Les éléments de langue corse présentés ici le sont sous une approche généraliste et historique. Si vous souhaitez apprendre le corse, je vous conseille vivement de visiter les sites suivants :
Tout d'abord, un site remarquable :
Et également :
Sans oublier :
Le wiki sur la langue corse : fr.wikibooks.org/wiki/Enseignement_du_corse
La banque de données de l'ADECEC sur la langue corse : infcor.adecec.net/
Cet essai n'est pas celui d'un linguiste. De ce fait, et pour permettre à chacun de comprendre aisément, nous n'avons pas utilisé l'alphabet phonétique international mais des exemples fondés sur la prononciation de la langue française.
La Corse s'insère pleinement dans l'aire
linguistique italo-romane. Cependant, cela
n'implique pas que le corse soit proche de l'actuelle langue officielle
italienne ; en fait il se rapproche davantage de certains dialectes italiens.
Le corse n'est pas de l'italien importé et transformé, mais une langue
romane de l'aire italique (groupe italo-roman), avec une histoire et
des caractéristiques propres, résultat d'une évolution historique.
La Corse se situe comme un intermédiaire entre le centre novateur de la
Toscane et le cœur conservateur de la Sardaigne. La stratification
linguistique qu'elle présente encore aujourd'hui prolonge celle du
domaine linguistique italien tout entier.
Comme chacun le sait, les langues romanes, et en particuler le corse, sont issues du latin. En fait, elles tirent leur origine, non du latin de Cicéron, mais du latin dit "vulgaire" et de son évolution différenciée au cours des siècles. Aussi loin que l'on puisse remonter dans l'histoire du latin, on discerne la coexistence de deux registres linguistiques : le latin écrit et le registre parlé.
La langue écrite a été fixée très tôt et a très peu évolué en huit siècles, car, devenue langue d'un puissant Empire, elle devait être sans équivoque et traduire fidèlement les textes juridiques. Mais peu à peu s'est formé un latin différent, dit "latin vulgaire", qui, parallèlement au latin classique fixé par l'écrit tel qu'il nous a été transmis, évoluait rapidement.
L'alphabet latin possédait 23 signes. Par rapport à l'alphabet français, le I et le U se confondaient respectivement avec J et V, représentant tantôt une voyelle (facit, lucidus), tantôt une consonne (iactum, uolo). U était considéré comme la minuscule de V. I consonne est dit "yod", U consonne "wau". Ce sont des semi-voyelles. Enfin, le W n'existait pas.
Peu à peu, le latin populaire dit "latin vulgaire" s'est différencié du latin "classique" ou littéraire. Le contact avec les langues "barbares" provoque une fragmentation linguistique de la Romania. Le latin importé dans les colonies romaines subit, dans chacune de ces colonies, des modifications liées en particulier au substrat et à des facteurs sociaux, géographiques et chronologiques :
- au niveau des
déclinaisons (caput, capitis, capiti devenant capus, capi, capo
- au niveau des conjugaisons (scripsi se transforme en habeo scriptum)
- de la syntaxe (credo Deum esse sanctum devient en latin vulgaire credo quod Deus est sanctus),
- du
vocabulaire (en Gaule, equus devient caballus, mensa devient tabula...)
Enfin la prononciation se modifie considérablement.
Dès le IIe siècle, les différentiations s'accentuent :
A l'Ouest, on conserve le "S" final et on sonorise les consonnes sourdes intervocaliques : "P" a tendance à devenir "B", "T" devenant "D", "C" devenant "G".
A l'Est, le S final disparaît et les sourdes demeurent. Dans ces deux zones, les I et U brefs ont tendance à se transformer en "E" et "O".
Au contraire, dans les îles de la Méditerranée, on conserve les i et u brefs du latin.
La palatisation se généralise. Cependant, seule la Sardaigne conserve le "C" dur devant toutes les voyelles, alors que Corse et Sicile le palatisent devant E et I.
La longue évolution qui fera passer du latin parlé aux langues romanes toucha différents aspects de la langue, en particulier l’accent.
Dès le Ier siècle, l’accent de hauteur (ou mélodique) cède la place à un accent d’intensité (ou tonique). Cela entraîne des changements importants au sein des mots comme la chute de certaines voyelles atones, voire la disparition de certaines syllabes.
Exemples (chute du u ou du i non accentué) :
speculum > speclum > specchio (it.), spechju (co.), espech (prov.), espejo (esp.) (miroir)
masculus > masclus > masclo (prov.), macho (esp.), machio (it.), masciu (co.) (mâle)
vetulus > veclus > vecchio (it.), vechju (co.), viejo (esp.), vèio (prov.), vieux (fr.)
Ce changement de nature de l’accent se fait le plus souvent sans changer de syllabe dans le mot.
Ex. : bassum (latin)- bassu (co.), basso (it.), bajo (esp.), baixo (port.), bas (fr.).6
Le remplacement progressif de l’accent de hauteur par l’accent d’intensité produit l’amuïssement de certaines voyelles). Ainsi les voyelles toniques libres s'allongent sous l’effet de l’accent d’intensité, les voyelles brèves s'ouvrent.
Puis vient une longue période d’amuïssement des consonnes placées en position antéconsonantique, intervocalique et finale. Les consoles sourdes intervocaliques se sonorisent.
Plus le latin étend sa diffusion, plus il se diversifie, à la fois sous l'influence du substrat et de son évolution propre. Cependant, la différenciation du latin pendant l'Empire n'avait abouti qu'à la constitution de variétés dialectales dominées par le latin classique, langue de l'administration, du droit, des intellectuels et de la religion.
Après l'an 284, Rome perd son statut de capitale. Le morcellement administratif et politique accélère la diversification linguistique qui va donner naissance aux langues romanes. Ce processus s'intensifie entre le Ve et le IXe siècle, sous l'influence des invasions germaniques (Vandales, Wisigoths, Burgondes, Alamans, Ostrogoths, Saxons, Angles, Lombards, Francs) et arabes (Sarrasins).
Pendant le règne de Charlemagne, on tentera de réutiliser le latin classique, mais sans succès tant l'écart entre la "lingua latina" et la "lingua romana" s'était élargi. Le serment de Strasbourg en 842 marque symboliquement la naissance des nouvelles langues : Charles le Chauve et Louis le Germanique adressent le même discours à leurs guerriers, l'un en "roman", l'autre en "tudesque".
La lingua romana rustica deviendra le français tandis que la lingua teudisca donnera naissance à l'allemand.
On ne sait pas grand chose du langage des insulaires d'avant les Romains. Ils parlaient, semble t-il, une langue rude et incompréhensible pour les Romains.
La parenté
certaine avec le toscan ne doit pas faire oublier les origines
prélatines du corse : ibères, ligures, étrusques.. La
toponymie abonde de bases préindo-européennes. Ainsi, "Corsica" dérive
du radical "KOR-S" qui évoque un relief dentelé; "Sartè", comme
"Sardaigne", du radical "SAR". "Calasima" et "Calacuccia" dérivent du
radical "KAL", "Palleca" de "PAL", "Tallano" de "TAL". Le radical "CUK"
de "Cucco" et "Cucuruzzu" se retrouve en sarde (kukkuru="pointe,
hauteur") et en sicilien (cucca="tête"), ainsi que dans les toponymes
Montcuq, Cucuron, etc.
Les termes de flore et de faune rappellent également les origines pré-latines : "taravellu" (asphodèle) dérive de la base TAR, de même que Taravu.
L'indo-européen "cane" n'a pas effacé l'antique "ghjacaru" dont on retrouve l'équivalent au Pays Basque, en Georgie. De même, des mots tels que tafonu, teppa, sappara, muvra, caracutu, ghjallicu sont d'origine pré-indoeuropéenne. La prononciation dite "cacuminale" des LL dans le Sud (cavaddu, famidda, ciudda, uddastru, iddu) est également d'origine pré-latine (probablement ibère).
Les auteurs divergent sur le rythme de la latinisation : alors que la conquête de la Corse, commencée en 259 av J.-C, est achevée en 27 av. J.C, la latinisation ne serait pas encore faite au 1er siècle de notre aire. Cependant, avant que la Corse ne tombe sous l'influence toscane, la latinisation est accomplie. En sont pour preuve la survivance dans l'Alta Rocca du I et du U brefs latins sous l'accent (pilu, furca), passés dans la péninsule à E et O dès la fin du IIIe siècle après J.-C.
Ce traitement vocalique particulier témoigne de l'appartenance des parlers de l'extrême Sud et de la Sardaigne à la plus ancienne strate de latinisation. A partir de ce vocalisme de type Sarde, la pénétration du toscan par le Nord-Est aurait modifié davantage les parlers du Nord, bien que le système vocalique du Nord présente de fortes dissemblances avec le système toscan.
La longue évolution vocalique du latin a conduit à un idiome de type roman dont la parenté avec le latin est frappante : les transformations caractéristiques des autres langues romanes ne se sont pas produites systématiquement.
Le Corse a même conservé des étymologies latines là où l'italien a utilisé des étymologies différentes :
La
palatisation a touché la Corse beaucoup plus
faiblement que l'Italie ou a fortiori la France.
Ainsi, le C
latin a été palatisé en [tch], le G en [dge], le X et le SC en [che] :
[tch] [dge] [che] [ge] [gne] [ly] |
celum>celu paginam>pagina galbinus>giallu (NB : Dans le Sud, ces mots deviennent paghjina et ciaddu). nascere>nasce coxam>coscia basium>basgiu caseum>casgiu calcaneum>calcagnu vineam>vigna paleam>paglia (padda dans le S.) mulier>moglia (mudderi dans le S.) |
La palatisation plus limitée que dans d'autres régions a donné naissance aux affriquées palatales typiques du corse, par transformation des consonnes latines GL, GI, DI, RI et J en GHJ (dy), CL et TL en CHJ (ty).
[dy] [ty] |
coagulare>caghjà plagiam>piaghja diurnum>ghjornu vigilare>vighjà angelus>anghjulu aream>aghja auricula>arechja pares>paghju juniperum>ghjineparu jungere>ghjunghje jocalis>ghjuvellu vetulu>vechju clamare>chjamà clarum>chjaru circulum>chjerchju clavis>chjave oculus>ochju |
Au Moyen-Age,
la communauté linguistique
corso-sarde se distend, la Corse étant attirée dans l'orbite toscane,
alors que la Sardaigne se replie sur elle-même.
L'influence
toscane est massive. On la retrouve dans le vocabulaire ("tamantu", "avale"
au lieu de "ora" ou "adesso", "nimu" au lieu de "nessuno", "ancu" au lieu de
"anche" ...), les sons, la morphologie, la syntaxe :
"u
mi da"
au lieu de "me lo dai".
De même, les formes enclitiques "bàbbitu",
"màmmata" se
retrouvent à
Garfagnana et dans l'île d'Elbe.
Le corse a conservé des archaïsmes toscans ayant disparu de l'italien actuel, ainsi que des particularités tyrrhéniennes antérieures au toscan.
La diphtongaison s'est très peu produite : celum a donné "celu" sans que le E se transforme en IE comme dans l'italien "cielo".
Cependant, comme on l'a vu, le toscan a moins pénétré le sud-ouest de l'île que le nord-est.
Les correspondances entre le corse et le toscan médiéval sont très nombreuses : "sapemu" ou "sentimu", là où l'italien moderne dira "sapiamo" et "sentiamo".
Au nombre des archaïsmes tyrrhéniens, on peut citer :
- le U atone de la syllabe finale
-
les finales -I au lieu de -E
-
la transformation en A des O, U, E latins : aliva, arechja,
acellu
-
au Sud : les mots umbra, ulmu, piru, bucca comme en sarde,
calabrais ou lucanien.
-
le passage
de LL à DD dans le Sud (consonnes dites réflexes
ou cacuminales, que l'on retrouve en Sicile)
- les mots caracutu (houx), talaveddu (asphodèle), tafonu (trou), ghjacaru (chien), mufroni (mouflon).
Parmi les archaïsmes toscans, citons :
- les pluriels
masculins en -A au Sud;
- l'article "u" (il en italien est une dérive du toscan lo
vers lu et u) ;
- Santu ou Sant' au lieu de San
:
- les adjectifs possessifs pour tous genres et nombres (la
tuo veste) ;
- les possessifs en position enclitique (màmmata) ;
- les désinences verbales -emu et -imu lorsque l'italien
donnera -iamo : sapemu/sapiamo ;
- l'ordre des pronoms : "la ti dono".
- au niveau du vocabulaire, les mots tamantu, nimu, avale, aghju (tosc. aggio) ...
Les invasions, comme celle des Vandales, ont apporté, comme dans le reste de la Romania, de nombreux mots d'origine germanique :
wërra>guerra/verra
warda>guardia
rauba>rubbà
spor>sperone
wanjan>guani/varni
witan>guidà/vidà
De même, les mots vastedda, fiadoni et vaghjimu sont respectivement issus de wastil (qui a donné "gâteau" en français, flado (flan) et waidan.
Certains prétendaient même
que le mot ghjacaru
viendrait de l'allemand Jagerhund
(chien de chasse). En fait, il semble que ce mot soit
d'origine beaucoup plus ancienne ...
Elle est faible, à l'exception de Bonifacio, dans la mesure où les génois avaient déjà adopté le toscan comme langue écrite.
Cependant on dit en Corse, comme en génois : luni, marti, mercuri, etc.
Les mots brandali (trépied), brennu (son), carbusgiu (chou), spichjetti (lunettes), mandile (fichu), tisori (ciseaux), arrimbà, bancalaru, carrega, carrughju, scagnu sont également empruntés au génois.