grand Théâtre, 22 heures (27 € et 22 €).

Milonga à La Villette

milonga

Le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui revient en France pour la 4ème année consécutive avec sa dernière création «Milonga». Il réinvente le tango à La Villette jusqu’au 7 décembre prochain et c’est accompagné de dix danseurs de tango de Buenos Aires, de deux danseurs contemporains et d’un orchestre live qu’il revisite la gestuelle du tango en combinaisons inédites.

C’est entre tradition et modernité que Sidi Larbi Cherkaoui réinvente un tango. Tango dos à dos, tango à trois ou à huit, tango en ronde ou au sol, toutes les combinaisons sont explorées et exploitées d’une façon encore inconnue. Différentes sortes de tango sont présentées et autour d’une sensualité et d’une précision, il nous transporte dans l’univers de la danse argentine. Le premier couple qui s’expose sur scène danse dos à dos mais dans un mouvement commun. Les danseurs, qu’ils soient à deux, ou à trois sont connectés et liés par les yeux et leurs mouvements. Cette danse qui s’exécute généralement à deux est illustrée par diverses combinaisons. L’orchestre qui joue en live dans un coin de la scène donne une puissante et une tension plus intense aux chorégraphies des danseurs. Le dynamisme de cette danse est exaltée par une précision de jambes qui s’entremêlent sans cesse dans une rapidité qui emporte le regard.

Le spectacle Milonga est composé comme une forme de tableau, où des saynètes en filigrane s’articulent entre elles avec les différents couples de duo, de trio…Les scènes se mélangent parfois et se défont dans un mouvement d’ensemble. La métaphore de la vie conjugale est illustrée par ces groupes de danseurs avec des éléments étrangers et dérangeant aux couples qui s’ajoutent pour former un trio. Des scènes de dispute ou d’amour sont également évoquées. Les danseurs imperturbables sont aériens autour de mouvements fluides tout en légèreté. Sur la scène, une mise en abyme est présente tout au long du spectacle. Les couples et les trio se regardent eux mêmes danser autour de la scène et s’imitent dans une impeccable cohésion. La scène en miroir donne de la profondeur à la danse et à leur représentation.

Sidi Larbi Cherkaoui donne de la poétique à ces mouvements, à son tango. La fusion du tango est exprimée par des regards. Cette danse de relation entraine les couples qui dansent ensemble comme s’ils orbitaient les uns autour des autres. La tradition laisse place à la modernité et c’est parce qu’il pousse les identités, que la notion du couple même est bafouée. Les femmes dansent ensemble et les hommes aussi dans un même rapport. Le mélange et le croisement entre le tango classique et la danse contemporaine apporte un renouveau. L’exercice du contact contemporain se rapproche de celui du tango et ne forme qu’un dans une harmonie. Cherkaoui, crée une nouvelle poétique du tango qu’il transforme, modifie et confond avec d’autres danses et d’autres repères. Et c’est parce qu’il le fait admirablement qu’il donne un nouveau visage à cette danse; ainsi les initiés et les amateurs pourront se retrouver devant une performance qui nous tient tous en haleine pendant près d’une heure et demie.

Visuel : © Spectacle / Tristram Kenton

Du 27 novembre au 7 décembre. Grande Halle de la Villette, Paris 19e. Tél : 01 40 03 75 75

Puz/zle

In Puz/zle Sidi Larbi Cherkaoui questions and highlights the puzzles that lie behind human relations (emotional, intellectual, sexual), the morphology of the body, and intangibles like musical traditions inspired by and woven together from separate and multiple strands and traditions (so a liturgical composition sung in Spain might have Arabic roots, buried in the sands of time).

With A Filetta, the Corsican polyphonic group, the Lebanese singer Fadia Tomb El-Hage and the Japanese percussionist and flautist Kazunari Abe by his side to dissect how a song, a composition can have various sources all at once, religious and secular, Christian and Muslim, and how traditions that we so easily name European or Oriental are never that definable and monolithic, Sidi Larbi Cherkaoui salutes the delightful impurity that constitutes our lives and our planet.

more information: www.east-man.be

Dans Puz/zle, Sidi Larbi Cherkaoui revient de manière plus abstraite sur les notions de pluralité et de diversité enracinées dans nos mécanismes de pensée et sur la question complémentaire de la façon dont les choses s'entremêlent pour créer une nouvelle identité distincte (comme dans un puzzle). Sidi Larbi Cherkaoui cherche à comprendre pourquoi certaines connexions parviennent à s'établir et constituer un ensemble organique, tandis que d'autres échouent. Il se demande aussi si l'échec relève véritablement du ratage ou s'il se situe uniquement au niveau de notre per- ception de l'ordre et du désordre. Il s'efforce dès lors de questionner l'importance apparente de l'ordre et de la linéarité, et de découvrir s'il existe plus d'un moyen de résoudre un puzzle, raconter une histoire, vivre le moment.

Sidi Larbi Cherkaoui souhaite sonder et mettre en lumière les puzzles qui se dissimulent derrière les relations humaines (tant émotionnelles, intellectuelles que sexuelles), derrière la morphologie du corps et derrière l'intangible, comme la musique qui s'inspire de traditions multiples et dont la composition puise dans des sources diverses (ainsi, une composition liturgique espagnole peut avoir des racines arabes, ensevelies dans les sables du temps). Accompagné sur scène de l'ensemble polyphonique corse A Filetta (ses compagnons dans Apocrifu et In Memoriam), de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage (que l'on a pu voir dans Origine) et le percussioniste et flûtiste japonais Kazunari Abe, Sidi Larbi Cherkaoui analyse la façon dont une chanson ou une composition peut provenir de plusieurs sources à la fois : religieuses et profanes, chrétiennes et musulmanes, etc. Il se penche également sur le fait que les traditions que nous cata- loguons si facilement d'occidentales ou d'orientales sont nettement moins définies et univoques qu'on ne peut le penser. Le chorégraphe rend ainsi hommage à cette imperfection exquise qui donne corps à nos vies et notre planète.

Chorégraphie: Sidi Larbi Cherkaoui
Composition musicale: Jean-Claude Acquaviva, Kazunari Abe, Olga Wojciechowska
Musique additionnelle: Bruno Coulais, Tavagna et musiques traditionelles de Corse, du Japon et du Moyen-Orient
Scénographie: Filip Peeters et Sidi Larbi Cherkaoui
Lumière: Adam Carrée
Vidéo: Paul Van Caudenberg
Costumes: Miharu Toriyama
Consultant artistique: Damien Jalet
Conseil artistique: Guy Cools, An- Marie Lambrechts, Gabriele Miracle
Conseil musical: Olga Wojciechowska
Conseil costumes & habilleuse: Elisabeth Kinn Svensson
Régie son: Jens Drieghe
Régie son A Filetta: Rémi Grasso
Assistanat à la chorégraphie et répétitrice: Nienke Reehorst
Assistants chorégraphes: Jon Filip Fahlstrøm, Helder Seabra

La "bande-son" de Puz/zle a fait l'objet d'un double CD commercialisé par Eastman. Le lien pour le commander :
http://shop.east-man.be/product/puz-zle-a-filetta-fadia-tomb-el-hage-kazunari-abe-olga-wojciechowska

Octobre 2016

south

Puz/zle: award-winning dance puts human order – and disorder – under the microscope

  • Belgian choreographer Sidi Larbi Cherkaoui’s evocative and cerebral show examines puzzle of how people fit together – and sometimes fail to connect
  • Dancer’s arts company, Eastman, will perform production, focused on identity, relationships and boundaries, in Hong Kong on December 13 and 14
In partnership with:
Leisure and Cultural Services Department
Victoria Burrows

Victoria Burrows  

Published: 3:51pm, 17 Oct, 2019

puzzle
Sidi Larbi Cherkaoui’s contemporary dance production, Puz/zle – focusing on identity and how people try to fit together, but sometimes fail to connect – will be staged in Hong Kong on December 13 and 14. Photo: Koen Broos

Belgian dancer and choreographer Sidi Larbi Cherkaoui has been a creative force in the world of dance for almost two decades.

Known for an egalitarian artistic approach to dance moves and body language, he has curated a wide variety of performances, ranging from contemporary dance to ballet and opera.

The complex themes in Puz/zle, such as evolution, society and human relations are the building blocks of how we behave everyday … it's interesting to step back and see the ways we do the things we do Sidi Larbi Cherkaoui, choreographer, Puz/zle

His talent has been recognised with internationally acclaimed awards, including winning Britain’s Laurence Olivier Award for best new dance production in 2011 and 2014.

Cherkaoui, who is artistic director of his own company, Eastman, as well as the Royal Ballet Flanders, has collaborated with artists including singer Beyoncé, sculptor Antony Gormley, performance artist Marina Abramovic – even 20 Shaolin monks in his globally performed show, Sutra.

He is now bringing to Hong Kong one of those Olivier Award-winning productions, Puz/zle, which explores how certain connections succeed – and others fail to fit together – to create a distinct identity. The evocative and cerebral contemporary dance will be performed on December 13 and 14 at Kwai Tsing Theatre.

Février 2013

 

Fourzine

Le molteplici dimensioni del possibile. A Roma Puz/zle di Sibi Larbi Cherkaoui

14 febbraio 2013, Lula Abicca

Equilibrio, Festival della nuova danza: il coreografo belga incanta il pubblico dell’Auditorium Parco della Musica.

Ad un assetto economico e sociale pericolosamente inclinato verso il basso il Festival Equilibrio risponde con la fiducia e la sicurezza di chi riesce ancora a mantenere in asse il piano del gusto, del bello, del nuovo. Da sempre proiettato verso l’esplorazione della coreografia emergente e votato al risalto dell’eccellenza contemporanea internazionale, Equilibrio inebria in questi giorni il pubblico della Capitale con un programma straordinariamente ricco e denso. Non temiamo di peccare di eccessiva celebrazione se indichiamo anche nella direzione artistica di Sidi Larbi Cherkaoui, al  terzo mandato dal 2010, lo stato di grazia in cui il Festival della nuova danza apre i battenti di questa nona affascinante edizione.

 Di coloro che han perso il meraviglioso inizio illuminato dalla stella francese Sylvie Guillem, la coreografica impresa Puz/zle dell’artista Cherkaoui (in scena l’11 e il 12 Febbraio) ha indubbiamente saziato gli animi famelici e desiderosi di estetica compensazione. Arte generosa e abbondante, estasi prolungata e appagante, la scultura coreografica di Cherkaoui scompone le dimensioni di un palcoscenico impolverato, penetra la coltre pietrificata del tempo antico e ne risveglia dalle viscere un uomo molteplice, artefice e vittima del proprio vissuto e della potenza del caso. Il palcoscenico ampio, nero e senza quinte si tramuta, nell’immaginario del giovane autore belga, nella cava universale e infinita in cui uomini infaticabili scavano e colgono la pietra delle loro torri, il mattone delle loro case, il marmo dei loro idoli. Cherkaoui si immerge e raccoglie nel giacimento mai vuoto della Storia in cui il tempo ha ricombinato le vicende dell’uomo, eretto e distrutto i templi della civiltà, costruito e demolito gli edifici del pensiero. In un continuo scorrere tra filogenesi e ontogenesi, l’individuo riscopre l’incastro del proprio vissuto e tra vie percorse e strade evitate ritrova il senso di un processo evolutivo inevitabile eppur casuale, frutto di scelte imprevedibili eppure generatore di catene necessarie.

 Parte del fascino di questo puzzle tridimensionale e danzato è nell’inaspettato stravolgimento dei piani spaziali e musicali tra i quali ballerini e musicisti si destreggiano come architetti volanti e divinità invisibili. Quel che all’inizio appare come un unico e imponente blocco marmoreo si rivela da subito una scenografia scomponibile e mobile fatta di grandi muri e cubi color sabbia continuamente manovrati, distrutti, ricomposti e poi di nuovo sparsi in scena degli stessi abili danzatori. Dalla prima alta scala su cui uomini e donne si arrampicano ansiosi come posseduti da un irrefrenabile desiderio di cielo e potenza cadranno stanchi ed esanimi corpi come macerie tra le rovine di un mondo sconvolto. È su questi frammenti di muri portanti che si erigeranno nuove case e colonne, si scaveranno sepolcri e sotterranei, si incontreranno, si ameranno e si uccideranno uomini e storie.

 La danza di Cherkaoui commuove, ipnotizza ed esalta. Corpi refrattari al distacco sembrano trovare, infine e sempre, soluzioni d’incastro impreviste tra innumerevoli modi per annullare ogni distanza e spazi per ampliare gli intrecci. Danzatori leggiadri eppure potenti, elastici eppure solidi, si sollevano l’un l’altro affidandosi alla forza di un dito o di un fianco e d’un colpo balzano da un piano all’altro della scenografia colmando in altezza e in larghezza ogni vuoto spaziale e musicale. Le barriere tra danza e musica si assottigliano tra i canti pieni e potenti del gruppo corso A Filetta, la voce avvolgente e calda della cantante libanese Fadia Tomb El-Hage e il soffio gentile del flautista giapponese Kazunari Abe. Suoni, respiri e passi diventano note di uno stesso pentagramma che scrive e per sempre ricorda la melodia infinita, struggente e straordinaria dell’uomo nel mondo.

 Il religioso silenzio con cui il pubblico dell’Auditorium ha assistito alle due ore di Puz/zle è quello inconsueto di un’empatica partecipazione ad un evento collettivo ma intimo, condiviso eppure profondamente interiore. Non sorprende dunque l’esplosione di applausi che al termine dello spettacolo ha più volte richiamato in scena danzatori, musicisti e cantanti ringraziando la sensibilità e la generosità del giovane coreografo Sidi Larbi Cherkaoui e il suo meraviglioso ensemble.

Fourzine-14 févr. 2013

hamburg

28.02.13

Der Choreograf bringt Steinplatten zum TanzenGoogle Anzeige

Hamburg. Der spirituelle Meisterchoreograf Sidi Larbi Cherkaoui vollendet in "Puz/zle" seine rituelle Trilogie der (Tanz-)Spiele mit der Materie und dem Menschen. In "Sutra" - ebenfalls auf Kampnagel - entwarf er mit Antony Gormleys mobiler Installation und Shaolin-Mönchen eine Meditation über den Lebenszyklus zwischen Geburt und Tod. In "Babel(words)" beleuchtete er komödiantisch das Scheitern des humanen und sozialen Miteinanders der in unterschiedliche Sprach- und Religionskreise zerfallenden Menschheit. In "Puz/zle" führt er jetzt Motive der Stücke fort, fügt das Mosaik der Einzelbilder über Glaubens-, Größen- und Heldenwahn zu einem Bewegungsfries, das ironisch menschliche Unbelehrbarkeit illustriert.

Rastlos bauen die Tänzer die Würfel und Steinplatten aus leichtem Spezialstyropor zu Tempeln, Burgen oder Denkmälern, zerstören sie, um wieder neu zu beginnen. In den Soli zu Kazunari Abes Flötenspiel, zu Gesang des korsischen Männersextetts A Filetta oder den Lamenti der libanesischen Mezzosopranistin Fadia Tomb El-Hage demonstrieren sie ihre akrobatischen Körperkünste und bringen zu guter Letzt noch die Steinplatten zum Tanzen. Das Publikum bedankte sich mit Jubel und Klatschchor.

"Puz/zle" bis 28.2., jeweils 20.00, Kampnagel, Restkarten unter T. 27 09 49 49

Hamburger Abendblatt-27 févr. 2013

 

hamburg

Tanztheater "Puz/zle" erzählt virtuos von den Wurzeln des Lebens

Kampnagel. Beim Festival d'Avignon 2012 feierte die neue Tanztheater-Produktion von Sidi Larbi Cherkaoui mit dem Titel "Puz/zle" eindrucksvolle Premiere vor der Kulisse eines mediterranen Steinbruchs. Wie aus dem Fels der Menschheitsgeschichte gehauen, ist auch die tänzerische Erzählung des marokkanisch-belgischen Choreografen, um den sich derzeit alle Häuser reißen. Von Dienstag bis Donnerstag gastiert "Puz/zle" auf Kampnagel. Für alle Vorstellungen gibt es noch Restkarten an der Abendkasse.

Virtuos erzählen ein fantastisches elfköpfiges Solisten-Ensemble, das korsische Männergesangssextett A Filetta, die libanesische Mezzosopranistin Fadia Tomb El-Hage und der japanische Multi-Instrumentalist Kazunari Abe von den Wurzeln des Daseins und den Quellen menschlicher Konflikte, zwischen Orient und Okzident, Religion und Säkularisierung. Sie verhehlt allerdings auch nicht, dass sie mithilfe von Bildern und musikalischem Pathos überwältigen will.

Sidi Larbi Cherkaoui: "Puz/zle" Di 26.2.-Do 28.2., jew. 20.00, Kampnagel/k6 (Bus 172, 173), Jarrestr. 20, Restkarten zu 12,- bis 32,- an der Ak.; www.kampnagel.de

Janvier 2013

puzzle

Puz/zle : le Théâtre de Nice s’ouvre à la Danse

Publié le 9 janvier, 2013 - 17:54 par Emmanuel Maumon

La danse à l’honneur jusqu’à samedi au Théâtre National de Nice avec Puz/zle, la dernière création de Sidi Larbi Cherkaoui. Un spectacle pour onze danseurs, 7 chanteurs et un musicien dans lequel Sidi Larbi Cherkaoui renoue avec la sobriété visuelle d’une écriture centrée sur le corps dansant, avec un gros travail autour du mouvement et du rythme. La pièce est par ailleurs sublimée par la sidérante majesté des chants de l’ensemble vocal corse A Filetta et de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage.

Jusqu’à samedi, le Théâtre National de Nice ouvre sa scène à la Danse en présentant Puz/zle, la dernière création du chorégraphe belge d’origine marocaine Sidi Larbi Cherkaoui. Une création qui fût l’un des événements du dernier Festival d’Avignon durant lequel elle a été présentée dans le site grandiose de la Carrière de Boulbon qui, après la Cour d’Honneur du Palais, constitue désormais le second grand mur à conquérir de la Cité des Papes. Puz/zle est un spectacle pour onze danseurs, 7 chanteurs et un musicien dans lequel Sidi Larbi Cherkaoui renoue avec la sobriété visuelle d’une écriture centrée sur le corps dansant, avec un gros travail autour du mouvement et du rythme. Le chorégraphe cherche notamment à comprendre la manière dont les mouvements peuvent être segmentés ou fragmentés, et dont ils peuvent ensuite être réunis différemment dans un cadre rythmique spécifique.

L’apport vocal d’A Filetta

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La scénographie est construite autour de la pierre, à partir d’un besoin de faire danser les choses les plus statiques et de faire vivre ce qu’il y a de plus inanimé. Les danseurs, vaillants travailleurs de force, n’en n’ont ainsi jamais fini de construire et de déconstruire le décor, de le recevoir sur la tête pour mieux continuer à l’escalader ailleurs et autrement. Cailloux bons à frapper l’autre ou à faire de la musique, Sidi Larbi Cherkaoui met en scène une équipée spirituelle au long cours qui au final laisse un seul survivant, un homme presque nu couvert de poudre blanche. L
e spectacle est par ailleurs sublimé par la sidérante majesté des chants de l’ensemble vocal corse A Filetta et de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage. Les sept voix emplissent l’espace comme on souffle doucement dans un ballon.
Une pénétration toute en finesse avec une texture polyphonique limpide et une ampleur élastique qui étreint dans un même élan le répertoire traditionnel corse et oriental des interprètes.     

Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui – Théâtre National de Nice – Salle Pierre Brasseur – Promenade des Arts Nice – Mercredi 9, Vendredi 11 et samedi 12 janvier à 20h30. Jeudi 10 janvier à 19h30.

Octobre 2012

Steinalt und auf Krücken zum Schattenspiel von kulturvollzug


Ein Steckspiel aus Steinen, geisterhafte Leinwände, Krücken und Rollatoren: In den ersten vier Tagen des Dance-Festivals wurde nicht mit Schaueffekten gegeizt. Sidi Larbi Cherkaouis "Puzzle", in einem Steinbruch bei Avignon uraufgeführt, eröffnete das Festival mit fulminanten Corpsszenen. Es folgten Richard Siegals rätselhafte Uraufführung "Black Swan" und Marie Chouinards "Body Remix".

Man darf sich keine Illusionen machen, in einer herkömmlichen Theaterumgebung verblasst die Wirkung des viel gelobten "Puzzle" zu einem guten Teil. Trotz Grillenzirpens vom Band entfalten die Beleuchtung und die Filmprojektionen keine so spektakuläre Wirkung wie unter dem südfranzösischen Himmel. Dramatisch ist der Unterschied bei der musikalischen Begleitung: Dem korsischen Chor A Filetta und der libanesischen Sängerin Fadia Tomb El-Hage fehlt es im geschlossenen Theatersaal schmerzlich an Weite für ihre Stimmgewalt.

Ein großer Wurf bleibt „Puzzle“ trotzdem. Mensch und Materie ist das Thema, und Cherkaoui manifestiert es beeindruckend an einem Puzzleset aus großen Blöcken, kleinen Würfeln und Pflastersteinen. Seine elf Tänzer beten die Steine an, folgen ihnen, wollen in sie hinein kriechen oder schieben sie zu fantasievollen Bauwerken neu zusammen. Es ist erstaunlich, wie sorgfältig und genau diese Volksszenen choreografiert sind. Synchronizität und perfektes Zusammenspiel waren bisher kein Kennzeichen des zeitgenössischen Tanzes, nun hat sich jemand darauf besonnen. Das Ergebnis sind spektakuläre Effekte. Es umgibt sich etwa eine Gruppe mit einer Mauer aus Steinblöcken, wirft diese dann explosionsartig beiseite und trägt nur noch eine Tafel mit einer Tänzerin obenauf. Zur Flöte des Japaners Kazunari Abe gelingen hoch ästhetische Bilder. Die Gruppenszenen sind dabei den Solos und Pas-de-Deux weit überlegen, es wird gerollt, getaumelt, gehüpft, in herrlichster Eintracht. Nur Teamgeist lässt den Menschen in der Materie bestehen!

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Puzzle: Die Partie Mensch gegen Stein im Blickpunkt (Bild: Koen Broos)

Dass sich Cherkaoui gegen Ende verfranzt, seine Protagonisten von Bildhauern wie Steine schlagen lässt, unbedingt noch ein steinernes Herz brechen und steinerne Tränen weinen lassen muss, tut dem Stück weniger gut. Fast zwei Stunden Spielzeit kommen dabei heraus, was, nicht zuletzt auch angesichts des intensiven Gesangs, zu lang ist. Die immer neuen Arrangements der Steine, die anfangs, ästhetisch beleuchtet, erstaunen (Bühne: Filip Peeter, Licht: Adam Carrée), werden dabei schleichend zum Ausdruck vergeblicher Mühe und endloser Sinnsuche. Der Ungewöhnlichkeit von „Puzzle“ tut das aber keinen Abbruch. Wann hat sich der Tanz, der die Materie doch stets überwinden wollte, schon zum Stofflichen bekannt?

Richard Siegal, Choreographer in residence  an der Muffathalle, ließ mit seiner Uraufführung von "Black Swan" dagegen Teile des Publikums ratlos zurück.mVielleicht hätte man von "Rent an Expert" Gebrauch machen sollen, jenem Expertenservice, der bei Dance 2012 angeboten wird: Man kann da einen Tanzwissenschaftler anheuern, der einem erklärt, was man eben gesehen hat. Bei Siegal hätte man auch noch einen Anglizisten gebraucht, einen Lyriker, einen Musikwissenschaftler, einen Multimediamann und einen Philosophen. Vielleicht war das Problem, dass der hervorragende Tänzer Richard Siegal zu wenig tanzte und zu viel wollte: einen Diskurs über das Wesen der Choreografie anstiften und dazu noch die Welt erklären. Und das, wie im Höhlengelichnis, durch Projektionen auf einen weißen Tuchzylinder, der von der Decke der Muffathalle herabhängt.

Source :

Juillet 2012

Dans les coulisses de "Puz/zle" de Sidi Larbi Cherkaoui

Source : TF1 le 28 juillet 2012

Avignon accueillait cette année les danseurs de Sidi Larbi Cherkaoui. TF1 News a eu le privilège de se glisser dans les coulisses pour vivre avec la troupe les heures séparant les premiers échauffements de l'éclat des applaudissements quand s'éteignent les projecteurs.

Le bus nous attendait, la troupe était déjà là. Danseurs, chanteurs, musiciens, techniciens, assistants chorégraphes. Tenues décontractées et sacs volumineux. Il fait chaud à Avignon, 29°. Il ne reste plus que deux représentations avant la fin du séjour. La troupe est fatiguée. Les deux semaines passées dans la carrière de Boulbon située à une quinzaine de kilomètres ont été passionnants, mais très éprouvants. Le décor naturel est magnifique, mais rude. Les écarts de température entre les journées caniculaires et les nuits fraiches ont secoué les corps, mis à rude épreuve ici par des heures de travail intense et fragilisé les voix. 

Dans la carrière, quelques baraques en bois, alignées, servent de lieux de vie aux artistes. Les danseuses ont leur loge, les danseurs aussi. Celle du groupe polyphonique corse A Filetta jouxte celle de la chanteuse libanaise Fadia Tomb el-Hage. Les costumières étalent leurs richesses dans un espace plus large et lumineux. Elles travaillent à remettre en état les vêtements mis à mal à chaque représentation, la carrière est si poussiéreuse.

17 heures 45, c'est l'heure du repas. Les danseurs ne peuvent pas danser l'estomac plein. Tout le monde fait la queue. Les plats sont délicieux, variés, il y a de nombreux végétariens ici. Sur des tables en bois, les groupes se forment. On entend parler toutes langues. La compagnie est un brassage culturel à l'image du monde d'aujourd'hui : flamand, islandais, portugais, coréen, japonais, libanais, corse. Les conversations vont bon train, sans heurts, ni éclats de voix.

Inlassablement les corps se plient, s'élancent, virevoltent

L'atmosphère est douce, calme. Peut-être peut-on deviner une imperceptible tension, où est-ce la concentration qui commence à se mettre en place, car dans quelques heures, 1500 spectateurs auront les yeux braqués sur ces artistes.

La chanteuse Fadia Tomb el-Hage grippée est inquiète pour sa voix. Elle part sur les hauteurs de la carrière pour échauffer ses cordes vocales. Il est 19 heures, les 11 danseurs sont maintenant sur scène. Nienke Reehorst, l'assistante de Sidi Larbi Cherkaoui, revoit, corrige avec eux durant plus d'une heure, des scènes, des pas, des mouvements. Inlassablement les corps se plient, s'élancent, virevoltent. Le groupe A Filetta installé dans les gradins, observe la scène en attendant leur tour pour les réglages du son, pendant qu'à l'arrière les techniciens règlent les éclairages et installent le décor de grands blocs de pierre. Une étrange sérénité plane sur ce lieu. La grande machinerie du spectacle se met en place sans énervement, sans cris.

Ce n'est pas la première fois que le groupe A Filetta partage la scène avec une troupe de danseurs. Une expérience intéressante, un autre espace scénique à appréhender. C'est le troisième spectacle de Cherkaoui auquel ils participent. Jean Claude Acquaviva a composé une partie de la musique, et a inclus dans ce groupe d'hommes une voix de femme. Avec le chorégraphe flamand, l'entente est totale,  ils partagent écoute et respect mutuel. Dans les loges, les six chanteurs tuent l'attente en surfant sur le net, tandis que les danseurs s'échauffent encore et encore. Les corps sont magnifiques. Les musculatures parfaites pour les hommes, les femmes sont souples, aériennes. 

L'heure tourne, Fadia commence à se maquiller et à s'habiller. Les corses enfilent en silence leur costume noir. Il n'y a aucune effervescence. Tout se déroule dans un calme sidérant. Peut-être est ce l'influence de Cherkaoui qui a réussi à insuffler à sa compagnie, cette philosophie zen qu'il pratique. 

Ensembles dessinant des arabesques parfaites, solos impressionnants de maîtrise et de poésie

Dehors, derrière les palissades, c'est un autre monde. Les spectateurs commencent à affluer. Bruits, agitation. Le public du festival d'Avignon connaisseur et exigeant attend, s'impatiente. 

A 22 heures, la nuit est enfin tombée. Musique. D'abord plongés dans le noir, une vidéo est projetée sur la scène. Par la magie des éclairages, la carrière de Boulbon, devient un théâtre naturel somptueux. On a très fort le sentiment d'être les privilégiés d'une représentation exceptionnelle. Durant deux heures, ce sera une explosion des corps, ensembles dessinant des arabesques parfaites, solos impressionnants de maîtrise et de poésie. Venu des hauteurs de la carrière, un chant profond, originel, qui a traversé les âges, accompagné des percussions et de la flûte de Kazunari Abe, enveloppe cette danse qui interroge les liens entre héritage, tradition et modernité.

Les applaudissements crépitent sous les étoiles de cette douce nuit d'été, le spectacle a emballé le public. Les danseurs arrivent en nage dans leurs loges, épuisés. Tout le monde affiche un sourire heureux. Le pari a été gagné encore une fois. Sidi Larbi Cherkaoui, casquette vissée sur la tête, d'une voix douce, commente, analyse, décrypte ce qui vient de se passer. Minuit et demi, dernier diner en commun. Le bus attend pour le retour. La carrière s'est vidée, elle résonne encore du chant et des pas de danse.

 
Une cinquantaine de représentations de « Puz/zle »  sont déjà prévues en France et dans toute l'Europe pour les mois à venir.

cherkaoui

Avignon : on y danse, on y danse !

Par Armelle Héliot le 13 juillet 2012 10h45

Il y a des journées heureuses pour le festivalier. On commence à 10h du matin à la Condition des soies, on termine à 22h dans la Carrière de Boulbon. De jeunes artistes à découvrir dans L'Angle mort et Douve, deux solos, un grand chorégraphe dans l'accomplissement de son art avec Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui.

La Condition des soies est une des très bonnes adresses d'Avignon off. Les très troupesbonnes troupes de Taïwan y prennent leurs quartiers d'été depuis plusieurs années et il est très intéressant de découvrir les spectacles de ces compagnies, entre danse, théâtre, musique, cération vidéo.

Dans l'espace central, pénombre et fraîcheur, haute voute où se fit longtemps le travail de la soie avec vers à soi, cocons, feuilles de mûrier, etc...ont été présentés deux solos très beaux qui mettent en valeur le temps de tout jeunes artistes.

L'Angle mort, solo de Nans Martin, très beau, très élégant et aristocratique danseur, sur une chorégraphie de Camille Ollagnier sur des musiques de Jeff Buckley & LCD Sound System

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La photo ne correspond pas exactement à la version d'Avignon, mais elle donne une juste idée de la chorégraphie de Camille Ollagnier, tout en étirements et figures subtiles du corps, accélérations. Profil comme silhouette, la rigueur de ligne du danseur est accordée à ces mouvements. Il promet, Nans Martin ! 

Comme promet, dans la radieuse beauté de sa jeune énergie, Tatiana Julien, robe longue noire à dos nu, pieds nus, visage dégagé, regard ferme, autorité de tout l'être.

Dans Douve, un solo qu'elle a écrit, vingt minutes (contre 18 pour L'Angle mort) elle utilise à merveille l'espace rond, la proximité troublante avec le public. Sur les musiques de Pedro Garcia Velasquez et sous le regard d'Alexandre Salcède, collaborateur "littéraire", cette danse "parle". Forte personnalité de Tatiana Julien.

 

Une programmation élaborée avec Micadanses, Paris.

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Ce qui est intéressant c'est que la danseuse-chorégraphe fait partie des jeunes artistes associés au Réseau Kadmos qui réunit, à l'initiative d'Hortense Archambault et Vincent Baudriller, les directeurs du festival d'Avignon, le festival d'Athènes-Epidaure, le festival Grec de Barcelone, Festival international de Théâtre d'Istanbul et celui d'Avignon, tête de pont.

Ce réseau existe depuis 2008. Il est soutenu par la Fondation BNP-Paribas pour le développement de ses projets depuis 2010. Nous reparlerons plus précisément de cette politique de mécénat.

Ces voyages forment la jeunesse. Sidi Larbi Cherkaoui voyage énormément avec sa compagnie Eastman et le monde entier connaît ses chorégraphies. Lui aussi est soutenu par la Fondation BNP-Paribas et la conférence de presse donnée avant-hier par Martine Tridde Mazloum en présence notammentd' Emmanuel Gat, aidé par la Fondation-BNP-Paribas, était particulièrement intéressante.

Dans la carrière de Boulbon, jamais un spectacle, si l'on excepte l'inoubliable Mahabharata, évidemment, qui "inventa" la carrière, ne s'était si bien lové au creux des hautes parois, jamais un artiste n'avait si bien pris la mesure de l'espace.

Puz/zle que vous reverrez en "intérieur" plus tard, et sans que la pièce ne perde sa force, car elel est d'une cohérence magnifique, Puz/zle est une pièce pensée pour la carrière et que ce soit les chanteurs qui parfois surgissent, haut perchés, ou les projections fabuleuses de vidéo, vers la fin, la fluidité des formes et les mouvements des onze danseurs, en noir d'abord, petites fourmis qui construisent et déconstruisent en des figures superbes et souples, musique, voix, mouvements, images, lumières, jusqu'à la nature même, la minéralité sans brutalité de l'espace, tout subjugue.

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Pardon pour la photo mais qui donne une idée en attendant. Elle est Koen Broos. Mais ici en mauvaise définition pour le blog !

Citons les onze danseurs dont trois femmes : Navala Chaudhari, Leif Federico Firnhaber, Damien Fournier, Ben Fury, Louise Michel Jackson, Kazutomi Kozuki, Nicola Leahey, Sung-Hun Lee, Valgerdur Runarsdottir, Helder Seabra, Elie Tass, Michael Watts. Ils sont essentiels dans la grâce, la précision, la fludité, la puissance, la présence.

Saluons, magnifique, la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage, le percussionniste et flûtiste japonais Kazunari Abe, l'un des compositeurs avec Jean-Claude Acquaviva duGroupe A Filetta, Olga Wojciechowska, tous ces artistes s'accordent pour ce fascinant Puz/zle.

Une autre photo de Koen Broos

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Saluons encore le groupe A Filetta et ses chanteurs, Jean-Claude Acquaviva, Ceccè Acquaviva, Jean-Luc Geronimi, Paul Giansily, Jean Sicurani, Maxime Vuillamier.

Tous ces talents liés, ligués, édifient littérament le Puz/zle, manipulant de grandes pièces légères, qui ne fatiguent pas les corps mais tiennent aux brises..Au grand vent ce serait peut-être autre chose...

Temple ou prison, tombeau ou escalier, les monuments apparaissent et se défont. Construction, déconstruction...Sidi Larbi Cherkaoui dit que lorsqu'il a visité la carrière, il a été frappé par l'opposition entre les murailles minérales et par l'érosion du vent, des météores en général, de la chaleur et du froid, de l'humidité qui fait que les blocs s'effondrent d'eux-mêmes, et l'activité vive et indéchiffrable aux regards novices, des fourmis qui s'agitent sans cesse dans la carrière...

On peut se laisser porter par les voix superbes, envoutantes, le mouvement et entendre bien d'autres choses.

Un grand artiste comme Sidi Larbi Cherkaoui donne à voir mais délivre aussi sa pensée sur le monde. Il est à la fois européen (Flamand installé à Anvers) et du sud de la Méditerranée. Il est du monde. Le Japon, le Liban, la Corse, s'allient pour dilater l'espace de la carrière jusqu'au ciel étoilé.

L'un des plus beaux des spectacles d'Avignon aussi parce qu'il est gorgé de sens et qu'il parle conflit et entente, paix et guerre, Babel des langues et babillages de la vie. Une grande pièce que l'on aura l'occasion de commenter souvent...

Source : Figaro blog, Le grand théâtre du monde

Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui à la carrière de Boulbon© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Sidi Larbi Cherkaoui investit la pierre à Avignon

Par Culturebox (avec AFP)  Publié le 12/07/2012 à 19H55

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Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui à la carrière de Boulbon© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui présente au Festival d’Avignon sa dernière création, « Puz/zle », dans le cadre grandiose de la carrière de Boulbon. Les pierres du site, en pleine garrigue, l’ont inspiré, pour ce spectacle qui mêle danseurs et musiciens. Elles lui sont apparues comme « l’éclatement d’un puzzle »

"Tous ces morceaux de pierre, j'avais l'impression d'un puzzle qu'on pourrait assembler pour créer une montagne", raconte-t-il, lors d’un entretien avec l’AFP. Il dit avoir  éprouvé "le besoin de rendre vivantes ces pierres"."Il y a quelque chose de  très fort dans cet élément à l'opposé de la chair", juge-t-il.

"Je me sens faire partie d'une génération d'artistes qui ont quelque chose à voir avec la carrière de Boulbon", affirme Sidi Larbi Cherkaoui  qui vient  pour la quatrième fois dans la Cité des papes.

C’est Peter Brook qui avait découvert la carrière, où il joua son « Mahabharata », spectacle fleuve tiré de la grande épopée hindoue, en 1985. Depuis, le lieu situé à une quinzaine de kilomètres d’Avignon, accueille des spectacles du Festival.

Onze danseurs, sept chanteurs et un percussionniste et flûtiste
Pour Sidi Lardi Cherkaoui, la carrière s’apparente à "un cratère" où il "voyait les danseurs  comme des fourmis qui essaient de trouver un ordre", dit-il. Onze danseurs participent à la chorégraphie, accompagnés par six chanteurs corses du groupe A Filetta, d'une chanteuse libanaise, Fadia Tomb  El-Hage, et d'un percussionniste japonais, Kazunari Abe, également flûtiste. "Les chanteurs corses, c'est comme des grands frères", déclare Sidi Larbi  Cherkaoui  qui a déjà travaillé à deux reprises avec eux.

Cet assemblage artistique est aussi lié, selon lui, au fait de se trouver dans le sud de la France: "La musique corse chante les montagnes, c'est une réponse à la géographie", loue-t-il. Il a choisi Fadia Tomb El-Hage parce qu'il sentait un" rapport avec le fait d'être emmuré" et pensait "aux murs entre Israël et le Liban".

Musique populaire, danse contemporaine et arts traditionnels
"Quand je voyais ces pierres, j'aimais beaucoup le rapport de ces six  hommes qui chantent comme une voix parce que leurs voix se mélangent de telle manière que ça devient une pensée et Fadia qui chante toute seule comme tout un choeur", s'émerveille-t-il.

Musique populaire, chants sacrés, danse contemporaine et arts traditionnels du monde entier se mêlent dans le travail du chorégraphe, flamand par sa mère et marocain par son père.

A 36 ans, il appartient à la génération montante des chorégraphes flamands formés notamment à l'école d'Alain Platel et d'Anne Teresa de Keersmaeker. Il a fondé en 2010 sa propre compagnie, Eastman, et vient de présenter à Paris une création, "Tezuka", inspirée par l'auteur culte de mangas japonais.

Puz/zle, Sidi Larbi Cherkaoui, Carrière de Boulbon, à 22h, tous les soirs du 10 au 20 juillet
Pour ceux qui ne sont pas à Avignon, le spectacle sera diffusé en direct sur Arte le 14 juillet

 

www.east-man.be

 

Sidi Larbi Cherkaoui façon "Puz/zle"

Par Rosita Boisseau (Avignon, envoyée spéciale) LE MONDE ǀ 12.07.2012

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Une scène de "Puz/zle" de Sidi Larbi Cherkaoui le 9 juillet dans la Carrière de
Boulbon, dans le cadre du Festival d'Avignon. ǀ AFP/GERARD JULIEN

Gris, gris et gris. Gris, le décor de gros blocs et de murs empilés sur le plateau et censés imités la pierre. Gris, les pavés qui entourent la scène et se retrouvent entre les mains des interprètes. Grise, la poussière qui strie leurs costumes noirs. Avec Puz/zle, spectacle pour onze danseurs, sept chanteurs et un musicien en direct, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, inspiré par la minéralité de la Carrière de Boulbon où se déroule la pièce, renoue avec la sobriété visuelle d'une écriture centrée sur le corps dansant.

La vie comme une carrière à creuser, encore et encore ! A la mine comme à la mine, les interprètes, vaillants travailleurs de force, n'en ont jamais fini de construire et déconstruire le décor, de le recevoir sur la tête pour mieux continuer à l'escalader ailleurs et autrement. La vie, quoi !

Un puzzle sans cesse en cours de fabrication dont on arrondit parfois les angles à défaut de pouvoir changer les morceaux. Et la roue tourne, toujours la même, jamais identique. Eternel combat et sempiternel recommencement du combat auquel Cherkaoui donne parfois des accents connus d'avance ou surligne d'un trait trop épais.

Artiste suractif au point d'en faire toujours un peu trop - le spectacle atteint presque les deux heures et gagnerait à plus de sécheresse -, Cherkaoui préférera toujours aller jusqu'au bout de ses obsessions.

Avec Puz/zle, le chorégraphe belgo-marocain maintient la pression sur le front d'un humanisme mystique qui cherche sa signature sur scène depuis le début des années 2000. Il rappelle ici la nécessité de l'adaptation, la richesse du changement et de la réversibilité de toutes choses.

Cailloux bons à frapper l'autre ou à faire de la musique, naissance et mort tatouées sur le même visage, il met en scène une équipée spirituelle au long cours qui laisse un seul survivant, un homme presque nu couvert de poudre blanche. Catastrophe naturelle ou autre accident, aux prises avec les courts-circuits de l'existence, l'être humain se régénère parfois de façon imprévisible.

Sidérante majesté des chants

Le vrai luxe de ce spectacle incrusté dans la roche de la Carrière de Boulbon réside dans la sidérante majesté des chants de l'ensemble vocal masculin A Filetta, complice de Cherkaoui depuis 2003, et de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage. Posé d'abord en hauteur, sur le flanc de la carrière, le groupe, dont on se demande d'abord où il se dissimule, semble surgir de la pierre.

Les sept voix, dont une seule féminine, emplissent l'espace comme on souffle doucement dans un ballon. Pénétration dans l'air toute en finesse, texture polyphonique limpide, une ampleur élastique qui étreint dans un même élan le répertoire traditionnel corse et oriental des interprètes. Quant au flûtiste et percussionniste japonais Kazunari Abe, ancien interprète du groupe Kodo, qu'il griffe l'air ou le frappe, il tétanise.

La danse reprend dans Puz/zle le dessus sur le texte et les histoires qui trouent régulièrement le tissu spectaculaire de Cherkaoui. Si elle glisse toujours en douce des bribes de récits - sur la différence, l'amour de soi et son contraire, la tolérance... -, elle le fait ici en cherchant des trajets physiques inédits, insolites.

Le style plié, cassé, tordu de Cherkaoui, jamais loin de la contorsion à force d'acrobaties et de déséquilibres, en dit long sur l'increvable besoin de se cogner à ses limites et de les exploser. En duo ou en groupe, le mouvement relance une chaîne humaine flexible qui fait l'identité chorégraphique de Puz/zle et sa saveur cosmique.

 

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Sidi Larbi Cherkaoui construit à Avignon un "Puz/zle" en harmonie avec la nature

Sur le pont, en Avignon ǀ "Puz/zle", du chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui, met en scène des interprètes hors pair dans un site naturel faisant partie intégrante du spectacle.

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Puz/zle de Sidi Larbi, Avignon 2012. © Hiely Cyril/MAXPPP

Avant que la lumière n'éclaire la scène, on aperçoit son ombre minérale et massive : l'immense falaise de la carrière de Boulbon, comme un deuxième « mur » à conquérir – après celui de la Cour d'honneur – pour les artistes invités à créer au Festival d'Avignon… Ce site naturel, le chorégraphe anversois Sidi Larbi Cherkaoui voulait en faire son allié et il a réussi : la pierre, comme une pièce du Puz/zle qu'il invente dans l'espace est un matériau ultra-présent dans les mains des danseurs. Qu'ils manipulent les rectangles en volume du décor figurant de grandes dalles ou les petits pavés, bien réels ceux-là, qu'ils tapent comme des percussions et alignent en de mouvantes constellations, tout est raccord, comme souvent chez Cherkaoui qui pense le moindre détail…

Bien vue aussi l'entrée en scène (pas tout de suite, mais comme une belle surprise que l'on ménage) des interprètes musiciens placés à mi hauteur, sur une marche de la falaise… La flûte traditionnelle de Kazunari Abe est saisissante tout comme les voix a cappella du groupe corse A Filetta et de la chanteuse de musique ancienne moyen-orientale Fadia Tomb el-Hage. En contrebas, les chaînes dansées par les silhouettes en sarouel noir des interprètes sont à l'unisson. Corps s'arrachant les uns des autres, fusionnant en volutes ou s'isolant comme la voix féminine souvent en contrepoint du chœur des hommes…

Cherkaoui s'est inspiré des mouvements de la nature (atomes, chaîne ADN, virus) et du désordre apparent qui la domine. Cette première partie offre en effet une chorégraphie d'attraction-répulsion, graphique et énergique, menée par des interprètes hors pair qui se suffit à elle-même. Mais tout se gâte avec un changement de costumes ! Sur un décor soudain transformé en ruines et colonnades, les voilà parés de basques à l'antique coupées dans des draps blancs. Ils s'agglutinent en bas-relief, créent des images appuyées et finissent par ressembler à des Babyloniens échappés d'un péplum américain… Et l'on a soudain l'impression que Cherkaoui nous raconte l'histoire de l'humanité version Cecil B. De Mille ! Désolant.

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Puz/zle de Sidi Larbi, Avignon 2012. © Hiely Cyril/MAXPPP

Ouf ! La troisième partie abandonne ce folklore, décontextualise la danse pour revenir au mouvement… Les danseurs finissent d'ailleurs par arborer des costumes de ville qui leur vont bien. Short, tee-shirt, chemise et basket. Et l'on a droit à des passages sublimes. L'œil de Cherkaoui est capable de dessiner avec ses interprètes la plus fine des danses. Prenez ce jeune Sud-Coréen de 20 ans, Sang-Hun Lee, par exemple : son solo soutenu par la flûte d'Abe est aérien et léger, même s'il se déroule le plus souvent au sol. Il reste à terre comme vidé jusqu'à ce qu'un autre danseur vienne lui réinsuffler la vie dans un superbe duo. Preuve éclatante que Sidi Larbi Cherkaoui ne doit pas craindre la sobriété…

A voir au Festival d'Avignon (du 7 au 28 juillet 2012) Puz/zle, chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, jusqu'au 20 juillet 2012, à 22h, Carrière de Boulbon. Diffusion en direct sur Arte samedi 14 juillet à 22h10.

Télérama, 12/07/2012 - Emmanuelle Bouchez

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Le « puz/zle » minéral de Sidi Larbi Cherkaoui à Avignon

Le chorégraphe belge s’offre le cadre majestueux de la carrière de Boulbon pour une pièce inspirée de l’élément minéral et du morcellement des choses. 

Une nouvelle réussite esthétique, qui manque parfois un peu de chair et d’émotion.

Sidi Larbi Cherkaoui est un magicien qui sait comment ravir le public du festival d’Avignon. Une fois de plus, avec Puz/zle , il lui suffit de quelques secondes pour capter, et charmer, les sens des spectateurs. La création du jeune chorégraphe belge est en soi non pas un mais plusieurs puzzles, dont il se fait le grand ordonnateur. 

La scénographie est un vaste de jeu de constructions, qui rappelle les boîtes de Sutra créé par Cherkaoui à Avignon en 2008 avec les moines Shaolin, que les danseurs font et défont tout au long de la pièce. La musique, pépite de cette création, forme également un puzzle réunissant les chanteurs polyphoniques corses du groupe A Filetta, la chanteuse libanaise Fadia Tomb El Hage et le musicien japonais Kazunari Abe. 

Entre eux, l’harmonie est telle que les différences disparaissent pour donner à entendre une partition éblouissante. Les onze danseurs sont aussi, chacun dans sa spécificité de physique et de style, les pièces d’un fascinant puzzle humain. Le travail du groupe est extraordinaire, particulièrement au début du spectacle, lorsqu’il se déploie sur une file en escalier. 

Les corps mis à l’épreuve

On se laisse envoûter par le ballet reptilien de cette étrange colonne vertébrale. Plus tard, les individus se détachent, pour des petites formes, des solos véloces et des duos morcelés. Une kyrielle de sauts, chutes et tours met les corps à l’épreuve. La chorégraphie enchante par sa fluidité mais convainc moins lorsque, peu inspirée, elle s’aventure vers le ralenti et un vocabulaire mécanique.

Puz/zle est une pièce fleuve où s’engouffrent les préoccupations fondamentales de Sidi Larbi Cherkaoui. Toujours en questionnement, il convoque le spirituel pour une cérémonie panthéiste en hommage à l’élément minéral. Il interroge la complexité du monde et des rapports humains, la difficulté de chacun à faire l’unité de sa vie. 

À Boulbon, Puz/zle a trouvé son écrin. Les ombres des danseurs se projettent sur les parois monumentales et les blocs du décor entrent en résonance avec le minéral millénaire de la carrière. L’élément inspire le chorégraphe. Il évoque la pierre qui blesse et enferme, les murs capables de séparer et de tuer, mais aussi le roc, matériau des sculpteurs, comme le corps est celui des chorégraphes.

Une pointe de regret

Avec cette création, Cherkaoui fait sans risque la démonstration d’un savoir-faire désormais bien balisé. Le mariage harmonieux des voix, de la flûte et de ces corps habités tient le spectateur en haleine jusqu’aux derniers instants de la pièce. C’est beau, très beau même. Trop, peut-être, car l’on repart avec une pointe de regret, le sentiment que cette parfaite maîtrise esthétique peut aussi constituer un frein à l’émotion. 

Marie-Valentine Chaudon

 

Festival d'Avignon: une chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui en forme de puzzle

Nouvel Observateur, 11-07-2012

 

Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, qui présente au Festival d'Avignon sa dernière création dans le cadre grandiose de la carrière de Boulbon, en pleine garrigue, a été inspiré par ce lieu où les pierres lui apparaissent comme "l"éclatement d'un puzzle".

puzzle

Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, qui présente au Festival d'Avignon sa dernière
création dans le cadre grandiose de la carrière de Boulbon, en pleine garrigue,
a été inspiré par ce lieu où les pierres lui apparaissent comme "l"éclatement d'un puzzle".

"Puz/zle", programmé à partir du 10 juillet, est le nom donné à sa chorégraphie. "Tous ces morceaux de pierre, j'avais l'impression d'un puzzle qu'on pourrait assembler pour créer une montagne", évoque-t-il. Il dit avoir éprouvé "le besoin de rendre vivantes ces pierres"."Il y a quelque chose de très fort dans cet élément à l'opposé de la chair", juge-t-il.

La carrière de Boulbon, située à une quinzaine de kilomètres d'Avignon, est utilisée comme lieu de spectacle dans le cadre du Festival d'Avignon depuis sa découverte en 1985 par le metteur en scène britannique Peter Brook, qui y a joué "Le Mahabharata".

"Je me sens faire partie d'une génération d'artistes qui ont quelque chose à voir avec la carrière de Boulbon", affirme Sidi Larbi Cherkaoui qui vient pour la quatrième fois dans la cité des papes.

Chaos

Pour lui, la carrière s'apparente à "un cratère" où il "voyait les danseurs comme des fourmis qui essayent de trouver un ordre", dit-il.

Sidi Larbi Cherkaoui, qui s'interroge sur le besoin d'ordre chez l'être humain, avoue qu'en tant que chorégraphe, il est également "obsédé" par celui-ci. Selon lui, "les danseurs sur scène essaient d'ordonner le chaos" jusqu'à obtenir un ordre glacé immédiatement remis en cause.

Mais pour l'artiste qui s'inscrit en permanence dans le mouvement, "ordre et chaos, c'est pareil. Tout dépend de la capacité à regarder".

Le chorégraphe se méfie de ce qui "fige le regard". "En tant qu'être humain, on cherche un sens et on a tendance à penser qu'un sens est quelque chose qui ne bouge plus, un endroit fixe. Je crois plutôt qu'un sens est une direction, un mouvement, non un espace ou un objet à conquérir", décrit-t-il.

"Je crois que c'est la recherche de l'ordre qui est importante. C'est pour cela que le spectacle s'appelle puzzle. Un puzzle n'existe que quand toutes les pièces ne sont pas encore à leur place. Quand tout est à sa place, ce n'est plus un puzzle, c'est une image"

Onze danseurs participent à cette chorégraphie, accompagnés par six chanteurs corses du groupe A Filetta, d'une chanteuse libanaise, Fadia Tomb El-Hage, et d'un percussionniste japonais, Kazunari Abe, également flûtiste.

"Les chanteurs corses, c'est comme des grands frères", déclare Sidi Larbi Cherkaoui qui a déjà travaillé à deux reprises avec eux.

Cet assemblage artistique est aussi lié, selon lui, au fait de se trouver dans le sud de la France: "la musique corse chante les montagnes, c'est une réponse à la géographie", loue-t-il. Il a choisi Fadia Tomb El-Hage parce qu'il sentait un" rapport avec le fait d'être emmuré" et pensait "aux murs entre Israël et le Liban".

"Quand je voyais ces pierres, j'aimais beaucoup le rapport de ces six hommes qui chantent comme une voix parce que leurs voix se mélangent de telle manière que ca devient une pensée et Fadia qui chante toute seule comme tout un choeur", s'émerveille-t-il avant d'ajouter:"J'aimais bien ce rapport entre le collectif et l'individu".

Musique populaire, chants sacrés, danse contemporaine et arts traditionnels du monde entier se mêlent dans le travail du chorégraphe, flamand par sa mère et marocain par son père.

A 36 ans, il appartient à la génération montante des chorégraphes flamands formés notamment à l'école d'Alain Platel et d'Anne Teresa de Keersmaeker. Il a fondé en 2010 sa propre compagnie, Eastman, et vient de présenter à Paris une création "Tezuka", inspirée par l'auteur culte de mangas japonais.

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/

rfi

Publié sur RFI (http://www.rfi.fr) le 12/07/2012

Le «Puz/zle» de Sidi Larbi Cherkaoui a réussi son pari

Par Siegfried Forster

Le Festival d’Avignon a vécu une première mondiale à la hauteur de la mythique Carrière de Boulbon. Puz/zle est une pièce forte, avec des danseurs-acrobates pleins d’énergie et de souplesse, portée par la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage, bercée par le groupe polyphonique corse A FiletTa et rythmée par les grands tambours du percussionniste japonais Kazunari Abe.

Une distribution très composite pour une œuvre complexe, présentée par le chorégraphe belge et marocain Sidi Larbi Cherkaoui.

Comment trouver sa place dans le monde ? Pour donner un début de réponse à cette question aussi concrète que spirituelle et abstraite, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui a creusé beaucoup. Il est allé jusqu’à nos origines, jusqu’au niveau de l’ADN et des chromosomes, porteurs de l'information génétique

Sur scène, un monumental bloc de pierre de taille trône au milieu de la Carrière de Boulbon. Un décor spectaculaire qui donne, d’une manière très (trop ?) plastique, corps à cette quête éternelle de l’endroit idéal pour suivre son destin. Où faut-il commencer, vivre, terminer sa vie ? Où survivre aux luttes incessantes ? Où suivre ses envies ? Un danseur arrive sur le plateau, puis un deuxième, un troisième… jusqu’à neuf. Commence alors une course effrénée comme chez les lemmings. Ils cherchent tous l’entrée de ce labyrinthe nommé vie qu’on vient de voir, projetée sur ce bloc sous forme de salles de musée vides, perpétuellement en fuite. Bloqués par la pierre, ils commencent à grimper, font basculer un mur après un autre, avant de chuter à leur tour.

Des pièces de puzzle chorégraphiques

Cherkaoui traduit et visualise cet éternel recommencement avec des pièces de puzzle chorégraphiques qui s'emboîtent les unes dans les autres : des solos, duos et trios pleins d’aplomb, de force et de finesse qui finissent par remodeler le bloc de pierre à l’infini. Les danseurs, habillés en noir, incarnent ces éléments qui tracent leur chemin, se touchent, s’enchaînent, s’attirent, se repoussent, se jettent dans le vide, se cherchent un bouc émissaire. Les mouvements respirent la beauté cruelle d’un vol de corbeau. Les têtes ondulent, alignées comme des chromosomes. Des corps souples jouent à la dure. Mais l’enjeu n’est pas la contemplation. Cherkaoui envoie ses danseurs dans l’arène. C’est la guerre de Troie, la conquête de l’espace, Le radeau de la Méduse de Géricault, l’apprentissage de l’amour et de la haine, à l’échelle d’une scène en plein air.
 
Le tout est merveilleusement accompagné par des chants polyphoniques. Ils célèbrent l’unité de la diversité, transpercés par les mélodies claires et tenaces de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage. Pendant deux heures, le chant tient tête à ces corps qui se bousculent et se tordent, chutent et éclatent. A la fin, la chorégraphie souffre presque de ce côté trop acrobatique qui finit par écraser les émotions et les nuances. Heureusement, la musique prend le relais. Chacun a trouvé sa place. Puz/zle a réussi son pari.
 

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Un "Puz/zle" au goût d'inachevé

Par Gwenola GABELLEC le 12/7/2012

Sidi Larbi Cherkaoui a construit/déconstruit sa dernière création à la Carrière de Boulbon

Tous les amateurs de puzzle le savent, cet art requiert comme vertu principale la patience. Et c'est aussi, le talent qu'il faut déployer pour pénétrer dans l'univers du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui. Fidèle du Festival d'Avignon, le chorégraphe présentait, mardi soir dans la carrière de Boulbon, sa dernière création, Puz/zle. Un casse-tête qui se transforme en permanence, comme sous la main d'un joueur. Démiurge sardonique qui semble conduire le ballet des danseurs, leurs évolutions, révolutions et la façon dont ils s'assemblent ou se mettent en pièce, érigent ou détruisent les éléments mouvants du décor.

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Photos : Cyril Hiely
L'intrigue, ce fil tortueux tissé par Sidi Larbi Cherkaoui, serpente dans un dédale de pierre, s'arrime au roc par la projection sur un monolithe gris d'une fuite en avant qui ménage le suspense. Quand le corps entre en scène, c'est pour peser de tout son poids, se perdre et se jeter éperdument contre ce mur, former une nuée désespérée. Pour le porter, un chant suspendu, à flanc de carrière, à fleur de roche, celui des Corses d'A Filetta et de la Libanaise Fadia Tomb El-Hage.

Tous les éléments de la tragédie sont là, ils s'imbriquent d'abord au ralenti, se répètent à l'envie. L'âpre ascension avant la chute attendue. L'air entêtant d'une flûte - celle de Kazunari Abe - guide le mouvement des danseurs, fluide comme celui d'une algue qui s'accroche à un récif. Puis, la vague se brise en bataille rangée, ses héros contorsionnistes se muent en pantins désarticulés.

Des allers-retours constants, parfois redondants, qui veulent pointer l'essence de la condition humaine jusqu'au grotesque, fouiller son ADN. Entre arabesques mystiques et martèlement des pavés sur scène, Sidi Larbi Cherkaoui file les métaphores, ode à la nature et mutations contemporaines. Sa langue gestuelle oscille entre maîtrise toute zen et brouhaha des ensembles, entre violence de l'autre et sérénité du spirituel. Cette matière instable s'effrite en arrêts sur images d'un échiquier où les danseurs sont des pions prisonniers de leur destin. Leur brutalité et leur supplice sont tour à tour illustrés par les incantations profondes, traditionnelles et polyphoniques, jusqu'à épuisement de l'effet, pesant. Sidi Larbi Cherkaoui compose son puzzle, fresque presque trop ambitieuse, avec ce qu'il faut de savoir-faire, le talent très libre d'un raconteur d'histoire, mais son puzzle semble achopper toujours sur la même pierre, celle d'un absurde Sisyphe et de l'impossible réussite de son projet cyclopéen.

 

Sidi Larbi Cherkaoui, un chorégraphe “liquide” à Avignon

Sur le pont, en Avignon ǀ Flamenco, théâtre, techniques inspirées des moines shaolin… le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui a toujours mêlé les genres avec fluidité. Il présente “Puz/zle” au Festival d'Avignon.

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Sidi Larbi Cherkaoui en répétition avec sa compagnie, Eastman. © DR

« C'est de la belle danse qui a du sens »... dit simplement Louise Michel Jackson, longue liane souple venue du Québec pour répéter à Anvers et si heureuse d'avoir été retenue dans la distribution de Puz/zle, le spectacle que Sidi Larbi Cherkaoui présente au Festival d'Avignon. Ainsi le chorégraphe anversois de 36 ans incarne-t-il pour la jeune génération — de Montréal jusqu'au Japon — le renouveau de la danse européenne contemporaine, loin des tendances conceptuelles...

Quel chemin parcouru en une dizaine d'années ! Et qui pourrait croire que se cache, sous cette casquette de gavroche, un chef de compagnie ? Eastman, fondée en 2010, compte désormais dix permanents pour défendre son répertoire et préparer les cinq projets de l'année, entre Avignon, Anvers (un Wagner au Toneelhuis d'Anvers, où le metteur en scène Guy Cassiers l'a abrité cinq ans durant) ou Paris : le Boléro de Ravel à l'Opéra, une création in situ au Louvre...

Pourtant, danseur, il continue à l'être de tout son corps, lui qui fut aux Ballets C de la B un prodige de souplesse physique et un formidable interprète pour Alain Platel, le premier à l'avoir repéré dans un concours. Il avait alors 19 ans. Autodidacte en première année d'une école académique, il ne soupçonnait même pas l'existence de la danse contemporaine.

« Enfant, je pratiquais le hip-hop, le jazz et le classique, les seules danses connues dans un milieu pas très riche. J'imitais ce que je voyais à la télé ! Voilà pourquoi je n'ai aucun complexe avec la notion d'art populaire. » Il se moque qu'on lui reproche d'émouvoir facilement avec ses spectacles brassant, à grands coups d'images plastiques et musicales, les idéaux généreux du métissage comme dans sa trilogie Foi, Myth et Babel (2003-2010) : « Tout est affaire de goût et d'éducation, on est le produit de tant de choses ! Personne n'a le monopole de l'esthétique... »

Cherkaoui a affirmé ses choix — la danse, l'homosexualité, la spiritualité orientale — contre son milieu parental (père musulman, mère catholique) et revendiqué cet entre-deux comme une liberté. Et une force. Pas question pour lui d'être sous influence, même si l'année passée à Parts, la bouillonnante école bruxelloise d'Anne Teresa De Keersmaeker, lui a fait découvrir l'œuvre toujours admirée de Pina Bausch et la façon dont les maîtres (Forsythe, Brown, Cunningham ou De Keersmaeker elle-même) ont fabriqué leurs pièces.

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Sidi Larbi Cherkaoui en répétition avec sa compagnie, Eastman. © DR

Son style a davantage mûri au contact d'autres danseurs. Comme Damien Jalet, partenaire de la plupart de ses projets, qui lui a appris la théâtralité. Ou comme de grands interprètes aux techniques à l'opposé des siennes : les moines shaolin de Henan, en Chine (Sutra, en 2008, déjà à Avignon), Akram Khan et sa danse kathak (Zero Degrees, en 2005), María Pagés et son flamenco, ou l'Indienne Shantala Shivalingappa... « Je n'ai pas de grammaire chorégraphique, mon vocabulaire se développe sans cesse. Quand j'étais jeune, je dansais de manière saccadée avec beaucoup de force. Avec la danse contemporaine, je suis devenu “liquide”. En compagnie d'Akram Khan ou de María Pagés, j'ai découvert une écriture plus rythmique. Aucun art n'est pur, et le mien, encore moins. C'est comme cela qu'il vit : grâce à l'échange. »

A Avignon, Sidi Larbi Cherkaoui a choisi les pierres de la Carrière de Boulbon pour exprimer sa fascination pour la mutation. Dans Puz/zle, il imagine les morceaux d'un monde éclaté qui cherche à reprendre forme. Circuits du souvenir, mouvements de l'ADN clonés à l'infini ou vestiges des civilisations l'ont inspiré. Et si sa danse servait à ça : retrouver une cohésion à partir du disparate…

Le 07/07/2012 à 00h00
Emmanuelle Bouchez - Télérama n° 3260

Festival d’Avignon : "Puz/zle" de Sidi Larbi Cherkaoui, une beauté mystique

Publié le 11/07/2012
Festival d’Avignon : 'Puz/zle' de Sidi Larbi Cherkaoui, une beauté mystique

Dans cette chaude nuit du 10 juillet, au milieu des pierres de la magnifique Carrière de Boulbon,  le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui présentait pour la première fois sa nouvelle création, Puz/zle. Sur le plateau, onze danseurs s’interrogent : comment trouver sa place dans un ensemble? Une quête chorégraphique sublimée par des musiciens évoluant parmi leurs corps, un groupe polyphonique corse, une chanteuse libanaise à la voix transcendante et un flûtiste corse. L’évasion est totale, tout simplement belle.

Le lieu, comme toujours, impose par sa prestance et nous oblige à l’humilité : ces immenses murs de pierre rappellent à eux seuls que la nature est plus forte que nous ; mais comme si nous l’avions oublié, Sidi Larbi Cherkaoui nous le rappelle. La roche est présente partout dans sa mise en scène, sur le plateau sous forme d’énormes blocs minéraux déplacés au gré du spectacle, dans les mains des danseurs, entourant les musiciens perchés parfois des mètres au-dessus de nous... L’homme occidental s’est éloigné de cette nature regrette le chorégraphe, « j’avais envie de faire vivre ces pierres alors que souvent, elles sont associées  à la mort, la pierre tombale, celle qui survivra à tout ». Comme écrin, ce sera alors la Carrière de Boulbon, lieu pour lequel la pièce a été spécialement créée. Décor naturel et ceux sur le plateau se répondent, en harmonie, des pierres parmi d’autres, comme un retour aux sources.

Une chorégraphie intense sur nos propres relations

De nombreuses scènes semblent s’approcher du mystique ou de la mythologie, on pense à la Tour de Babel lorsque les pierres sont empilées les unes au-dessus des autres, au mythe de Sisyphe condamné pour l’éternité par les Dieux Grecs à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une colline, à des lieux païens également. « La danse est très lisible dans le mouvement pour que l’interprétation puisse être multiple » explique Sidi Larbi Cherkaoui. Au milieu, les danseurs font corps avec ces éléments, des interprétations virtuoses pour une chorégraphie, une nouvelle fois, magnifique. «Les personnages essayent de devenir une communauté, comme des fourmis dans une carrière, tentant de reconstituer le puzzle». Les gestes sont précis, les mouvements d’une beauté implacable. On danse la relation humaine, ces rapports qui se tissent et d’autres qui échouent, comme un rituel. Les danseurs ont d’ailleurs étudié pour la pièce le mécanisme d’assemblement de l’ADN, des chromosomes et de ce qu’il se passe dans le corps humain.  

La poésie des images, comme des tableaux provoque l’émotion. La beauté des chants et des corps semblent envahir tout l’espace, envelopper la carrière de Boulbon. Nous sommes ailleurs au milieu de nombreuses cultures.  Le chorégraphe d’origine belge et marocaine déteste parler de métissage, « quand on me dit que je mélange les cultures, ça me fatigue un peu, comme s’il y avait des choses pures alors que tout est mélangé ; c’est une combinaison, il ne faut pas regarder les cultures comme des polaroïds, il y a des transformations constantes ». Sur le plateau, sa danse puise effectivement dans de nombreuses cultures, le contemporain se lie au hip hop, les voix corses et celle du Liban…. Comme toujours, dans l’œuvre de Cherkaoui, la musique tient une place primordiale. Il invite ici le groupe polyphonique corse A Filetta, la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage et le flûtiste et percussionniste japonais Kazunari Abe. Le résultat de ce mélange est à couper le souffle. L’artiste voulait cette image forte  d’une femme seule face à une communauté d’hommes chantant comme une seule voix ; c’est absolument réussi. « Je sentais qu’ils avaient envie de se rencontrer, de dialoguer » nous expliquait Sidi Larbi Cherkaoui quelques jours avant la première. « Nous sommes issus de la tradition mais attention, elle n’est pas figée et cette musique, par la confrontation, va continuer de changer » avait ajouté Jean-Claude Acquaviva du groupe A Filetta.

Quatre ans après Sutra, pièce sublime qui avait enchanté le Festival, une chorégraphie avec des moines Shaolin d’une beauté incroyable, Sidi Labi Cherkaoui revient à Avignon avec de nouvelles influences et une nouvelle histoire. Pour notre plus grand bonheur.

Maud Fontanel

Puz/zle : jusqu’au 20 juillet, à 22h, à la Carrière de Boulbon. Le spectacle sera diffusé en direct sur Arte le 14 juillet. Une rencontre avec l’équipe est organisée à l’école d’art d’Avignon  le 20 juillet à 17h.

Crédits photographiques : - © Koen Broos

Source : http://www.mlactu.fr/

 

Avignon : «Puz/zle», morceaux de choix

Libération, 11 juillet 2012

Mélange réussi des genres et des cultures dans la création de Cherkaoui.

Par MARIE-CHRISTINE VERNAY Envoyée spéciale à Avignon

Dans ce lieu magique qu’est la carrière de Boulbon, à une quinzaine de kilomètres d’Avignon, le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui pose ses propres cailloux. Le décor mobile à construire et déconstruire est fait de blocs de fausse pierre destinés à être manipulés en direct par les interprètes. Des pavés brandis par les danseurs, scotchés même, suggèrent une Intifada, des rébellions.

Sous les pavés, ici, il n’y a pas de plage, mais un chantier permanent où l’on bâtit comme à Beyrouth sur les ruines, les couches de mémoire, où l’on détruit les mausolées comme dans le nord du Mali, où les murs se referment sur les libertés, où l’on lapide encore. Faire plus Cherkaoui serait impossible, et c’est franchement pas mal.

Roboratif pour le moins, Puz/zle est un mélange comme le chorégraphe les affectionne, cherchant toujours ailleurs ce qui est en lui : les cultures multiples. Moins peace and love que nombre de ses précédentes pièces, le spectacle vraiment spectaculaire mêle musique, chant, danse et graff.

Musicalement, il s’agit d’une réussite. En réunissant le groupe polyphonique corse A Filetta, la chanteuse libanaise Fadia Tomb el-Hage et le flûtiste, chanteur et percussionniste japonais Kazunari Abe, l’équipe de la compagnie Eastman, que Sidi Larbi Cherkaoui a créée en 2010, a vu juste. La voix profonde et féminine de la chanteuse amplifie et fait écho aux voix masculines des Filetta, quand le Japonais, plus percussif, tient à distance un certain lyrisme.

Ils sont imposants, collés à la paroi rocheuse au-dessus de la scène, ou sur le plateau, où ils sont parfaitement intégrés aux danseurs. Lesquels passent d’une scène à l’autre avec aisance, dévastés devant le mur des fusillés, tendus pour des escalades, mous lorsqu’ils se laissent glisser les uns sur les autres, pétrifiés quand ils deviennent penseurs de Rodin ou autres sculptures d’un musée vidé de ses œuvres que l’on voit en vidéo au début et à la fin du spectacle, évocation de cultures ruinées.

La danse a conservé bien des atouts dans son énergie débridée, son hip-hop domestiqué, ses ondulations, ses tressautements. Quand elle ne donne pas trop dans le butō surfait avec un homme de pierre blanchi à la chaux ou dans la contorsion, quand la chorégraphie ne relève pas de l’unisson ou du canon, on peut entendre un murmure plus secret. Celui de Cherkaoui qui pleure, solitaire, dans le recoin d’un musée pillé, debout dans la poussière.

 

Le « puz/zle » minéral de Sidi Larbi Cherkaoui à Avignon

Le chorégraphe belge s’offre le cadre majestueux de la carrière de Boulbon pour une pièce inspirée de l’élément minéral et du morcellement des choses. 
Une nouvelle réussite esthétique, qui manque parfois un peu de chair et d’émotion.

Puz/zle de Sidi Larbi Cherkaoui
Carrière de Boulbon, à Avignon

Sidi Larbi Cherkaoui est un magicien qui sait comment ravir le public du festival d’Avignon. Une fois de plus, avec Puz/zle , il lui suffit de quelques secondes pour capter, et charmer, les sens des spectateurs. La création du jeune chorégraphe belge est en soi non pas un mais plusieurs puzzles, dont il se fait le grand ordonnateur. 

La scénographie est un vaste de jeu de constructions, qui rappelle les boîtes de Sutra créé par Cherkaoui à Avignon en 2008 avec les moines Shaolin, que les danseurs font et défont tout au long de la pièce. La musique, pépite de cette création, forme également un puzzle réunissant les chanteurs polyphoniques corses du groupe A Filetta, la chanteuse libanaise Fadia Tomb El Hage et le musicien japonais Kazunari Abe. 

Entre eux, l’harmonie est telle que les différences disparaissent pour donner à entendre une partition éblouissante. Les onze danseurs sont aussi, chacun dans sa spécificité de physique et de style, les pièces d’un fascinant puzzle humain. Le travail du groupe est extraordinaire, particulièrement au début du spectacle, lorsqu’il se déploie sur une file en escalier. 

Les corps mis à l’épreuve

On se laisse envoûter par le ballet reptilien de cette étrange colonne vertébrale. Plus tard, les individus se détachent, pour des petites formes, des solos véloces et des duos morcelés. Une kyrielle de sauts, chutes et tours met les corps à l’épreuve. La chorégraphie enchante par sa fluidité mais convainc moins lorsque, peu inspirée, elle s’aventure vers le ralenti et un vocabulaire mécanique.

Puz/zle est une pièce fleuve où s’engouffrent les préoccupations fondamentales de Sidi Larbi Cherkaoui. Toujours en questionnement, il convoque le spirituel pour une cérémonie panthéiste en hommage à l’élément minéral. Il interroge la complexité du monde et des rapports humains, la difficulté de chacun à faire l’unité de sa vie. 

À Boulbon, Puz/zle a trouvé son écrin. Les ombres des danseurs se projettent sur les parois monumentales et les blocs du décor entrent en résonance avec le minéral millénaire de la carrière. L’élément inspire le chorégraphe. Il évoque la pierre qui blesse et enferme, les murs capables de séparer et de tuer, mais aussi le roc, matériau des sculpteurs, comme le corps est celui des chorégraphes.

Une pointe de regret

Avec cette création, Cherkaoui fait sans risque la démonstration d’un savoir-faire désormais bien balisé. Le mariage harmonieux des voix, de la flûte et de ces corps habités tient le spectateur en haleine jusqu’aux derniers instants de la pièce. C’est beau, très beau même. Trop, peut-être, car l’on repart avec une pointe de regret, le sentiment que cette parfaite maîtrise esthétique peut aussi constituer un frein à l’émotion. 

Jusqu’au 20 juillet. Durée 1 h 45, rens., rés. : 04.90.14.14.14. Puis du 2 au 5 octobre au Théâtre national de Bretagne à Rennes (02.99.31.55.33), les 9 et 10 octobre à la Coursive de La Rochelle (05.46.51.54.04), les 21 et 22 novembre à l’Arsenal de Metz (03.87.39.92.00), du 29 novembre au 2 décembre à l’Opéra de Lille (08.20.48.90.00).

Marie-Valentine Chaudon - La Croix - 11/07/2011

Sidi Larbi Cherkaoui : "Dans l'islam, c'est la danse le plus important"

Le chorégraphe belgo-marocain Sidi Larbi Cherkaoui présente "Puz/zle" au Festival d'Avignon. Rencontre avec un artiste engagé.

Il a les cheveux châtains clairs, la peau diaphane, mais il porte un nom arabe. Très tôt, le chorégraphe belgo-marocain Sidi Larbi Cherkaoui a su composer avec une identité multiple. Pragmatique, il a toujours choisi ce qu'il lui convient dans les autres cultures. Résultat : une œuvre hétéroclite et cosmopolite qui s'ouvre à toutes les danses, qu'il s'agisse de celle de la flamenca Maria Pagés, du kung-fu des moines Shaolin, ou de celles d'Akran Khan et de l'Indienne Shantala Shivalingappa, et à tous les arts (théâtre, musique, calligraphie...). Influencé aussi bien par l'Allemande Pina Bausch que par le mangaka Osamu Tezuka (l'inventeur du personnage Astro Boy), Sidi Larbi Cherkaoui est une véritable star. En 2010, sa trilogie "Foi", "Mythe", "Babel", a attiré 20 000 spectateurs à Paris. Deux ans avant, à Avignon, les places pour "Sutra" s'échangaient à 200 euros au marché noir...

Jeune Afrique : Vous semblez piocher dans chaque culture ce qui vous intéresse pour vous construire. Qu'avez vous choisi de conserver de la culture marocaine de votre père ?

Sidi Larbi Cherkaoui : La calligraphie, le rapport à la fluidité, le regard de droite à gauche. En Europe, on lit de gauche à droite. Mais moi, j'ai toujours eu tendance à lire à l'envers.

C'est sans doute parce que vous avez été à l'école coranique...

Oui. Cette recherche de fluidité extrême agace parfois les Européens. Dans Orbo Novo, par exemple, la danse est très liquide. On dirait des vagues. Mon art a quelque chose de très onduleux, qui vient du ventre et du bassin. Tous ces éléments viennent de la Méditerranée. La danse contemporaine rejette cette sensualité. Elle mobilise les bras, les jambes mais jamais le bassin.

En complément, qu'est ce que vous avez choisi du côté belge, flamand, de votre mère ?

Le relativisme, une certaine ouverture d'esprit. J'aime beaucoup la Belgique à cause de ça. Coincée entre les Pays-Bas, la France,  l'Allemagne, des pays à forte identité, la Belgique est un endroit où toutes ces cultures, ces pensées diverses peuvent se rencontrer. C'est un melting-pot comme New York, où je ressens cette même ouverture d'esprit. À Anvers, il y a un quartier arabe, un autre juif, un africain, un polonais... Tout se mélange et se transforme. Je comprends que ça puisse faire peur à certaines personnes. Mais c'est une ville de ports ouverte sur le monde.

C'est cette ville avec tous ces quartiers qui vous a façonné ?

Oui, tout à fait. Ça m'a permis d'accepter tous les éléments qui me composent, même si à première vue, ils s'opposent

Et d'accepter votre métissage ?

Oui. Ça m'a aidé à le vivre simplement car ça m'a permis de comprendre qu'on est multiple. Je me réfère souvent au livre Les Identités meurtrières d'Amin Maalouf. Ce livre est comme ma Bible. Il décrit très bien quel rapport on peut entretenir aux identités multiples qui nous composent et comment on choisit à être plus une chose qu'une autre alors qu'on est toutes ces choses à la fois.  Moi, j'essaye d'être toutes les choses que j'aime. Je vais là où les choses me plaisent, là où les gens m'acceptent. C'est très important. Si on me rejette, je n'insiste pas. Le monde est assez grand et assez beau pour aller là où l'on peut vous aimer. Mon « succès » est venu de cette capacité à trouver ma place et de comprendre que cette place justement n'est pas toujours la même. C'est dans l'insistance à vouloir demeurer dans un endroit quand notre temps est fini que se font les guerres. Il faut savoir accepter de bouger.

Quel regard portez-vous sur la création méditerranéenne ?

Je connais beaucoup d'artistes en Tunisie, au Maroc, en Italie, en Corse... La Méditerranée, c'est à la fois un univers commun et très varié. Parfois, j'aimerais que les éléments qui la composent se parlent davantage. La musique, la danse, le théâtre restent des univers très cloisonnés. En Tunisie, les théâtres travaillent chacun de leur côté. Il y a presque une forme de concurrence négative. Ça m'attriste beaucoup parce que, surtout quand on a peu de moyens, il faut travailler ensemble, ne pas être dans l'exclusivité mais dans la communauté. L'élitisme qui existe dans la culture européenne – et qui fait peut être sens en Europe – n'est pas une valeur à reprendre dans le monde arabe où les choses devraient être un peu plus communes. C'est facile à dire parce que je ne suis pas dans cette réalité, mais j'aime à rêver que les théâtres travaillent plus ensemble. Les artistes le font déjà !

Au Maroc, les islamistes réclament un "art propre". En Tunisie, les salafistes s'en prennent à l'art et aux artistes. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

C'est très attristant. C'est comme avec les scorpions, il faut trouver une manière de les mettre ensemble pour qu'ils se tuent eux-mêmes. Il faut faire comprendre que l'art fait partie du peuple entier et qu'il n'appartient pas à une élite aristocratique qui a une autre manière de concevoir ce qui est beau ou ce que laid. Chaque être humain a le droit de déterminer ce que c'est. Il y a des lois qui protègent l'expression de chacun et qui contextualisent cette expression. Dans certains contextes, on peut faire des choses qu'on ne peut pas faire dans d'autres : je ne porte pas de chaussures à l'intérieur de la Mosquée, en revanche, il est « normal » d'en porter en dehors. De la même manière, il est « normal » que dans un théâtre il y ait du nu, par exemple. Le nu ne signifie pas nécessairement la sexualité.

Vous voulez dire qu'il faut faire de la pédagogie ?

Oui, mais il ne faut pas appeler ça de la pédagogie ! Car c'est arrogant. Certaines personnes risquent de s'offusquer de ce qu'on veuille leur apprendre comment vivre. Bien sûr qu'ils savent comment vivre mais la question est de savoir vivre avec les autres et de les comprendre. Je fais souvent l’expérience ds choses que je n'aime pas ou que les gens n'aiment pas de moi. Mais il faut apprendre à créer un espace où l'on peut s'entendre. J'ai trouvé ça en Chine, au Japon, en Amérique. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible au Maroc et en Tunisie. Tout est question de contexte. Il faut remettre les choses à leur place. Si on exclut, cela veut dire qu'on ne sait pas être avec les autres et qu'on n'est pas religieux. On n'est rien du tout, on est inhumain. Même avec les salafistes, il faut discuter et leur faire comprendre que c'est dans leur propre intérêt de créer des espaces pour les valeurs des autres. Sinon, ils ne pourront pas tenir les leurs. Malheureusement, je suis blanc et homosexuel et cela me disqualifie à leurs yeux pour leur parler

Vous diriez que cet islam a un problème avec le corps ?

L'islam n'a aucun problème mais les gens ont un problème avec l'islam. Ils ne savent pas comment le vivre et le définir. Il est très facile d'être un bon musulman. Il suffit de prier cinq fois par jour, de faire le ramadan et d'aller à la Mecque. Il y a d'autres niveaux, d'abord celui des imams : c'est celui de la connaissance du Coran. Lorsque l'imam est intelligent, c'est très intéressant. Mais malheureusement, bien souvent, ce n'est pas le cas. Il faut vraiment aller vers les personnes qui s'y connaissent pour trouver une lecture du Coran généreuse, ouverte d'esprit, en relation avec l'unité de l'être humain. C'est comme dans le christianisme, il y a des perles rares qui vivent leur religion avec  une humanité pleine. Le problème, c'est qu'il y a trop de gens qui vivent avec la limite de leur propre humanité et qui voient les choses de manière trop limitée.

Et quel est le niveau le plus important de l'islam ?

C'est celui où l'on souhaite devenir un avec dieu, où l'on se fond dans la masse en scandant le nom d'Allah dans une sorte de respiration. C'est aussi celui des derviches tourneurs. Mais les derviches tourneurs, c'est quoi ? C'est de l'art, de la danse ! Et, dans l'islam, c'est la danse qui est le plus important. Le problème, c'est que des personnes bloquées dans leur corps limitent l'islam à ce qu'ils connaissent. Et malheureusement ce sont eux qui en parlent le plus, contrairement aux soufistes qui pratiquent leur religion sans porter de jugement sur les autres. Une telle spiritualité m'attire beaucoup et me semble très saine pour notre société.

Pourquoi vous être tourné vers le bouddhisme alors ?

Vous savez on me proclame bouddhiste, et je n'ai aucun problème avec ça, mais si on me dit : « vous êtes musulman », je réponds : « pourquoi pas ». Si on me demande si je suis chrétien, je réponds : « Si vous voulez ». Je ne me proclame rien du tout, en fait. J'ai juste tendance à penser d'une certaine manière qui n'est pas dans une dualité, mais dans une unité, comme dans le bouddhisme. Pour moi, dieu est quelque chose de présent en nous. Il n'y a pas quelqu'un là haut qui nous dit comment faire. Dans le bouddhisme, certains pensent qu'il y a Bouddha. En fait, il y a des millions de formes de bouddhisme, comme il y a des millions de forme d'islam. Au Bangladesh, par exemple, l'islam est très différent de celui pratiqué au Maroc ou en Arabie Saoudite. En fonction des peuples, des lieux, on vit les choses autrement. Il faut garder cette spiritualité qui est en rapport à une géographie, plutôt que de dire que tout le monde doit devenir musulman sur le globe. Ça n'a pas de sens d'être musulman en Antarctique, parce que le rapport à la nature est très différent. Or si on dit ça, c'est blasphème. Mais c'est la logique de la vie ! C'est pourquoi ailleurs, c'est différent.

C'est votre côté pragmatique, ça !

Oui, bien sûr. Il faut s'adapter aux situations. Si je vous parle en flamand, vous ne me comprenez pas. J'adapte mon langage, mon attitude en fonction des situations, des personnes en face de moi. Sans ça, il n'y a pas de rencontre possible, pas de dialogue. Je suis artiste, j'ai assez de fantaisie pour regarder les choses autrement. Et je dois ça aussi à mon éducation. J'ai grandi avec un père musulman, une mère catholique.

Est-ce que ça créait des tensions au sein de la famille ?

Bien sûr ! Je n'ai vécu qu'avec des tensions autour de moi, même jusqu'à aujourd'hui. Parce qu'il y a toujours un moment où certaines personnes se prennent pour mieux que d'autres, ou pire, pour moins bien que d'autres. C'est là que le combat se fait. On ne peut pas vivre sans la diversité.

Vous présentez Puz/zle au Festival d'Avignon, quel est le propos de cette nouvelle création ?

Puz/zle, c'est vraiment une rencontre entre plusieurs éléments avec lesquels j'ai déjà joué avant, comme A Filetta en 2007 [pour Apocrifu, NDLR] et la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage en 2008 [dans Origine, NDLR]. J'avais très envie de faire rencontrer leurs deux univers car je sentais qu'il y avait quelque chose qui allait les nourrir l'un l'autre. A Filetta, c'est un groupe polyphonique corse qui chante comme une seule voix, quant à Fadia, seule, elle chante comme tout un choeur. Lorsqu'on les écoute ensemble, on a l'impression d'entendre la planète toute entière Il se passe quelque chose de très unique. Il y a aussi un percussionniste japonais. Les danseurs sont comme une tribu qui ont leur univers musical. Les représentations ont lieu dans une carrière. C'est comme si on avait enlevé une partie de la terre, comme s'il manquait une pièce du puzzle et qu'on remplissait le vide de nos sons et de nos mouvements.

Le puzzle, c'est aussi une manière de ne pas se prendre au sérieux, de jouer ?

C'est surtout une manière d'écrire la vie. J'ai l'impression que la vie est un grand jeu, très dangereux. Regardez, les salafistes jouent avec l'islam. Ils jouent avec le feu. Ce sont des enfants. Ce n'est qu'en n'ayant plus peur des autres que la paix sera possible. Le jeu est une manière de trouver cette paix. Regardez comment les enfants, noirs, arabes, blancs, chinois, jouent ensemble... Les adultes ne savent plus le faire. Je suis sûr que s'il y a un dieu, il ne se prend pas trop au sérieux. Parce que sinon, les choses ne seraient pas ce qu'elles sont. Ce serait beaucoup plus ordonné.

Vous mélangez théâtre et danse. La musique a une place très importante dans vos créations. Comment définiriez-vous votre travail ?

Je crois que c'est une forme de rituel. C'est surtout une envie de créer un espace où quand 600-1000 personnes viennent voir un spectacle, elles assistent à un rituel qui les emporte dans une réflexion. C'est comme une messe, comme un discours politique. On voit tous la même chose et on accepte d'écouter. C’est très important pour moi de faire passer un message d'inclusion et d'ouverture d'esprit. Mais il y a une dimension effrayante. Car il y a toujours le risque d'un lavage de cerveau.

Est-ce à dire que le théâtre peut changer le monde ?

On me pose souvent la question.  Il n'y a que 3 % du peuple qui va au théâtre mais ces 3 %, si on parvient à les emporter avec nous, à leur montrer une certaine manière de réfléchir, alors nos idées peuvent se propager d'une manière beaucoup plus large. Dans cette interview, par exemple, il y a peut être deux ou trois éléments qui vont être compris par quelques personnes, qui vont faire que des gens vont penser autrement. Il peut sembler difficile à certaines personnes de penser que dans cinq ans au Maroc, on pourra aller voir un spectacle au théâtre dans lequel on saura qu'il y a quelqu'un nu et que ce ne posera pas de problème. Là maintenant, c'est un grand problème, mais il faut se dire que dans 5-6 ans ce sera peut être possible. Il y a quelques années, aux États-Unis, deux hommes ne pouvaient pas se marier ensemble, c'est en train de changer. Il y a soixante ans, un Noir et une Blanche ne pouvaient pas se marier. C'est à nous de faire bouger les choses. Je sais, par exemple, que le fait que j'aime un homme n'est dangereux ni pour vous ni pour qui que ce soit au Maroc et ça me plaît de défendre ça. Quand j'étais jeune, j'ai pris beaucoup de baffes. Je suis assez fort pour tenir si je sens que ma cause est juste ! Et je crois en les enfants des tyrans. Ils ne sont pas toujours comme leurs parents.

Vous êtes optimiste !

Oui, je crois dans le futur car je vois comment tout évolue autour de moi. Certes, il y a beaucoup de choses négatives. Mais j'aime faire passer un message positif. Sinon, c'est le désespoir et il est déjà là. Il n'a pas besoin de moi en plus.
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Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux


Source : Jeuneafrique.com :


lexpress.fr

Avignon 2012: Puz/zle, pièce unique

Par Igor Hansen-Løve (L'Express), publié le 05/07/2012

Deux semaines avant la première de sa création à la Carrière de Boulbon, Sidi Larbi Cherkaoui, en pleine répétition, ouvrait ses portes à L'Express. Son idée: travailler en dansant. Son principe: éviter l'ennui. 

Il se tient là, à 2 mètres du sol, sur un gros bloc rectangulaire, les pieds nus, l'air légèrement hagard. "Helder, tu m'entends? lance Sidi Larbi Cherkaoui. J'aimerais que quelqu'un te fasse tomber, si ça ne t'embête pas trop. C'est juste pour voir." Le jeune chorégraphe vient d'arriver sur le plateau. Il est au travail. Et cherche. Derrière Helder, un danseur asiatique, hilare, s'exécute. Paf ! Helder tombe, sans broncher, presque résigné. "Merci. Je ne suis pas sûr que l'idée soit bonne, en fait. Passons à autre chose. Vite." Les répétitions de Puz/zle, le dernier spectacle de l'artiste belgo-marocain, battent leur plein. On est à quelques kilomètres d'Anvers, en Belgique. L'atmosphère surchauffée qui règne entre ces murs détonne avec la douce léthargie qui enveloppe Turnhout, paisible bourgade plantée en pleine campagne flamande. 

Au menu du jour: la répétition de trois motifs

"Oui, nous serons prêts", chuchote l'assistante. La pagaille qui règne sur le plateau ne l'inquiète pas. Sidi Larbi Cherkaoui fait partie de ces chorégraphes qui conçoivent en tâtonnant, même à deux semaines de la première au Festival d'Avignon, donnant l'impression d'une oeuvre en train de s'élaborer en marchant. Ou en dansant. Une douzaine de danseurs miaulent maintenant d'une voix rauque, sans raison apparente, tournant machinalement autour de ces immenses blocs monochromes posés sur la scène. Au beau milieu de ce brouhaha, Cherkaoui se hisse sur l'un des monolithes, en fait tomber un autre. "Pour voir" encore, sûrement. Sans doute s'agit-il d'une façon de s'approprier ce décor avec lequel la troupe travaille pour la première fois. Au menu du jour : la répétition de trois motifs. Les danseurs se tiennent en rang d'oignons, debout sur les blocs, disposés en escalier. Et ils ondulent, tranquillement. Le spectacle est saisissant, organique, sensuel. Une algue se mouvant au gré du courant. C'est beau. 

puzzle

AVIGNON 2012. Les danseurs de Sidi Larbi Cherkaoui à l'oeuvre.
Wendy Marijnissen

Sur scène, le chorégraphe au teint blafard dirige, calmement, jonglant entre l'anglais, le français et le flamand. Il place ses danseurs, hésite, les interpelle, leur demande leur avis, réfléchit à haute voix, complétant avec un plaisir manifeste son puzzle encore inachevé. "Il faut que le spectacle soit une découverte autant pour moi que pour le public. Sinon, je m'ennuie", confiera-t-il après la répétition. Plus tard, on assistera à une scène de lapidation, très violente cette fois, avant de retrouver ce sentiment d'harmonie à travers une danse aux corps enchevêtrés. Difficile, au regard de ce contraste étonnant, de se faire une idée du ballet. Cherkaoui vient à la rescousse et philosophe : "L'ordre. C'est l'une des obsessions fondamentales de l'être humain. Vous n'avez jamais remarqué que nous passons notre temps à agencer des choses, des objets, des idées ? C'est plus fort que nous." Et puis il évoque, obstinément, ce qui lui tient à coeur : "Qu'est-ce que l'on conserve, qu'est-ce que l'on abandonne ? Comment questionner les valeurs ? Quel est le meilleur ordre possible ?" Voilà bien son idée fixe. Qu'il pourra heureusement réorganiser jusqu'à l'infini. 

BABEL (WORDS)


"Babel (words)" fait un tabac
LE MONDE ǀ 03.07.10 ǀ 14h31  •  Mis à jour le 03.07.10 ǀ 14h31

Depuis le 17 juin, mille spectateurs ont rendez-vous chaque soir avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui. A l'affiche de la Grande Halle de La Villette, à Paris, le Flamand présente sa trilogie autour du religieux et de l'identité composée de Foi (2003), Myth (2006) et de sa nouvelle pièce Babel (words). C'est Cherkaoui qui a eu envie de présenter cet ensemble à la Grande Halle : désir de changer de contexte - il est généralement programmé au Théâtre de la Ville -, d'ouvrir et de renouveler son public. Visiblement, ça marche.

Jeudi 1er juillet, Babel (words), co-mis en scène avec son complice de la première heure, Damien Jalet, a fait un tabac. Logique. Cette pièce cosmopolite pour onze danseurs-acteurs et cinq musiciens-chanteurs possède toutes les qualités d'un grand spectacle fédérateur. Entre danse et théâtre, enveloppé par des musiques du monde (percussions japonaises, chants indiens, musiques traditionnelles turques, etc.), Babel rafle la mise en jouant la carte d'un art global et voyageur, amoureux de toutes les cultures. Mais encore d'une danse proche et intime, douloureuse aussi, portée par des interprètes dépareillés qui regardent le public dans les yeux.

Toutes les obsessions de Cherkaoui et de Jalet sont remixées dans des mouvements de foule, des tableaux d'ensemble musclés, mais aussi des duos tendus : cohabitation, respect des différences, difficulté à être soi, à comprendre l'autre. La question de la langue, récurrente chez Cherkaoui, trouve ici des incidences cocasses. Qu'il s'agisse de passer un contrôle à l'aéroport sous l'oeil d'une marionnette décérébrée (Ulrika Kinn Svensson, magique de dinguerie) ou de draguer une fille (la même, impeccable de bout en bout) qui vous envoie valdinguer d'un coup de seins, les mots ne sont jamais les mêmes pour personne.

Excès émotionnel

Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet cultivent aussi la proximité avec le public, en poussant les corps des interprètes à bout. Le dynamisme offensif de la gestuelle, très acrobatique, l'excès émotionnel qu'elle exige nettoient tout artifice pour ne laisser que du vivant. Le souffle, la sueur, l'épuisement des danseurs claquent aux visages des spectateurs.

Après Foi, jeu de massacre entre bourreaux et victimes, Myth, capharnaüm philosophico-religieux, Babel (words) fait vibrer la corde d'une possible harmonie. Tous les personnages de Foi se retrouvent sinon sereins, du moins apaisés. La singularité de chacun - épatants Darryl E. Woods, Christine Leboutte - n'est plus synonyme de souffrance. Elle est assumée, acceptée. L'humour et le plaisir peuvent alors jaillir sans complexe. Jamais Cherkaoui, Jalet et leurs complices ne semblent s'être si bien amusés. Babel (words) est drôle en plus...

 

APOCRIFU

Première à Bruxelles

Les 5, 6, 7 et 8 septembre : « Apocrifu » de Sidi Larbi Cherkaoui au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles

apocrifu

Texte de présentation de "La Monnaie/De Munt" :

Ceux qui ont déjà vu Sidi Larbi Cherkaoui à l'œuvre antérieurement savent que ce chorégraphe a une prédilection pour le chant mystérieux vieux de plusieurs siècles. Dans 'Apocrifu', il travaille avec les sept chanteurs de l'ensemble vocal A Filetta, qui chante de la polyphonie corse. Leurs chants spirituels constituent la toile de fond pour trois danseurs extraordinaires, dont Sidi Larbi Cherkaoui lui-même. 'Apocrifu' met en question le rationalisme de la pensée occidentale, mais aussi le déni du corps dans la plupart des religions.Tant le Talmud, le Coran que la Bible seront examinés de près. Ces trois livres saints symbolisent la thématique plus vaste qui passionne Sidi Larbi Cherkaoui depuis longtemps déjà: l'égalité intrinsèque des différentes cultures et des approches différentes de la foi. Face aux 'grandes vérités', il préfère placer la relativisation et une revalorisation des textes apocryphes. Et la beauté des corps en mouvement. Un must pour les amateurs de danse pure et de musique céleste.

Sidi Larbi Cherkaoui, chorégraphe belge, figure majeure de la danse contemporaine, s’associe au groupe vocal corse A Filetta, connu pour ses belles interprétations de chants polyphoniques traditionnels et contemporains, dans ce spectacle qui met en scène la fascination et la puissance des écrits religieux.
En effet, ce sont des livres qui occupent l’espace scénique, sorte de bibliothèque mondiale où gisent des ouvrages écrits dans tant de langues.
À côté d’un grand escalier évoquant la tour de Babel ou l’échelle de Jacob, ces volumes sont presque des personnages à part entière, à l’égal des sept chanteurs corses habillés de noir ou des deux danseurs qui s’associent à Cherkaoui lui-même, pour interpréter des solos, des duos et des trios.

Yasuyuki Shuto, qui s’est formé au ballet de Tokyo, a également fait partie de la troupe de Béjart, tandis que Dimitri Jourde est issu du monde du cirque. Avec Cherkaoui, ils inventent ainsi des figures inouïes, formant avec leurs têtes collées et leurs corps enchâssés des organismes composites qui ressemblent parfois à une toupie humaine.
Tantôt, l’un d’eux danse ainsi un combat singulier ou un corps-à-corps avec un écrit : un exemplaire du Coran, par exemple, qu’il garde ouvert entre ses doigts et qui s’abat brutalement sur son visage, lui occultant la vue. Tantôt, au contraire, les danseurs semblent ne faire plus qu’un, lisant ensemble avec six bras, comme une divinité orientale.
Il arrive aussi que les trois danseurs emportent dans leurs mouvements un mannequin de bois qui reposait là, comme endormi. « On lui insuffle la vie mais il nous repousse », raconte Cherkaoui, qui dit adorer les marionnettes, symboles de « l’innocence absolue ».
Comme ce pantin qui semble diriger les vivants, les livres aussi sont une matière morte sur le point de ressusciter pour exercer leur pouvoir. Car l’écrit – qu’il s’agisse de la Bible ou du Coran – « a ce pouvoir de nous aveugler, de nous autoriser à condamner, à rejeter », affirme Cherkaoui. Ou peut-être est-ce l’écriture sainte elle-même qui, comme le suggère le titre du spectacle (Apocrifu), se constitue à partir de tels rejets : « Les apocryphes, ce sont les évangiles qui ont été rejetés par l’Église. Pour moi, c’est le symbole de tout ce qui est rejeté. J’ai voulu créer une danse, une sorte de communauté homéopathique où tout a sa place, où il n’y a pas de déchets. »
Cette communauté qui cherche difficilement sa voie vers une foi plus hospitalière est portée par le chant. Un chant qui fait résonner, dans la pureté de l’interprétation de A Filetta, aussi bien des fragments de la liturgie que des textes écrits pour l’occasion en langue corse.

monnaie

Pour sa première création à la Monnaie, Sidi Larbi Cherkaoui a décidé de travailler sur un trio. « Je discutais depuis un moment déjà avec Yasujuki Shuto, danseur du ballet de Tokyo, sur un projet commun quand l’invitation de la Monnaie m’est parvenue. Mais je sortais aussi d’un duo avec Akram Khan et d’un quatuor avec D’avant. Comme j’aime bien les chiffres, j’ai décidé de travailler sur un trio et j’ai fait appel à Dimitri Jourde avec lequel on envisageait aussi de travailler depuis longtemps. »

Avec le groupe vocal corse A Filetta pour la partie musicale, Sidi Larbi Cherkaoui explore l’univers de tout ce que l’on rejette. « Les apocryphes, ce sont les évangiles qui ont été rejetés par l’Eglise. Pour moi, c’est le symbole de tout ce qui est rejeté. J’ai voulu créer une danse, une sorte de communauté homéopathique où tout a sa place, où il n’y a pas de déchets. » Travaillant avec un danseur classique et un autre qui vient du cirque et du contemporain, le chorégraphe a aussi voulu mêler intimement ces diverses pratiques plutôt que de les faire évoluer côte à côte.


Jean-Marie WYNANTS,LE SOIR, samedi 1er septembre 2007

De Caluwé avait annoncé que la danse prendrait un nouvel envol : le talentueux Sidi Larbi Cherkaoui ouvre la marque avec "Apocrifu" - rêve d'une communauté où tout et tous trouvent leur place -, en trio avec Dimitri Jourde, "circassien contemporain", et Yasujuk Shuto, "classique de lumière", sur des chants de choeur corse A Filetta - "ils sont sept, on est trois, on se sent très soutenus..."

Martine D. Mergeay, La Libre Belgique du 31 août 2007

munt


La joyeuse entrée de Larbi Cherkaoui

Création d'"Apocrifu" de Sidi Larbi Cherkaoui à la Monnaie.

Le public a plébiscité sa joyeuse entrée, mais le spectacle est inégal.

Le nouveau directeur, Peter De Caluwe, a voulu montrer d'emblée "sa" petite musique pour ouvrir la saison de la Monnaie. L'Opéra a ouvert par une chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui, le jeune prodige de la danse belge. La danse prendra une place importante à la Monnaie avec Anne Teresa De Keersmaeker évidemment, mais aussi Larbi Cherkaoui, Sacha Waltz et Jiri Kylian qui seront en compagnonnage avec la Monnaie. Mercredi, le public a apprécié ce pari et a réservé une longue ovation à Larbi Cherkaoui et son "Apocrifu", même si, pourtant le spectacle laisse un peu sur sa faim.

Comme toujours (on se souvient du formidable spectacle "Foi"), le chorégraphe mêle sur scène des danseurs et des musiciens. Cette fois, il a choisi l'ensemble de voix polyphoniques corses "A Filetta", et leurs chants, souvent religieux, toujours superbes. Un moment de grâce et de transcendance. Larbi Cherkaoui a fait le choix réussi de trois danseurs excellents, aux profils radicalement différents : un danseur japonais passé par chez Béjart, Yasuyuki Shuto, un impressionnant danseur de hip-hop, Dimitri Jourde et lui-même, formidable danseur aussi.

Sur scène, un grand escalier rempli de livres. En bas, une pièce avec, au fond, encore des livres et un mannequin endormi. A l'étage, les sept chanteurs corses. La danse part des livres, de la puissance de l'écrit, des livres saints qui de manière insensée peuvent opposer les hommes. Elle évoque de manière très directe la mort, la vie, la religion, la diversité des cultures, Caïn et Abel qui s'affrontent comme l'Islam et la chrétienté. Les émotions exprimées sont directement accessibles, mais consensuelles et évidentes. Personne ne peut s'opposer à ces bonnes intentions et au syncrétisme de l'artiste.

Cela donne de superbes morceaux comme cet époustouflant duo de Larbi Cherkaoui et Dimitri Jourde, têtes collées, corps enchâssés, retournés, tourneboulés dans une toupie humaine infernale et jouissive. Avec Larbi Cherkaoui qui, tout le temps, fixe les spectateurs dans les yeux. Ou cette scène amusante des trois danseurs ne faisant plus qu'un, lisant des livres en se mélangeant les bras comme un Shiva à six membres. Très beau, aussi, l'écriture de caractères japonais à même le corps du danseur. Ou la chorégraphie avec la marionnette qui donne ses ordres aux danseurs dans un renversement des choses.

Larbi Cherkaoui montre tout son éclectisme et sa manière très personnelle de mélanger des apports divers. La musique, les danseurs excellents et la sensibilité des thèmes proposés ont plu au public. D'autant qu'"Apocrifu" est plus resserré, plus construit que "Myth", créé en juin dernier au Singel à Anvers et qui était trop touffu et riche, demandant un élagage. Mais même dans "Apocrifu", il y a encore des scènes qui se répètent et un manque de risques qui donne, au total, une image trop lisse.

Guy Duplat, La Libre Belgique, 07/09/2007 « Il y a un lien spirituel entre tous les êtres vivants »

ENTRETIEN

A l'issue de la représentation, Sidi Larbi Cherkaoui en a livré quelques clés au quotidien belge Le Soir.

La religion est toujours très présente dans votre travail. Pourquoi ?

Même dans ce monde matérialiste, nos choix sont le plus souvent guidés par des raisons spirituelles, selon ce en quoi que chacun croit , que ce soit Dieu, le plaisir, l'argent... Les choses belles comme les choses laides viennent des convictions des gens. Ma conviction est qu'il y a un lien spirituel entre tous les êtres vivants et que, dès lors, toute chose a sa place. Il n'y a rien à rejeter. La plupart des textes apocryphes ont survécu... dans d'autres religions.

Votre trio évoque la sainte trinité, les trois grandes religions mais aussi, dites-vous, les trois mousquetaires...

Oui, il faut aussi pouvoir rire et pleurer de tout cela. Les émotions nourrissent la réflexion. Je crois dans le cerveau mais aussi dans l'intelligence de chaque partie du corps. Le cerveau connecte le tout mais certaines choses n'existent que dans les mains, les pieds, le coeur, les poumons. Beaucoup d'émotions trouvent leur place dans le corps. En ce sens, je fais presque de l'acupuncture chorégraphique.

Comme avec D'Artagnan, vos trois mousquetaires sont quatre avec l'utilisation d'un pantin...

J'adore les marionnettes. C'est l'innocence absolue. Dans le spectacle, le pantin est habillé comme nous par Dries Van Noten. On lui insuffle la vie mais il nous repousse. Et là, il s'effondre. Il ne fonctionne plus. C'est un peu le symbole de ce monde qui prétend refuser toutes les influences mais qui n'est rien sans elles.

En plus de la présence d'A Filetta, vous chantez un titre avec vos deux comparses. Que représente le chant pour vous ?

J'adore chanter. C'est encore mieux que danser. Peut-être parce que c'est plus récent pour moi. Pour moi, la danse exprime les choses tandis que le chant est très guérisseur. Mais les chanteurs vous diraient probablement l'inverse.



Eine moderne Hoffnung auch fürs klassische Ballett: Sidi Larbi Cherkaoui choreographiert "Apocrifu" in Brüssel

Feuer, Wasser, Luft und Erde

In der Tanzwelt ist Sidi Larbi Cherkaoui, den Alain Platel für seine Compagnie "Les Ballets C. de la B." entdeckte, seit Jahren ein Star. Nachdem der in Anvers geborene Sohn eines marokkanischen Vaters und einer belgischen Mutter 2002 in Monte Carlo mit dem Nijinsky Award als weltbester Nachwuchs-Choreograph ausgezeichnet worden war, konnte er in der Folge mit großen internationalen Ballettensembles arbeiten. Weder verriet Cherkaoui seine Herkunft als MTV-Clip-Tänzer oder die Platelsche Schule radikaler sozialer Aussagen und idiosynkratischen Musikgeschmacks, noch wollte er die klassischen Tänzer "demaskieren", "befreien" oder als künstliche Automaten bloßstellen. Damit beweist er eine künstlerische Aufgeschlossenheit und Integrität, wie sie nur wenige zeitgenössische Choreographen bislang bewiesen haben - Jérôme Bel und Robyn Orlin etwa. In dieser Entwicklung liegt eine ganz große Hoffnung für die Ballettensembles der Opernhäuser.

Auch in seiner neuesten Premiere an der Brüsseler Oper, der Pièce d'ouverture für den neuen Monnaie-Direktor Peter de Caluwe, arbeitet Cherkaoui mit einem klassischen Tänzer. Yasujuki Shuto hat bereits eine Karriere als Solist des Tokyo Ballet hinter sich. Sichtlich geprägt durch die Ästhetik Maurice Béjarts, sucht er nun nach neuen Wegen. Neben ihm steht mit Dimitri Jourde einer jener phantastisch ausgebildeten Tänzer auf der Bühne, wie vor allem Frankreich sie hervorbringt - Jourde ist zusätzlich professioneller Zirkusartist. Wo Shuto federleicht dreht und sein Körper wie von selbst in der Luft zu bleiben scheint, da beeindruckt Jourde durch eine wilde, animalisch kraftvolle Körpersprache. Die Energie seiner zwar kontrollierten, aber aufregend ungezähmt wirkenden Bewegungen scheint Jourde aus der Erde zuzufließen, als wäre er ein fest verwurzelter Baum. Mit diesen unterschiedlichen Qualitäten spielt der Choreograph; als dritter Tänzer bildet Cherkaoui zugleich so etwas wie die Brücke zwischen beiden ästhetischen Lehren. Und damit sind wir mitten im Thema des Stücks: "Apocrifu" meint das Verborgene, das unterdrückte oder vergessene Wissen, ebenso wie wortwörtlich die Apokryphen, die geheimen, beiseite gelassenen Schriften.

Bücher stapeln sich denn auch in unordentlichen großen Haufen überall auf der von Hermann Sorgeloos gebauten zweistöckigen Bühne mit einer großen, steilen Piscator-Treppe zur Linken. Cherkaoui geht es um die gleichberechtigte Lektüre unterdrückter wie offizieller Lesarten, um Prozesse der Inklusion. Verschiedene Sprachen, unterschiedliche mündliche, schriftliche, musikalische oder körperliche Überlieferungen werden auf ihre Tauglichkeit als Mittel der Kommunikation geprüft. So zeichnet jedes der drei großen Soli der Männer ein genau empfundenes Porträt der jeweiligen Bühnenpersönlichkeit. Individualität wird nicht als Schicksal, sondern als Prozess aufgefasst. Cherkaoui erweist sich in diesen Passagen als ein Meister der unprätentiösen, auf das Essentielle zielenden Charakterisierung. Das Naturhafte der Bewegungen springt ins Auge. Shuto tanzt wie ein Luftgeist, Jourde repräsentiert die Erde, und Cherkaoui lässt immer wieder Wellen durch seinen Körper laufen - gerade wenn er auf den Spitzen seiner Sportschuhe tanzt -, als perlten Ströme von Wasser an ihm herab.

Für das Feuer aber, jenes Element der Aufführung, das die anderen sozusagen über die Bühne treibt, für die Wärme sorgt, aber auch für die historische Brunnentiefe des Abends, stehen die umwerfend schönen, fremdartig-kehligen Gesänge des A-cappella-Ensembles "A Filetta". Die sieben Korsen sorgen mit ihrer stimmlichen Dynamik und Sensibilität, aber auch mit ihrer unerschütterlich ruhigen Anwesenheit im Hintergrund für eine aus vergangenen Jahrhunderten herüberreichende Harmonie. Nicht nur bei den liturgischen, auch bei manchen poetischen Texten atmet ihre Musik so etwas wie Frieden, kosmische Ordnung.

Cherkaoui vergisst trotz dieser Bezüge nie, dass er kein Mystiker ist, sondern Künstler. Er inszeniert keine esoterischen Riten, vielmehr verwebt er seinen höchst artikulierten Tanz mit den anderen Bühnenkünsten zu einer reflexiven, sehr abstrakten Form. Die Botschaft ist klar: Was konventionellem Denken nach - und ideologischem Fanatismus erst recht - als Manipulation angesehen wird, will Cherkaoui als intellektuell bereichernden Einfluss zeigen, den es aufzunehmen gilt, um ohnehin vorhandene, verborgene Verwandtschaften zu entdecken und tödliche Feindschaft zu vermeiden. Wer das ablehnt, wie der vierte Mitspieler des Abends - eine ebenfalls in Entwürfe des belgischen Modedesigners Dries van Noten gekleidete, fast mannshohe, von den Tänzern geführte Holzpuppe, die erst mittanzt, aber dann um sich tritt und schlägt -, der liegt da wie tot. Cherkaouis Schlusserfindung lässt den Atem des Publikums noch einmal stocken, bevor es enthusiastisch applaudiert. Der Tänzer schultert die Puppe, ersteigt die steile Treppe, als müsste er sich selbst jedes Bein hochziehen wie der Spieler die Glieder der Marionette, und stürzt sich vom obersten Absatz ins Dunkel der Hinterbühne - ins Verborgene zurück.

WIEBKE HÜSTER

Text: Frankfurter Allgemeine Zeitung / Sonntagszeitung vom 7.9.2007

Apocrifu à Düsseldorf

Lire le compte-rendu en page "concerts d'A Filetta"

Apocrifu à Paris



* Ensemble vocal A Filetta
* Sidi Larbi Cherkaoui : danse, chorégraphie
* Dimitri Jourde : danse
* Yasuyuki Shuto : danse
* Herman Sorgeloos : scénographie
* Dries Van Noten : costumes
* Luc Schaltin : lumières


apocrifu

apocrifu


Commande et production du Théâtre de la Monnaie / De Munt (Bruxelles)


Extraits du texte de présentation de Philippe Noisette :

Apocrifu s'offre donc à notre regard, décor de livres, grand escalier qui mène peut-être à un autre savoir. "Mon envie était de montrer que tout ce qu'on rejette dans la vie trouve une nouvelle place, indépendante et souvent contre son origine première. intéressant de voir comment ce qu'on rejette dans une croyance en crée presque une autre", résume Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe précise qu'il reconnaît cela à plusieurs niveaux, pas seulement dans le monde religieux. "L"individualisme dans lequel nous vivons, en Occident surtout, nous amène à avoir chacun une foi personnelle, très différente de celle d'un autre ; il semble qu'on ait tous une religion personnelle déjà... Cette tension  est difficile mais m'intéresse à analyser et danser."

De ces réflexions, un trio émerge donc en scène : Yasuyuki Shuto, Dimitri Journde et Sidi Larbi Cherkaoui. Ils créent un univers singulier, aux silhouettes extrahumaines, comme un corps recomposé et multiple. De cette communauté de danseurs à la recherche d'une autre voie possible, Sidi Larbi  Cherkaoui dit : "Je crois fort dans l'expérience, le vécu, le corps, le toucher, le futur, la vie, la mort et la nature. J'ai grandi dans un monde surtout conditionné par des écrits, j'ai envie de me battre et montrer le revers de la médaille, la triste perte des autres sens pour arriver à comprendre les choses autour de nous. Je crois qu'il est important d'être vigilant, de s'ouvrir à ceux qu'on a envie de rejeter, d'oser douter, de se remettre en question, d'écouter, tous les jours à nouveau, d'essayer de se comprendre, de s'expliquer aux autres, d'être aussi honnête que possible... Pour apprendre à se connaître, il faut oser se dévoiler."

Pour le créateur aujourd'hui installé à Anvers, l'évidence d'une approche musicale s'imposait. La pureté des voix des chanteurs d'A Filetta accompagne à merveille son propos généreux. "Je connais la musique d'A Filetta  - et j'adore les chants polyphoniques corses - je les suis depuis 2002 de très près. Dans leur répertoire, il y avait des morceaux de musique qui me permettaient de trouver l'univers d'Apocrifu, d'être inspiré. Autant leur musique dans In memoriam en 2004 sonnait comme une lamentation des êtres perdus, autant dans Apocrifu c'est plus viscéral, une réponse du corps, des voix qui s'élèvent en harmonie contre les livres et les lettres écrites manquant de nuances de ton et d'esprit... Leurs voix semblent plus militantes, plus fortes dans Apocrifu. Avec Jean-Claude [Acquaviva], on partageait surtout une entente silencieuse. Je proposais un ordre, et eux suivaient le mouvement. C'était très organique, très évident et naturel entre nous."

Un compte-rendu sur le blog siteculturel :

http://bladsurb.blogspot.com/2009/09/sidi-larbi-cherkaoui-apocrifu-cite-de.phpl

La grande salle de la Cité ne convient pas vraiment à un spectacle chorégraphique. Une bonne partie des gradins latéraux ne pourra pas voir l'intégralité de la salle, et le parterrene pourra pas bien voir ce qui se passe au sol ; cela limite grandement le pourcentage des gens ayant une vue totale du spectacle !
C'est du Sidi Larbi Cherkaoui en petit format, puisqu'accompagné de deux danseurs seulement, mais quand même : décor important avec deux étages, beaucoup de livres un peu partout, et un grand escalier ; l'ensemble vocal de chanteurs corses "A Filetta" présent et s'y baladant ; et l'habituelle ambition de propos du chorégraphe.
Il s'agit de parler des 3 religions du Livre, ou plutôt des Livres qui ont donné naissance aux religions. Une des meilleurs scènes de la soirée sera celle où les trois danseurs entremêlent leurs mains leurs bras et leurs regards à porter trois livres que l'on devine être Torah Bible et Coran, les portant, les échangeant, se frappant le visage avec, dans une sarabande rapide et virtuose. Suivra une séance explicative où le chorégraphe explique que des morceaux de textes ont été copiés collés d'un livre à l'autre, ce qui laisserait croire que ce n'est pas Dieu qui les aurait écrit, mais les hommes. Stupéfiante révélation, ma foi ...
La danse est comme d'habitude splendide, spectaculaire et généreuse. Dimitri Jourde, venu du cirque, apporte sa tonicité sauvage et ses techniques à ras du sol, Yasuyuki Shuto, venu du Tokyo Ballet et spécialiste de Béjart, apporte sa discipline classique et ses techniques de saut.
Les aspects "cross-culturels" ne sont pas tous réussis. Le port de grelot aux chevilles des trois danseurs, à la manière de la danse indienne, est carrément raté, par manque de maitrise, cela n'apporte que du bruit rapidement énervant ; peut-être est-ce exprès, puisque ce bruit évoque des chaines, dont ils finissent par se débarrasser ?
La marionnette Bunraku est plus intéressante, qui à un moment se révolte contre ses trois manipulateurs et les rejette violemment, pour finir libre et du coup s'effondrer ... A chacun d'interpréter ...
A un moment apparaissent des épées, mais je n'ai pas bien compris ce que cela voulait signifier, j'avais déjà décroché depuis un petit moment.
La musique vocale de "A Filetta", six hommes autour du leader Jean-Claude Acquaviva, s'est dégagée de la seule Corse pour se nourrir de nombreuses racines mystiques méditerranéennes

APOCRIFU à Anvers

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© Ursula Glöckner


Un court métrage sur Apocrifu : "Les Ailes Brisées"
un film de Gilles Delmas

une coproduction Lardux Films - Tvm/Cinéplume avec le soutien du CNC/ 2009

Dans « Les Ailes Brisées » l’auteur aborde le sens profond de la création et la relie à son sens visuel. Après Zero Degré l’infini un deuxième film sur la création de Sidi Larbi Cherkaoui.

Gilles Delmas par son approche de photographe plasticien met en œuvre une écriture cinématographique documentaire à la fois esthétisante et expérimentale tout en étant accessible à un large public.

C’est un cinéaste avec qui nous avons travaillé pendant une douzaine d’années en produisant des films sur la danse avec une vision expérimentale et graphique. Nous avons travaillé conjointement sur plusieurs productions pour différents ballets, notamment les Ballets de Monte Carlo, l’opéra de Lyon, Toneelhuis à Anvers, l’opéra de Florence…

Ce film documentaire nous fait découvrir l’origine du processus créatif entre trois danseurs de renommée internationale, Sidi Larbi Cherkaoui, Yasuyuki Shuto, et Dimitri Jourde, et un groupe de polyphonies corses « A Filetta », leur contact, leur envie de créer ensemble un spectacle intitulé « Apocrifu », pour le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles.

« Apocrifu » est une introspection de l’art, de la chorégraphie, des corps, des polyphonies corses, des hommes, et de la religion, et de la poésie.

SYNOPSIS

À Anvers, lieu de création du spectacle « Apocrifu » pour le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, les trois danseurs Sidi Larbi Cherkaoui, Yasuyuki shuto et Dimitri Jourde collaborent dans un mélange de codes et de langages, marqué par la différence de leur style et de leur formation, circassienne, classique, ou contemporaine ; autant d’écoles que de nationalités, magnifiquement sculptés par les polyphonies corses de A Filetta., qui les accompagnent dans cette expérience.

Le documentaire sur « Apocrifu » se déroule comme un fil, une continuité de passages, de ponts, de parallèles à une histoire des religions, et à nos histoires dont chaque individu est culturellement fait. Chaque interprétation nous envoie à un autre mouvement, chaque réponse à une autre question, chaque homme à un autre homme,

Le regard tissé sur la religion est sombre, mais ouvre la voie de la mixité, de l’échange et, de cette « origine », il dénonce les artifices des religions, de leurs règles, et le respect du droit humain.

Les danseurs sont devenus messagers d’un langage international et brillent comme l’étoile du poète, ils nous interpellent passant de l’esthétique à la réflexion. Donc à l’émotion.

NOTE D’INTENTION

La création se fait à Anvers dans un studio du théâtre Toneelhuis, pour une première au Théatre de la Monnaie à Bruxelles. La création est située dans cette ville d’échange, dont la population mixte et bigarrée fait la crainte de partis d’extrême droite. Il s’agit de situer le théâtre comme lieu clos, où la notion de territorialité n’existe plus. C’est ici, suite au récital de « la Muette » de Portici, en 1830 au théâtre de la monnaie ;qu’ont démarré les émeutes ayant pour conséquences la partition de la Belgique. Le théâtre devient ainsi un lieu politique où les énergies se rassemblent, se transcendent.

Le traitement narratif de la pièce est centré sur les textes apocryphes qui par leur découverte tardive ont été reconnus par le christianisme comme des écrits qui émanent de la main de l’homme, et donc ne sont pas comme les textes de l’œuvre du saint –esprit. Ils ont été rejetés, repris en partie par le coran qui lui est à son tour rejeté comme un texte qui ne provient pas de la sainteté…

Donc les corps sont inscrits dans une hystérie, qui décrit au plus près une empreinte d’une frénésie au plus proche d’un fanatisme. L’écriture de cette danse est en lien direct avec les apocryphes et puise son essence dans leur « origine ».

Les polyphonies corses sont l’affirmation d’une identité culturelle. Par leurs traits tirés, lors de leurs chants, ils marquent de par leurs expressions la dramaturgie et le pathos de la religion.

La force des polyphonies corses a capella appuient la dramaturgie dans la théâtralité, ils donnent par la voix une dimension, une force qui correspond au plus juste à celle des corps.

Dans un rapport immédiat, il est intéressant que le public puisse avoir accès à des images qui montrent l’origine du processus créatif, et une ouverture qui véhicule des idées profondes sans tomber dans un fanatisme traditionnel.

D’un point de vue sociologique, il est intéressant de montrer que des chanteurs transcendent leurs origines vers un langage commun. Transmettre, s’engager dans un processus, se placer comme un véritable « trait d’union » entre la tradition et le monde contemporain.

Ce travail s’impose dans le paysage dans lequel nous vivons, il introduit artistiquement et socialement le fait que l’identité n’est pas propre à un territoire. Le corps devient une patrie, une écriture à part entière.

Aujourd’hui encore dans la création contemporaine, la danse est un art qui véhicule ses idées d’une manière ancestrale, transmet la tradition par l’acte de montrer. La transmission ou l’origine de la création est finalement la même par ces outils : les corps.

Le corps humain est devenu aujourd’hui un matériel de guerre principalement dans l’islam, où ce matériau est devenu par la force des choses une bombe humaine. Tant le corps qui souffre a besoin d’espace pour exister. De cette réalité, le documentaire se veut le témoin d’une errance, marqué par une tension toujours présente qui alimente un processus créatif, puisé dans une énergie de violence et de confrontation.

Sidi Larbi Cherkaoui, Yasuyuki Shuto et Dimitri Jourde veulent montrer autre chose, plus de remise en question, plus de liberté, et, pour eux ce théâtre est devenu cet espace de partage.

J’ai la volonté de mettre en avant l’image, l’esprit de l’artiste…. Dans un questionnement personnel, le rapport à l’autre…

Construire dans un dispositif qui propose « aux acteurs » la liberté et l’espace de penser, de s’exprimer, de bouger, de créer au plus près d’une réalité.

Un film où le spectateur doit faire un mouvement d’empathie, pour comprendre un film d’artiste sur des artistes, qui se cherche dans un rapport assez loin d’un traitement narratif trop construit.

Je souhaite par la réalisation de ce documentaire souligner les différents thèmes traités par :

- Les écrits du saint-esprit et la réalité actuelle des religions.
- La mise en scène des images dites « documentaire ».
- Les parallèles entre la poésie et la danse.
- Le discours intellectuel dans la danse contemporaine.
- La positivité et la négativité de la religion traitée par le corps des artistes.
- Le rapport entre l’errance dans la nuit, la ville et les corps en mouvement, en sueur.
- La dramaturgie des polyphonies corses face à la souffrance des corps.
- La nature des corps, face à la solitude dans une recherche artistique.
- L’autre comme interprète de soi
- Les oppositions techniques entre la verticalité de la danse classique, et l’horizontalité (travail au sol) de la danse contemporaine.
- La condition de création face à l’accélération du temps, aller toujours plus vite, plus loin, avec les moments d’incertitude.

Gilles Delmas
http://www.lardux.com/spip.php?article356

2016 : Apocrifu à Perth

Where the power of the written word stirs souls

  • Deborah Jones
  • The Australian
  • February 29, 2016 12:00AM
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“In the beginning was the Word,” begins the Gospel according to St John, “and the Word was with God, and the Word was God.” But whose word prevails, given that every major religion has a holy book and claims its primacy over all others?

Sidi Larbi Cherkaoui, the Belgian-Moroccan contemporary choreographer born to a Catholic mother but raised a Muslim, has consistently grappled in his work with how language, culture and spiritual beliefs can divide or enrich us, or both. Apocrifu, made in 2009, could not be more relevant than it is today.

Cherkaoui ardently embraces contradiction. He sees that difference is beautiful and messy all at once, which is why his pieces aren’t join-the-dots narratives but are driven by complex ideas and plumb deep wells of emotion. It is not polite dance. It is visceral, often sweaty and nakedly passionate.

Apocrifu unfolded in a room strewn with books, dominated by a wide staircase that led to the unknown. Three dancers — Cherkaoui, circus artist Dimitri Jourde and ballet-trained Yasuyuki Shuto — did battle with everything the books represent. The volumes were thrown around, used as stepping stones, swapped among themselves (the music-hall routine is delightful) and used as weapons.

Solo dances emphasised the singularity of each man’s movement but together, particularly in a long, riveting duo for Cherkaoui and Jourde, they were as one, irreducibly human. That point was given poignancy when a Bunraku puppet was introduced and had the oddly moving appearance of life, even as we could see it being manipulated. But when Cherkaoui took on marionette-like qualities the implications were profoundly troubling.

In its physical language Apocrifu — the title refers to writings not regarded as part of the biblical canon — was an almost constant struggle for balance between competing impulses but there was great balm too. The dance was bathed in the glow of glorious music from Corsican male choir A Filetta, whose six members filled the air with polyphonic a cappella singing of heart-stopping radiance.

The men quietly moved around the stage like guardian angels, the air vibrating with voices matched so closely the sound was a tender, enveloping veil. Their songs mixed liturgical, traditional and contemporary texts, mostly to the lustrous compositions of A Filetta member Jean Claude Acquaviva, and their ages-old vocal art brought to Apocrifu the continuity of history and belief in the tenacity of culture even as some try to destroy it in the name of ideology.

Cherkaoui’s ending could well be read as despairing but I found it enigmatic, defiant and magnificent. There was just one disappointment. In a piece about the power of the written word it was a great pity there were no printed texts for A Filetta’s songs to pore over afterwards.

Dance: Apocrifu, by Sidi Larbi Cherkaoui. Perth International Arts Festival, February 25.

SATYAGRAHA

Première à Bâle

Bâle danse sur Glass

Satyagraha - Bâle

Par Laurent Bury ǀ sam 06 Mai 2017

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©Sandra Then

A part en France, où on ne les a guère vus en dehors de la tournée internationale d’Einstein on the Beach¸ les premiers opéras de Philip Glass semblent désormais solidement inscrits au répertoire, à en juger d’après la multiplication des productions ces dernières années : après Anvers, Akhnaten a récemment été monté à San Francisco et devrait être repris à New York, tandis que Satyagraha reviendra à l’English National Opera la saison prochaine. Fruit d’une coproduction avec le Komische Oper de Berlin et l’Opéra des Flandres, cette « Force de la vérité » est également à l’affiche du Theater Basel, qui poursuit son exploration du répertoire lyrique du XXe siècle, après Donnerstag aus Licht de Stockhausen l’an dernier et l’Orestie de Xenakis en début de saison.

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© Sandra Then

Confier la mise en scène à Sidi Larbi Cherkaoui est une excellente idée. Même si sa vision des Indes galantes à Munich n’a pas fait l’unanimité – le DVD à paraître chez Bel Air Classiques permettra peut-être de réviser ce jugement –, tous s’accordent à reconnaître le brio de sa participation au Casse-Noisette de l’Opéra de Paris (DVD également prévu chez le même label). Et dans la mesure où Satyagraha est un opéra où des mots comme « intrigue » et « personnages » n’ont pas grand sens, il faut pour l’animer un metteur en scène capable de proposer une action qui s’ajoute à la musique afin de rendre visible le sens de l’œuvre, ou au moins d’intéresser l’œil. L’habileté du chorégraphe est ici d’avoir évité l’écueil du tout dansé, et d’avoir utilisé neuf membres de sa compagnie, Eastman, autant comme figurants ou accessoiristes que dans leur rôle premier. L’opéra de Philip Glass n’est en aucun cas une biographie de Gandhi, mais une évocation de son rôle politique ; de même, la mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui ne vise nullement la reconstitution historique, mais cherche avant tout à suggérer la nature du combat du Mahatma et à en prolonger l’esprit en incluant la lutte contre des formes plus actuelles de discrimination. Ses chorégraphies combinent beauté des mouvements et expressivité des gestes, pour traduire la violence et la haine auxquelles se heurta Gandhi : c’est que signifie aussi la peinture rouge dont on macule de grands panneaux portés par les danseurs, seuls véritables éléments de décor en dehors du sol qui se relève à l’arrière ou se soulève entièrement, source d’images impressionnantes. Jubilatoire, aussi, ce mouvement perpétuel qui s’empare de tous les participants lors de la scène où ils vantent les vertus du travail, en une musique qui semble ne jamais devoir s’arrêter.

© Sandra Then
© Sandra Then

Pour porter un tel spectacle, il fallait évidemment des chanteurs aptes à se mêler à cette chorégraphie. C’est ce qu’a su faire le Chœur du théâtre de Bâle, tout de bleu vêtu, dont la gestuelle duplique celle des danseurs. On admire chez les choristes une beauté sonore et un engagement de chaque instant, comme par exemple dans la scène des rires (« Confrontation and Rescue », Acte II). Quant aux solistes, leur responsabilité ne peut être comparée à celle qui incombe aux acteurs d’un opéra traditionnel : la plupart d’entre eux n’ont guère l’occasion de se faire entendre seuls, et leur voix est toujours superposée à d’autres au sein d’ensembles. Se détachent néanmoins les basses Andrew Murphy et Nicholas Crawley, ou la soprano Cathrin Lange dont les aigus planent au-dessus des notes de ses partenaires. En Mrs Alexander, Sofia Pavone bénéficie d’une intervention en solo pour laquelle elle manque peut-être encore un rien de projection, mais n’oublions pas que cette jeune mezzo faisait partie encore récemment de l’Opéra-Studio de Bâle. Bien sûr, le spectacle repose en grande partie sur les épaules de Rolf Romei, qui chante à Bâle toute la musique du XXe siècle, depuis le post-romantisme (Leukippos dans Daphné de Strauss, Paul dans La Ville morte, Egisthe d’Elektra l’an prochain) jusqu’aux dernières décennies (Stockhausen la saison dernière). Transformé en Gandhi, au moins dans  la silhouette – crâne chauve et ample dhoti blanc, mais ni lunettes rondes ni petite moustache –, il offre une prestation qui laisse pantois tant il se fond parmi les danseurs dont il maîtrise les mouvements. Alors qu’on le pousse, qu’on le porte, qu’on le renverse, il continue à chanter d’une voix égale, avec une aisance surhumaine qui ne trahit l’effort à aucun moment.

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© Sandra Then

A la fin de ces trois heures de spectacle, le public accorde des acclamations enthousiastes à tous les artistes, et notamment au Sinfonieorchester Basel, placé sous la baguette inébranlable de Jonathan Stockhammer, chef capable de diriger aussi bien Stephen Sondheim que Pascal Dusapin, et en qui la partition de Philip Glass trouve un avocat éloquent.

Source : Forum Opera 

Quand le corps se fait chant

Satyagraha - Berlin (Komische Oper)
Par Yannick Boussaert mar 31 Octobre 2017
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© Monika Rittershaus

A Berlin comme à Bâle en mai dernier, la nouvelle production de Satyagraha de Phlip Glass rencontre un vif succès. Le public éclectique de l’institution berlinoise s’est précipité sur la billetterie et quasi toutes les représentations affichent complet. Est-ce parce que pour la première fois un opéra du compositeur américain y occupe l’affiche ?

Pourtant l’œuvre composée en 1979 pose un certain nombre de difficultés. Oratorio pour chœur et soliste, il s’agit davantage d’une succession de mantras déclamés sur des gammes et des chromatismes entêtants que d’un opéra avec des situations et des personnages mus par un but. Seul le livret délivre les lieux et époques qui évoquent les épisodes de la vie de Gandhi tout en fuyant toute idée de reconstitution. Le choix du sanskrit (langue fluide et musicale), un livret réduit à quelques maximes reprises par tous et une partition roborative laisse un champ immense au metteur en scène. Le travail de Sidi Larbi Cherkaoui sur les corps et la plastique de la scénographie réussit la gageure de faire comprendre et les situations et de faire passer le sens de cette « étreinte de la vérité ». La violence et la haine exultent à travers les corps et des panneaux noirs que l’on recouvre de peinture rouge ; la figure morale et non violente de Gandhi s’incarne dans un corps de chanteur que l’on jette à droite et à gauche, que l’on porte, que l’on retourne. Le plus bel exploit de cette proposition tient justement dans cette cohabitation entre le chant, difficile notamment pour ce qu’il exige de maîtrise du souffle, et l’engagement physique d’une chorégraphie éprouvante pour les danseurs, les solistes et le choeurs. Tous s’y jettent à corps perdus, symbiose entre deux formes d’expression que tout peut pourtant opposer.

© Monika Rittershaus

L’excellent niveau technique de l’Eastman Dance Company saute au yeux, de même que la grâce et la douceur de ses danseurs et danseuses, surtout quand il s’agit d’accompagner, de porter le corps fragile de chanteurs concentrés sur leur colonne d’air. Le choeur de la Komische Oper fait montre d’une aisance scénique qui n’a d’égale que la qualité de chacun de ses pupitres. Stefan Cifolelli domine largement la distribution. Ténor à la voix claire et au souffle inébranlable, il compose un Gandhi opiniâtre et bienveillant, capable de maintenir la ligne et la l’expression en même temps qu’il suit les mouvements du ballet. Cathrin Lange (Miss Schlesen) expose les mêmes aigus aériens qu’à Bâle. La voix puissante de Tom Erik Lie installe Mr Kallenbach dans sa position de bienfaiteur. Samuli Taskinen (Krishna) et Timothy Oliver (Arjuna) mettent à profit leurs courtes interventions dans le premier tableau pour se faire remarquer. Chez les dames Mirka Wagner (Mrs Naidoo) et Katarzyna Wlodarczyk (Mrs Alexander) complètent un ensemble de haute tenue.

A Bâle comme à Berlin, Jonathan Stockhammer dirige avec toute la précision rythmique et la concentration nécessaire. Il peut compter sur un orchestre virtuose et infatigable malgré la longueur et le caractère répititif de l’écriture musicale.

Source : Forum Opera

24/03/2016

Fractus V à Bastia

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Babel 7.16 de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet au Festival d’Avignon

par Cathia Engelbach (www.theatrorama.com)

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Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Babel 7.16 – Si la tour de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, en quatre nuits d’été avignonnaises, n’a pas atteint le ciel comme sa consœur biblique, c’est pour rejoindre d’autres sommets. Leur monument Babel, structure composée de cinq cubes métalliques, s’est allié à la pierre que renferment les quelque 1 800 m2 de la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Il s’est enrichi pour l’occasion de tableaux, de musiciens et de danseurs, poursuivant le dialogue initié dans sa première version entre « le territoire et la langue », creusant sans fin pour que tout et tous fassent corps.

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De Babel (words) à Babel 7.16, une écriture s’est construite et se reconstruit, revient sur la richesse des mythes anciens et interroge les mythes modernes, bâtit des cadres comme autant d’espaces d’accueil, si mouvants et variables puissent-ils être. Le premier mot à formuler est ungeste. Il ne s’exprime pas dans la langue adamique, mais il fait le choix de se montrer : c’est un signe, une langage de paume, qui se déplie lentement. Et c’est aussi déjà un appel, minimal mais essentiel, à la tour qui demande à s’ériger, la seule qui, originellement, est capable d’ouvrir le ciel. Cette main qui écarte ses doigts est celle d’une visiteuse du futur, et bientôt de tous les autres. Le geste qu’elle trace dans l’air ne diffère en rien du nôtre : il est « fait d’artefacts d’anciens gestes », c’est-à-dire de tout ce qui nous distingue en tant qu’humains, et de tout ce qui nous rapproche.

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Ce geste précède et amorce le verbe propre à chacun, qui surgira dans un vocabulaire volontairement très simple. En ligne – éléments d’une phrase unique et unifiée –, une vingtaine de danseurs de nationalités et de styles divers impriment leurs places, leurs discours et leurs accents. Ensemble, ils font flux et flots. Une vague initiale obéissant à un même battement répondra à la toute dernière, cette « paix » finale prononcée dans un mouvement collectif qui se sera nourri de toutes ses particularités, dans un langage que Cherkaoui et Jalet voudraient universel.

Babel, moment d’un monument

Ces danseurs jouent pieds et points à relier et à connecter. Seuls, ils se remontent comme des mécanismes, remplis de leurs spécificités et identité propres – à travers leurs tenues, leurs âges, leurs langues et pays d’origine ou encore à travers leurs fonctions, qu’il s’agisse de bâtisseurs, de prophètes ou bien de la protectrice de cette maison. En formations réduites, ils rentrent dans des jeux de rapports souvent hilarants, et ils accèdent à la connaissance par l’imitation de l’autre, et donc à la reconnaissance et au besoin de l’autre. En groupe, ils évoluent à l’intérieur d’un paysage qu’ils font évoluer lui-même, se fondant à la transparence lumineuse des cubes de métal conçus par Antony Gormley.

Modifiant leur propre lieu, les performers redéfinissent la géométrie environnante. Ils reconstruisent la tour, l’architecture du Palais des Papes, des scènes bibliques et mythologiques, réelles ou ésotériques. Et jamais ils ne semblent souffrir de frontières, soulevant leur absurdité (ils se font passeurs ou transgresseurs de barrières) et puisant s’il le faut dans la science – via le recours aux neurones miroirs pour démontrer les liens – et dans le primitif la force de penser l’avenir. Aussi et surtout, ils existent ici et maintenant, en éléments d’un « temps présent » irréfutable, à danser et à faire sens dans le partage.

La fondation de Cherkaoui et de Jalet a besoin de toutes ses bases et de la diversité de toutes ses racines et de toutes ses branches pour s’épanouir librement. Elle est un tissage infini qui entremêle plusieurs vocabulaires et plusieurs expressions, qui passe par plusieurs continents, plusieurs cultures et plusieurs temps. Elle déjoue l’embrouillamini originel pour emprunter à un terreau commun. Et ce berceau est par essence physique : il concerne les terres autant que les corps, fondamentalement pluriels. Cherkaoui a voulu faire de l’environnement sonore de Babel une « recréation de la route de la Soie », un fil tendu entre Orient et Occident, par lequel chaque musicien et chanteur sonde dans ses propres influences et donne à son instrument médiéval ou traditionnel (d’Europe, d’Inde et du Japon) des accords électroniques pour parvenir un rythme plein et entier. Et ce rythme entre en résonnance avec le souffle général et cette respiration globale qui traverse Babel de son soubassement à sa voûte.

Babel 7.16
Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet
Assistanat chorégraphique : Nienke Reehorst, Vittoria De Ferrari Sapetto
Avec 23 danseurs et 6 musiciens
Musique : Patrizia Bovi, Mahabub Khan, Sattar Khan, Gabriele Miracle, Shogo Yoshii
Lumière : Urs Schönebaum
Scénographie : Antony Gormley
Texte : Lou Cope, Vilayanur Ramachandran, Nicole Krauss, Karthika Naïr
Costumes : Alexandra Gilbert
Production Eastman, La Monnaie / De Munt (Bruxelles)
Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Durée : 1h40

Recréation 2016 dans le cadre du Festival d’Avignon, du 20 au 23 juillet à 22h dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes

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Cherkaoui, le danseur qui voulait être Dalaï-Lama

Publié le vendredi 25 mai 2018 - Recueilli par Fabienne RICHARD..
Sidi Larbi Cherkaoui
Sidi Larbi Cherkaoui mêle danse contemporaine et cultures populaires, toujours dans la même démarche :
s'ouvrir à la complexité de l'autre, comme ici avec les moines Shaolin qui lui ont enseigné leur savoir-faire.
© Photo archives Andrey Dalmau

Sidi Larbi Cherkaoui, chorégraphe de renommée internationale est Belge, flamand d'origine marocaine, artiste associé au TNB. Le danseur, comme ses spectacles, débordent des cases.

Entretien

Sidi Larbi Cherkaoui, danseur et chorégraphe.

Votre spectacle Fractus V est applaudi debout chaque soir au TNB. Vous vous attendiez à un tel accueil ?

Cela faisait six ans que je n'étais pas venu danser à Rennes. J'aime cette ville. J'ai l'impression qu'il y a ici une vraie sensibilité, une sorte de tradition locale : les gens comprennent qu'à l'intérieur d'une culture dominante, il peut y avoir d'autres cultures, comme des petites pochettes...

Quel est donc le chant choral final de votre spectacle qui évoque les chants corses et bretons ?

C'est Adieu Paore, un chant de fin de carnaval du Sud de la France, en vieux français, que j'ai arrangé en polyphonie corse. J'ai travaillé pendant quinze ans avec le groupe corse A Filetta et c'est la première fois que je m'autorise à mettre en scène une polyphonie corse, sans chanteur corse.

Les danseurs et musiciens de votre compagnie savent tout faire : hip-hop, flamenco, chant... Comment les recrutez-vous ?>

Ce sont souvent des danseurs avec lesquels j'ai déjà travaillé, souvent en duo. Patrick William est un danseur de hip-hop spécialiste du « Tutting », qui utilise les bras comme des signes. Fabian Dutena, danseur contemporain vient du flamenco. Chacun est expert dans un domaine et emmène le reste de la troupe dans son univers, mais ils savent aussi faire autre chose et j'essaie de favoriser ces autres savoir-faire, de ne pas mettre les gens dans des cases. Cela demande beaucoup d'échanges entre nous.

Vous êtes belge, flamand, d'origine marocaine. Êtes-vous le chorégraphe de la différence ?

J'ai voulu réunir ces neuf danseurs et musiciens de nationalités différentes pour les confronter, montrer les dissonances et l'harmonie que cela faisait naître. J'aime montrer les histoires communes que les gens préfèrent oublier. En Belgique il y a un mouvement politique qui veut ériger des murs entre Flamands et francophone. Or, si je vis à Anvers en Flandres, mon père, né au Maroc parle français... La diversité ne nous éloigne pas, elle nous rapproche. On me définit comme un danseur contemporain flamand, dans la lignée d'Alain Platel et Ann de Keersmakers. Mais je ne suis pas que cela, il y a quelque chose de plus international dans ma façon de travailler.

Quels sont vos projets en tant qu'artiste associé au TNB ?

J'aimerais monter un duo avec le danseur traditionnel irlandais Colin Dunne, qui a une technique de claquettes incroyable. Il est dans un travail expérimental avec le bruitage des pieds, on pourrait se retrouver sur le rythme, le son... Je vais continuer à ancrer mes spectacles de fiction dans une réalité sociale par le biais de penseurs, de sociologues... Je n'oublie pas que les réfugiés sont à Calais par exemple. C'est la responsabilité de chacun de faire preuve de compassion. Mon idéal de danseur, c'est d'être aussi ouvert à la complexité de l'autre que le Dalaï Lama.

Jusqu'au samedi 26 mai, spectacle Fractus V au TNB.


Chorégraphies

1999 : Anonymous Society
2000 : Rien de rien
2002 : It de Wim Vandekeybus en collaboration avec Ultima Vez.
2002 : Ook pour le Theater STAP en collaboration avec Nienke Reehorst.
2002 : D'avant en collaboration avec Damien Jalet, Luc Dunberry, Juan Kruz Diaz De Garaio Esnaola
2003 : Foi
2004 : Tempus fugit créé lors du Festival d'Avignon
2004 : In memoriam pour les Ballets de Monte-Carlo avec l'ensemble polyphonique corse A Filetta
2005 : Loin pour le ballet du Grand Théâtre de Genève
2005 : Zero Degrees crée et dansé avec Akram Khan
2005 : Je t'aime tu sais en collaboration avec Damien Jalet
2006 : Corpus Bach en collaboration avec Nicolas Vladyslav
2006 : Mea Culpa pour les Ballets de Monte-Carlo
2006 : End pour le Ballet Cullberg
2007 : L'Homme de bois pour le Ballet royal danois
2007 : Myth avec l'Ensemble Micrologus
2007 : Apocrifu pour La Monnaie avec l'ensemble polyphonique corse A Filetta
2008 : Origine avec l'Ensemble Sarband
2008 : Sutra en collaboration avec Antony Gormley
2009 : Dunas en collaboration avec María Pagés
2009 : Orbo novo pour le Cedar Lake Contemporary Ballet de New York
2010 : BABEL (words) en collaboration avec Damien Jalet et Antony Gormley
2011 : Play sur une idée de Pina Bausch avec Shantala Shivalingappa, danseuse indienne de kuchipudi
2012 : TeZukA
2012 : Puz/zle avec A Filetta et Fadia El-Hage
2013 : Boléro d'après Ravel en collaboration avec Marina Abramovic et Damien Jalet pour le Ballet de l'Opéra de Paris
2013 : Milonga en collaboration avec Nelida Rodriguez de Aure
2014 : 生长genesis sur une commande de Yabin Wang
2016 : Casse Noisette, mise en scène de Dmitri Tcherniakov, pour l'Opéra Garnier. Chorégraphies créées en collaboration avec Arthur Pita et Edouard Lock.
2016 : BABEL 7.16 reprise de BABEL (words) - Festival d'Avignon
2016 : Ravel, commande du Ballet royal de Flandre
2017 : Fractus V
2017 : Satyagraha pour Theater Basel

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Interviews

Les chorégraphes face à la pandémie, no.5 :
Sidi Larbi Cherkaoui

Par Laurine Mortha, 03 août 2020 - Bachtrack.com

Sidi Larbi Cherkaoui est un danseur, chorégraphe et scénographe flamand. Fondateur de la compagnie de danse contemporaine Eastman en 2010, il dirige le Ballet Royal de Flandres depuis 2015. Formé auprès d’Anne Teresa de Keersmaeker et Alain Platel, il est connu pour son dialogue culturel et a collaboré avec de nombreux chorégraphes (Damien Jalet, Akram Khan,…) et compagnies, telles que l’Opéra de Paris, les Ballets de Monte-Carlo, ou le Grand Théâtre de Genève.

Laurine Mortha : Alors que les activités sociales et culturelles reprennent prudemment, pouvez-vous revenir sur la façon dont la crise vous a touché ?

Sidi Larbi Cherkaoui: Lorsque le confinement a été annoncé, je faisais passer les auditions à Paris de Starmania dont je réalise la chorégraphie [reprise de l’opéra-rock créé par Michel Berger en 1979, avec une mise en scène de Thomas Jolly], et j’ai dû retourner précipitamment en Belgique avant que les frontières ferment. J’avais de nombreux projets en cours et le travail de tout défaire a été intense. Nous devions célébrer les 50 ans du Ballet Royal de Flandres avec le Sacre du Printemps de Pina Bausch et la réadaptation de Noetic, une pièce que j’avais créée il y a six ans. Tout a été suspendu, et il a fallu réfléchir à la reprise de l’entrainement du ballet par groupe de six danseurs. Pendant le confinement, nous avons travaillé avec la compagnie sur un format de « miniatures », des courts-métrages avec un ou deux danseurs et un musicien. J’en ai moi-même chorégraphié deux : Murmuration, sur une scène vide, en hommage à White Nights de Barychnikov, et Pie Jesu sur le Requiem de Fauré, une ode à ma mère et à son rapport à la spiritualité. Du côté d’Eastman, nous avons aussi dû annuler des tournées, notamment celles du duo Session et de la pièce Nomad.

Sur quels projets travaillez-vous depuis la reprise ?

Je travaille depuis mi-juillet sur trois solos avec des danseurs d’Eastman. C’est une forme réduite avec un danseur et un musicien, qui nous permet de courir moins de risque que si nous travaillions en groupe. Nous présenterons ces solos après l’été à Torino Danza puis aux Beaux-Arts à Bruxelles. Avec le Ballet de Flandres, il est en revanche plus complexe de travailler sur des formes réduites car les petits espaces ne conviennent pas forcément au « cruise ship » d’une grande institution (les soirées ne sont pas viables financièrement avec des jauges limitées à 200 personnes et les consignes sanitaires nécessitent de garder jusqu’à 5 mètres de distance entre certains instruments !). Nous avons néanmoins prévu de danser une de mes pièces, Faun, et Brisa de Johan Inger entre septembre et décembre, sous réserve que la situation sanitaire n’évolue pas défavorablement. Nous avons aussi un projet dans les rues d’Anvers au mois d’octobre qui s’appellera Troost Parade (« Parade de la Consolation »), avec le metteur en scène Lukas Dhont, qui a réalisé le film Girl sur une danseuse transgenre et dont j’ai réalisé la chorégraphie. Je préparerai également une création en novembre pour l’Opéra de Paris, aux côtés de Damien Jalet, Mehdi Kerkouche et de la jeune danseuse du NDT Tess Voelker. L’Opéra Garnier sera en rénovation et il est prévu qu’une nouvelle scène devant l'actuelle scène soit aménagée, avec un rapport de proximité très fort avec le public. Exhibition et Pelléas et Mélisande seront aussi programmés au Grand Théâtre de Genève en novembre et janvier. Enfin, je travaille sur deux projets de films : « Rebel » d’Adil El Arbi et Bilall Fallah, et un deuxième film de Joe Wright, avec qui j’avais déjà collaboré sur le film Anna Karénine.

Sur un plan plus personnel, comment avez-vous été touché par cet arrêt brutal d’activité ?

J’étais pris dans un train intense d’actions, qui me forçait en permanence à avancer et faire des choix – alors que je suis plutôt quelqu’un de fainéant ! Quand tout s’est arrêté et que je me suis retrouvé seul chez moi, j’ai été traversé par différentes émotions : la satisfaction de pouvoir me reposer, un besoin de garder le contrôle un peu maniaque (j’ai rangé en ordre alphabétique les livres dans ma bibliothèque !) et une réflexion plus personnelle sur la crise. La situation sanitaire a fait resurgir chez moi une expérience traumatique car j’étais au Japon en mars 2011 au moment de Fukushima, et j’ai vécu le même sentiment d’insécurité et de prise de conscience de la fragilité de la vie. Être seul permet aussi de se recentrer, de retrouver son identité dans les bons et les mauvais jours (sans qu’on puisse se défausser sur les autres ou des facteurs extérieurs) et de se poser des questions existentielles telles que « qui veux-je avoir été, si je meurs demain ? ». D’une façon générale, je me sens chanceux d’avoir pu travailler sur autant de projets à 44 ans, et dans une telle variété de genres (danse contemporaine, mise en scène d’opéra, de films, collaborations avec Broadway et Beyoncé). J’ai aussi pris des cours de chant, car il me parait important de continuer à être étudiant, surtout quand on vieillit !

Sidi Larbi Cherkaoui © Chris McAndrew
Sidi Larbi Cherkaoui - © Chris McAndrew

Cette crise a-t-elle été un moment d’inspiration ? Beaucoup de chorégraphes affirment que la crise va rendre leur approche plus « radicale », est-ce votre cas ?

J’aime la notion d’art radical, l’envie d’aller droit au but, mais on peut être aussi être radical dans la douceur : être encore plus tendre, attentif, empathique, patient. Nous traversons aujourd’hui un moment de très fortes tensions dans la société, avec des prises de positions radicales sur tous les sujets (y compris sur le fait de porter un masque ou pas !). La désescalade et le rassemblement me paraissent des enjeux importants. C’est toujours plus facile d’être manichéen, de se positionner d’un côté ou de l’autre, plutôt que de désamorcer les bombes et d’œuvrer pour une existence commune. De même sur le plan artistique, il est toujours plus difficile de travailler à plusieurs, mais c’est aussi ce qui nous permet de nous développer en tant qu’artistes. J’ai énormément appris en travaillant avec Damien Jalet, Antony Gormley, Marina Abramovic, Dimitri Tcherniakov ou Beyoncé. Je suis content quand on me définit comme quelqu’un qui rassemble, qui cherche le dialogue. J’ai essayé toute ma vie de me définir pour exister : j’ai un nom arabe, une peau blanche, je suis homosexuel. En tant qu’artiste, on a toujours aimé me ranger dans des cases, j’étais considéré comme danseur quand j’ai commencé à chorégraphier, comme chorégraphe quand j’ai mis en scène des opéras, et on me demande souvent ce que je fais dans l’univers plus populaire (Beyoncé, le cinéma). J’ai toujours cherché la rencontre et le dialogue.

A cet égard, Iolanta/Casse-Noisette que vous avez chorégraphié avec Arthur Pita et Edouard Lock est un exemple exceptionnellement réussi de collaboration artistique…

Je suis content que cela vous ait plu ! C’était un projet très ambitieux, qui mélangeait opéra et ballet, avec trois chorégraphes associés. J’ai énormément appris, notamment grâce à Tcherniakov qui gérait la mise en scène et qui est vraiment un génie. J’ai aimé l’espace qu’il m’a donné. Même si nous venions d’univers très différents, nous partagions une perception commune de la musique, que nous entendions tous les deux de façon triste. Cette mélancolie était un espace de création naturel pour moi.

Pourquoi est-ce si important pour vous de travailler avec d’autres cultures ?

Il faut réinterroger en permanence la culture en la confrontant à l’altérité et aux enjeux actuels. En tant que directeur artistique du Ballet Royal de Flandres, je dois bien sûr m’inscrire dans une histoire de la danse, mais il est important de garder un rapport dynamique avec cette histoire : Jeanne Brabants qui a fondé la compagnie créait pour elle et a forgé son identité culturelle. Il est aussi important de réinterroger ce qu’on pourrait appeler le « colonialisme de la danse classique » pour en prendre le meilleur et aller plus loin. Un exemple de ce « colonialisme » culturel du ballet est la dualité des sexes, alors qu’il existe beaucoup d’autres genres dans la société. Si elle n’est pas remise en question tous les jours, la culture peut devenir une oppression. Les mentalités évoluent vite, et pendant le confinement par exemple, nous avons mis en ligne des spectacles du Ballet Royal de Flandres dont la reprise de Mea Culpa, que j’avais à l’origine créé en 2006 avec les Ballets de Monte-Carlo et qui traite du néocolonialisme de l’industrie diamantaire au Congo et de l’exploitation d’enfants. Le public à l’époque n’avait pas forcément bien connecté avec cet enjeu, mais quand nous l’avons repris l’an dernier à Anvers et mis en ligne pendant la vague « Black Lives Matter », le spectacle a eu beaucoup plus de résonance. Je suis très enthousiaste en ce moment car je sens que l’on peut aborder plus de sujets et mettre plus choses sur la table. Faire tomber les préjugés est ma plus grande obsession… et c’est un travail pour toute une vie !

 


letemps

Sidi Larbi Cherkaoui: «Il y a des sacrifices que je ne voulais pas faire»

Le chorégraphe a grandi à Anvers où il est né, sans jamais perdre de vue le Tanger de son père, où il passait tous ses étés. Confessions d’un artiste passe- frontières avant la première d’Ihsane qui remonte à ses racines
portrait
Sidi Larbi Cherkaoui : « Je suis très caméléon ! Selon les contextes, je laisse tomber certaines couleurs, juste pour survivre.» — © David Wagnières pour Le Temps
Alexandre Demidoff
Alexandre Demidoff
Publié le 12 novembre 2024.


Tous les gestes de son âme dans ses ballets. Sidi Larbi Cherkaoui ne recoud pas seulement une humanité craquelante dans des spectacles dont les titres, de Foi à Puz/zle en passant par Babel, sont en soi un credo. Le danseur et chorégraphe tire le fil d’une (en)quête existentielle, comme celle qui l’a conduite à Tanger pour Ihsane, sa nouvelle création avec le Ballet du Grand Théâtre – première le 13 novembre. Dans le labyrinthe d’une ville hantée par Jean Genet, le directeur du Ballet du Grand Théâtre a marché sur les traces de son père et des étés de son enfance, quand il quittait Anvers, sa ville natale, pour le Maroc, ce pays alors rêvé. Il a musardé au souk comme autrefois, quand il s’arrêtait à la boutique de son grand-père qui ne manquait jamais de glisser dans sa poche un objet précieux. « Je revenais toujours avec un morceau du Maroc », sourit l’artiste.
Se sentait-il déchiré alors ? L’affaire est plus complexe et féconde que cela. « Parfois, enfant, je m’imaginais venir d’une autre planète, glisse-t-il. Je m’imaginais ne pas venir du monde. » Ses héros s’appellent alors Bruce Lee, Kate Bush, Michael Jackson, des figures qui se rient de la loi des genres. Entre deux répétitions, on refait le puzzle des identités plus heureuses que prévues.

Sidi Larbi Cherkaoui avec ses parents, Monique von der Schueren et Sidi Mohammed Cherkaoui
Sidi Larbi Cherkaoui avec ses parents, Monique von der Schueren et Sidi Mohammed Cherkaoui :
«L’amour entre mes parents n’était pas seulement sincère, il était très courageux.» — © Archives de Sidi Larbi Cherkaoui
Enfant, vous sentiez-vous belge ?

On ne peut répondre que par oui ou non ? (rire) Enfant, je sentais très fort une séparation entre moi et tout le monde. Autant avec les Belges, les Flamands en particulier, qu’avec les Marocains immigrés. Je me sentais belge, puisque je vivais en Belgique, mais l’interaction avec le monde me rappelait tous les jours que je ne l’étais pas.

Pourquoi ?

Pour les Belges, j’étais un étranger, je le sentais. Alors que j’aspirais à être accepté dans leur monde, même si je sentais que les conditions à remplir pour être accepté étaient trop difficiles… Il y avait des sacrifices à faire que je ne voulais pas faire. Je ne voulais pas renier d’autres racines, d’autres natures qui étaient en moi. Quand on s’efforce de rester ainsi très près de soi, on s’isole.

Comment se traduisait cet isolement ?

La vie des autres avait l’air tellement aisée. J’en ignorais les difficultés. Alors que pour moi tout était ardu. Je gardais le silence, donc. Et j’écoutais. Je laissais l’espace aux autres, j’avais l’impression de ne pas y avoir droit. Je me réfugiais aussi dans un perfectionnisme, en étant un très bon étudiant, c’était ma façon de répondre aux attentes. Mais il y avait des parties de moi-même que je cachais pour être accepté, pour être comme les autres.

Aviez-vous le sentiment que votre père marocain et votre mère flamande éprouvaient ce décalage ?

Certainement. On oublie qu’un mariage s’inscrit dans un contexte social. Leur amour était non seulement sincère, mais très courageux. Il n’allait pas de soi que ma mère, Monique van der Schueren, se marie avec Sidi Mohammed Cherkaoui, qu’elle s’immerge dans une culture si loin d’elle, qu’elle aille vers l’Islam. Mon père, lui, a dû se faire violence pour s’établir en Belgique dans une communauté dont il ne parlait pas la langue, pour trouver un travail afin de faire vivre sa famille. Avoir des enfants dans un tel contexte était un défi. Mes parents avaient en outre en commun un manque. Ma mère n’avait pas de père – il est décédé quand elle avait 1 an. Et mon père avait perdu très jeune sa mère.

Cette fragilité a-t-elle forgé votre identité ?

Elle définit mon être, labile, ambivalent, androgyne. À l’intérieur de moi, il y a beaucoup de féminin et de masculin, de Marocain et de Belge. Et toutes ces parties dialoguent.

Vous sentez-vous plutôt flamand ou belge ?

C’est une très bonne question ! Je dirais plutôt belge que flamand. J’ai eu une éducation bilingue, en français et en néerlandais, dans une époque – les années 1980 – où l’idée d’être belge était plus importante que d’être flamand. Ce sentiment d’être belge, je le dois aussi à mon père qui parlait français, langue dans laquelle mes parents échangeaient. Mais à l’école, tout se passait en flamand. Il y avait un décalage entre ces deux sphères. Mais pour moi, elles formaient une unité : ma belgitude.

Quel était le bouillon culturel de cette Belgique  ?

La Belgique était très hybride. Et j’étais nourri de culture américaine, avec les films d’Hollywood, mais aussi MTV. Los Angeles et New York faisaient partie de ma vie. De même que Paris, Londres ou Tokyo grâce aux dessins animés et aux mangas.

Qui vous a donné la force de vous lancer comme danseur et chorégraphe ?

J’ai eu la chance de rencontrer l’artiste Alain Platel qui a été comme un parrain invisible. Il m’a dit : « Il faut que tu crées tes pièces. » C’était énorme.

Avez-vous parfois le sentiment de devoir renoncer à une part de vous ?

Je suis très caméléon ! Selon les contextes, je laisse tomber certaines couleurs, juste pour survivre.

Pour son prochain spectacle Ihsane, Sidi Larbi Cherkaoui s’est inspiré de la ville de Tanger dont son père était originaire, et où enfant il allait chaque été. — © Gregory Batardon pour le Grand Théâtre Magazine
Pour son prochain spectacle Ihsane, Sidi Larbi Cherkaoui s’est inspiré de la ville de Tanger dont son père était originaire, et où enfant il allait chaque été.
© Gregory Batardon pour le Grand Théâtre Magazine
D’où vient cette agilité identitaire ?

De l’enfance. J’ai toujours su me fondre dans le décor, que je sois dans une mosquée ou dans ma famille à Tanger, ou dans un bistrot en Flandre. Mais la vérité, c’est que je n’étais pas forcément à l’aise. Mon monde, c’était le papier. Je dessinais, j’écrivais, je jouais aussi aux Lego, avec des poupées de garçons. L’imaginaire était mon échappatoire. Symptomatiquement, le seul sport que j’aimais, c’était courir, parce que ça revenait à s’échapper. Je courais alors très vite et très bien.

Qu’y avait-il à la maison qui dénotait votre identité ?

Ma mère avait à la maison un portrait du roi Baudoin et de la reine Fabiola. Mais celui d’Hassan II n’était pas loin ! Au-dessus des portes, des versets du Coran très beaux m’impressionnaient. Mais mon père ne nous les lisait pas. C’était comme de grands dessins inspirants et mystérieux.

Votre père était-il pratiquant ?

Oui. « Sidi » signifie qu’il appartenait à une famille qui entretient un lien particulier avec la religion et la politique. Mais elle comptait aussi des artistes, c’est sa dimension transgressive. Ce sont des choses qui me constituent. Même quand je ne veux pas être politique, je le suis ! On est défini par nos ancêtres, d’une manière ou d’une autre.

D’où vous sentez-vous aujourd’hui ?

Ma base, c’est Genève où j’ai un appartement. Anvers est ma ville natale, j’y ai une maison. Et le Maroc représente mon futur. J’ai passé quelque temps dans la maison d’Yves Saint-Laurent à Tanger, qui est devenue un hôtel, et je me suis demandé comment on pouvait quitter un tel endroit, comment mon père avait pu faire ce pas.

Qu’est-ce qui vous touche tant à Tanger ?

C’est une ville d’une grande beauté, une ville de partance aussi, où tout m’est familier. J’y suis retourné l’année passée pour préparer mon nouveau spectacle. J’y ai retrouvé tous les endroits de mes étés d’enfant, l’appartement où nous vivions. Et ça après 34 ans ! La cartographie de Tanger fait partie de moi. C’est viscéral.

L’homosexualité est-elle encore un obstacle dans votre famille ?

Oui, dans les deux familles, chez les Flamands comme chez les Marocains. Je ne suis pas le seul à subir cette exclusion. J’en parle beaucoup avec ma cousine qui est lesbienne. À l’âge de 17-18 ans, j’ai décidé de rester en relation avec ceux qui savent me trouver. Des autres, je me suis détaché.

Vous sentez-vous déraciné ?

Non. Je marche avec toutes mes racines. J’ai l’impression d’être un peu comme un cafard. On ne peut pas m’écraser. On a beau essayer, je me relève et je continue. Cette résistance tient peut-être aux deuils que j’ai dû faire jeune. Ma tante est morte quand j’avais 13 ans, mon grand-père quand j’en avais 16 ans, mon père quand j’en avais 19 ans. L’idée de la perte m’est familière. Ma grand-mère maternelle que j’adorais avait perdu jeune son mari. Quand nous lui rendions visite, il y avait toujours en bonne place une photo de leur mariage, comme si elle n’avait jamais fini son deuil. Et ça pesait sur ma mère. Mon père était davantage en quête, dans une forme de nomadisme existentiel. J’ai ces deux aspects en moi, je m’ancre comme ma mère tout en aspirant à d’autres espaces.

Je marche avec toutes mes racines. J’ai l’impression d’être un peu comme un cafard. On ne peut pas m’écraser.

Vos parents avaient-ils une sensibilité artistique ?

Oui. Mais ils estimaient, surtout mon père, qu’il fallait sacrifier cette fibre, pour se mettre au service de la société, travailler et réussir. Ce que j’ai découvert plus tard, c’est que, jeune, il avait fait de la musique et qu’il avait appartenu à une troupe d’acteurs. Ma mère chantait dans des chœurs d’église, parfois comme soliste. Elle dessinait, cousait, aimait la mode. Au fond, je prolonge leurs passions, celles dont ils s’interdisaient de faire un métier.

Parleriez-vous de sacrifice identitaire en ce qui vous concerne ?

Non. J’ai lu Les Identités meurtrières d’Amin Maalouf, qui est ma bible. Lui qui se définit comme Libanais chrétien de langue arabe souligne qu’on est composé de multiples identités et que celles-ci réagissent quand elles se sentent fragilisées. Quand il y a une attaque homophobe, je me sens très homo, sinon dans la journée pas tellement. En vérité, j’oublie qui je suis, j’oublie que je suis marocain, que je suis belge, j’oublie que je vis en Suisse, j’oublie même que je suis chorégraphe. Ces moments où on s’oublie sont les plus beaux.

Répétitions du ballet Ihsane au Grand Théâtre de Genève. — © Gregory Batardon pour Le Grand Théâtre de Genève
Répétitions du ballet Ihsane au Grand Théâtre de Genève. — © Gregory Batardon pour Le Grand Théâtre de Genève
Ihsane, le titre de votre nouveau spectacle, désigne en arabe un idéal de bienveillance. Est-ce l’héritage de votre jeunesse ?

Depuis que je suis tout petit, j’essaie de cultiver la bienveillance, au-delà des moments traumatiques ou déstabilisants. Je suis comme ces graines qui ne poussent pas si on les plonge dans le noir, mais se développent pour trouver la lumière et devenir ainsi parfois un arbre. C’est parce qu’il y a eu cette mise à l’ombre que j’ai grandi.


Alexandre Demidoff se forme à la mise en scène à l’Institut national des arts et techniques du spectacle à Bruxelles. Il enchaîne ensuite avec un master en littérature française à l’Université de Genève et à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Il collabore au Nouveau Quotidien dès 1994 et rejoint le Journal de Genève comme critique dramatique en 1997. Depuis 1998, il est journaliste à la rubrique Culture du Temps qu’il a dirigée entre 2008 et 2015. Il passe une partie de sa vie dans les salles obscures.


Ihsane au Grand Théâtre de Genève

Du 13 novembre au 19 novembre 2024

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