La branche maternelle de notre famille étant originaire de Sartène, je me devais de commencer cette rubrique par "la plus corse des villes corses", selon Mérimée.
La commune de Sartène, sous-préfecture, chef-lieu d'arrondissement et "Ville d'art et d'histoire" est la plus grande commune de Corse et l'une des plus vastes de France, puisqu'elle s'étend sur 20 000 hectares, entre Rizzanese et Ortolo.
De très nombreux vestiges attestent de l'occupation humaine préhistorique du Sartenais.
En plusieurs endroits du territoire de la commune, on a découvert des menhirs et dolmens :
au nord de la ville, les deux menhirs U Frate e a Sora proche du Rizzanese et du pont génois Spin'a cavallu ;
au sud-est en direction de Tizzano, de nombreux menhirs dont l'alignement de Paddaghju ;
au sud, sur le site de Cauria, le dolmen de Fontanaccia, l'alignement d'I Stantari et celui de Rinaghju.
Sartène,
d'abord pieve pisane, fut fondée par les Génois
en 1507, après l'élimination de Rinuccio della
Rocca. Son nom proviendrait d'un lieu-dit local et aurait la
même origine lointaine (peut-être
étrusque) que "Sardaigne". Le premier noyau de peuplement
fut le quartier bâti sur l'éperon rocheux d'u Pitraghju.
Au temps de Sampieru, Sartène, dirigée par les "sgii", resta fidèle à Gênes. Les sampieristes s'en emparèrent en 1565. Redevenue génoise, elle résista aux rebelles des révolutions du XVIIIe siècle.
Dans les années 1550-1552, Gênes fit construire des remparts. A cette époque, l'entrée de la ville se faisait sous la loggia, ce qui a donné son nom à la place Porta. Ce sont les expéditions du Turc Dragut qui poussèrent les Génois à construire une cité fortifiée où pourraient se réunir tous les habitants des hameaux environnants. Malgré la victoire de Lépante (1571), les raids barbaresques connaissent une recrudescence. Le réseau des tours littorales chargées d'alerter les populations de l'intérieur est loin d'être achevé. Les fortifications de Sartène n'arrêtent pas les Barbaresques d'Hassan Veneziano qui en mai 1583, emmenèrent les deux tiers de la population (soit environ 400 personnes) en esclavage. La ville fut repeuplée par les paysans des villages environnants.
A partir de 1630, un nouveau bourg ("u Borgu") fut
construit hors des murailles pour loger les journaliers qui
travaillaient dans les grandes propriétés
foncières. Giafferi conquit la ville en 1732
après avoir battu le corps expéditionnaire
autrichien.
A l'époque de Pascal Paoli, les notables interdirent la
région au généralissime (Consulte
d'Istria - 1758), avant d'accepter finalement son autorité
en 1763.
L'histoire de Sartène fut toujours agitée : luttes des paysans de la montagne contre les gros propriétaires terriens, luttes au XIXe siècle entre les habitants des quartiers du Borgu (taravais d'origine) et ceux de Sant'Anna (Sartenais de souche), vendetta entre les Roccasera et les familles Ortoli et Pietri...
Après la période sanglante et troublée du premier tiers du XIXe siècle, Sartène et sa région connnaîssent une série de transformations décisives : désenclavement routier et maritime, forte croissance agricole. Dans l'entre-deux-guerres, la population urbaine connaît un rapide renouvellement. Alors que l'exode rural prend de l'importance, de nombreuses familles paysannes s'établissent en ville, et une classe moyenne de petits commerçants, d'employés et d'enseignants se développe.
Les relations sociales dans l'île n'ont jamais présenté les inégalités constatées en Sicile ou même en Sardaigne, la nature montagneuse ne permettant
guère les propriétés latifundiaires et les grandes fortunes agricoles.
Pourtant, à Sartène, les rapports sociaux gardèrent longtemps un aspect très inégalitaire.
On s'adressait aux « sgiò » la casquette à la main et le regard baissé.
Ce qui explique sans doute la vigueur des affrontements politiques, avec la lutte
des ouvriers agricoles contre les sgiò, et un fort ancrage à gauche de la ville.
Sartène,
au coeur de la terre des Seigneurs, fut le berceau de Pierre-Marie et
Joseph Pietri, tous deux préfets de police sous le Second
Empire, de Nicolas Pietri et de François Pietri, ministre de
la Marine dans l'entre-deux guerres.
Aux vieilles allégeances claniques se superposent dans les années 20 des engagements idéologiques nettement affirmés. Une première section de la SFIO est créée en 1926. Le Parti communiste se renforce dans les années trente. Le débat politique est très rude pendant le Front Populaire, avec des grèves d'ouvriers agricoles dans l'Ortolo.
C'est ainsi que Sartène, vieux bastion de traditions nobiliaires, deviendra une "ville rouge" dans un arrondissement rural marqué à droite, et qu'à la Libération, c'est un socialiste,
mon grand-oncle Jacques Bianchini, qui en fut le
député. La mairie fut jusqu'à
ces dernières années, qui virent M. Gori battre
Dominique Bucchini, un fief de la gauche, socialiste puis communiste.
Bâtie à 300 m d'altitude, Sartène domine la vallée du Rizzanese de ses hautes maisons de granit gris. A partir du vieux quartier de Manighedda, la ville s'est agrandie vers Sant'Anna, le Borgu et Pacialedda.
On entre
à Sartène par le pont de la Scalella, au pied de
la vieille ville, construite sur d'énormes blocs rocheux (u Pitraghju). Au XVIe siècle les Génois construisent des murailles autour de la vieille ville. Il en subsiste l'échauguette ainsi que le Palais des Gouverneurs, l'actuelle mairie. A la base de cet édifice les Génois aménagèrent une entrée voûtée, sans doute dotée d'un pont-levis, qui commandait l'accès à la citadelle. Au-dessus de cette voûte figure le blason de la ville (une tour crénelée, cernée de deux mouflons et surmontée de la tête de maure, le tout en argent). Le
centre de la ville est la Place de la Libération (plus
couramment désignée par son ancien nom de Place
Porta). Ombragée de palmiers et d'ormes, c'est le lieu de
rencontre des Sartenais. L'église Ste-Marie renferme quelques trésors : une statue en marbre de la Vierge et l'Enfant datant du XVIe siècle, une Annonciation du XVIIe siècle et une Mater Dolorosa encadrant le maître-autel en marbre polychrome du XVIIe siècle. La croix et les chaînes exposées sont celles
portées par le pénitent du Catenacciu le soir du Vendredi Saint.
En passant
sous la voûte de l'hôtel de ville, on
pénètre dans le quartier de Manichedda, par la
place du Maggiu, avec en face la rue des Frères Bartoli, et
à gauche la rue Caramama. La place "Maggiore" était au Moyen-Âge la place principale de Sartène. En descendant, on
accède à l'échauguette ("a Vardiola") du XVIe
siècle, vestige des murailles qui enserraient la ville.
Face
à la place Porta, le cours Bonaparte traverse le quartier de
Pacialedda (sur la gauche, on remarque la très belle maison de la famille de Rocca Serra, avant d'arriver à l'énorme rocher dit "U
Cantone di Francia", d'où partent la route de
Granace (à droite) et celle de Tallano et
Aullène, qui rejoint le Rizzanese après le hameau
de a Castagna.
La rue
principale - Cours Général de Gaulle, anciennement Sant'Anna avant la Place Porta, Cours Soeur
Amélie au-delà - aboutit à un
rond-point où s'embranchent, à gauche la route de
Foce, à droite, le cours St Damien (rue Jean Nicoli), belle promenade
ombragée ménageant une belle vue sur
Sartène avant d'atteindre le couvent St Côme et
St Damien qui surplombe la vallée. Au-delà, peu
avant Bocca Albitrina, le cimetière s'étage
à flanc de colline. C'est pour moi un lieu
émouvant, car mon grand oncle Jacques Antoine Bianchini
(1901-1988), son épouse et sa fille, y reposent, ainsi que
mes arrière grand-parents Jean Bianchini "detto Biondo"
(1877-1929) et Marie-Louise Tafanelli (1874-1930) .
La petite route de Mola offre également de belles vues sur
la ville et le golfe de Valinco.
Sur le boulevard Jacques Nicolai menant au Lycée et à Foce se trouve le récent Musée de Préhistoire et d'Archéologie Corse.
"Cità altera, cità maiò, arritta è fiera, cità di i sgiò
Fatta par sparta, fatta par dà, campà sempri in cumunità
A li to peda, lu Rizzanesi, fiumu sacratu di i Sartinesi,
Si scola lindu in la piana, da u Tallanesu sin'à Prupià
Stendi u so sguardu, sin'à a muntagna, quassù li forchi, duva và l'altagna
Zonza, Bavedda è Surbuddà sò li paesi ch'edda vedi in dà."
"SARTÈ", Antonu Marielli
Par: Véronique Emmanuelli
Publié le: 07 septembre 2021
Dans: Corse Matin (Culture - Loisirs / Histoire / Patrimoine)
Selon Antoine Marie Graziani, professeur des Universités, université de Corse, l'histoire commence du côté de la piève de Sartène et des onze villages qui la composent. Et, les rebondissements seront nombreux. Une saga inédite, captivante, au rythme des Sartenais d'autrefois
Entre l'histoire de la Corse en général et celle de ses villes en particulier, le rapport est étroit mais souvent relégué au second plan. « Dans les livres des historiens, jusqu'à une époque récente, l'histoire des cités insulaires ne prenait que quelques lignes », observe Antoine Marie Graziani, professeur des universités, université de Corse.
Et, selon lui, cette représentation tronquée, simplifiée à l'extrême et sans nuance, constituait un point sensible de la connaissance. Car, à travers les siècles, les trajectoires urbaines dressent des décors, positionnent des acteurs, fixent des enjeux et interrogent à bien des égards. Et pour, compléter le tableau, « les cités insulaires dominaient nettement l'espace qui les environnait », estime-t-il. Ces considérations ont pris tout leur sens à travers des ouvrages tels que « Naissance d'une cité, Porto-Vecchio », « La citadelle d'Ajaccio », « l'Ajaccio des Bonaparte ».
Désormais, elles ont mené l'historien plus au sud dans la Rocca. Le format est celui de « Naissance d'une cité, Sartène. Maîtriser son territoire ». Et, c'est la « pieve de Sartène » avec ses onze villages qui ouvre une première phase.
Le système mis en place ne résiste pas aux razzias incessantes des Turcs. En 1549, survient l'attaque turque de trop contre Casa Corbulaccia. Elle servira de tremplin à la création de la ville. C'est le gouverneur Paolo Gieronimo Fieschi qui prend le problème à bras-le-corps. Sa démarche est conforme aux aspirations d'une population sur la défensive.
Croissance démographique
Dans la foulée, l'architecte et constructeur Simone Carlone qui est d'ores et déjà intervenu à Porto-Vecchio et à Bonifacio est chargé « d'élever des fortifications et d'organiser les lieux ». Le cahier des charges est à la fois bref et tributaire des vicissitudes de la période. Le « Poggio de lo Solaro » cristallise les regards.
Bientôt, tout un petit monde de bâtisseurs s'affaire autour de ses maisons. C'est ce village qu'on a décidé de ceindre de murs pour qu'il accueille « tous les habitants éparpillés en différents points de la pieve » mais aussi le cas échéant des Corses originaires de pieves voisines.
On pense mobilité, croissance démographique, développement tout en demandant aux locaux de mettre la main à la pâte afin de réduire les frais générés par le chantier. Et puis, il faut accélérer la cadence afin de se soustraire à l'emprise des Turcs qui enchaînent les rapts. C'est ainsi que Sartène avec ses forts et ses courtines voit le jour « un an avant les guerres de Corse », en 1552. Très vite la nouvelle cité prend de l'ampleur Dans les années 1570, a l'heure de la paix retrouvée, « Sartène grossit considérablement pour atteindre 500 habitants », souligne Antoine-Marie Graziani.
La belle dynamique est interrompue par le « sac de Sartène », aussi « une attaque, qui fera date dans les mémoires ». Les Turcs se sont engouffrés dans une brèche du dispositif défensif, à San Damiano Le bilan est lourd ; 36 morts, 420 prisonniers. Les documents de l'époque font état de 15 rescapés à peine.
Il s'agit dorénavant de reconstruire tout ce qui a été détruit, tout en ajoutant quelques tours le long du littoral, comme à Campomoro. On appelle à un sursaut après l'effondrement mais, on ne peut ignorer la misère ambiante d'une ville en ruine. À la fin du XVIe siècle, « la situation de Sartène est de fait dramatique ». Elle s'améliore à mesure que le temps passe. La chronique des jours meilleurs fait appel à une population en augmentation constante.
Épidémie de variole et Révolution
Aux nouveaux venus de Serra di Scopamène, Levie, Mela, Fozzano ou Santa Lucia s'ajoutent bientôt « sept feux de Génois », « souvent des officiers de second rang restés à la fin de leur mission ». Le XVIIe siècle sera aussi celui de la construction du palais public et de l'agrandissement de l'église à proximité. Le tout sur fond de banditisme. On se tue, on se venge, on s'évade de la prison. Si bien que « pour tenir les populations », les officiers génois « feront appel aux capitaines des villages jadis nommés pour combattre les Turcs ». La signature de traité de paix est une autre solution très prisée.
Au XVIIe encore, les frères mineurs de l'Observance trouvent à Sartène leur Terre Promise. Ils y feront construire un couvent. Plus tard, la monarchie française fera de celui-ci la caserne Monteynard. Au fil des siècles, la bâtisse connaîtra diverses évolutions jusqu'à devenir une école primaire supérieure entre 1922 et 1925 puis aujourd'hui le centre d'art polyphonique.
Entre les murs de la ville on retrouvera aussi, tour à tour, les troupes impériales en 1731, l'éphémère roi de Corse, Théodore. C'est d'ailleurs là qu'il rédigera son dernier édit avant de s'en aller vivre d'autres aventures ailleurs. Puis viendra le temps de la consulta de Sartène en 1763.
Quelques années plus tard entre 1765 et 1766, c'est une épidémie de variole qui constitue une étape marquante. Elle sera fatale pour 36 enfants de la ville et 327 enfants de la Rocca, jusqu'à ce qu'un médecin d'origine grecque, venu d'Ajaccio, Giovanni Stefanopoli décide de traiter ses petits patients grâce à l'inoculation. La méthode sauvera des dizaines de vies.
L'identité de Sartène se forgera aussi à la faveur de la Révolution et de l'Empire. « La vie locale est alors dominée par les Républicains parce qu'ils ont le soutien de l'armée. Entre 1799 et 1800 se succèdent 4 maires du parti populaire ; le maître forgeron Giovan Domenico Sartène, son gendre Paolo Francesco Nebbia, Guiseppe Maria Mancini qui a succédé à Anton Silvestro Ortoli ». « L'affaire du siège de Sartène » en 1800, bouleverse un temps le cours des choses. Dans son prolongement des « clans émergent ».
La lutte pour le pouvoir est féroce et les solidarités familiales fonctionnent à plein. Quatre grands groupes familiaux sont identifiés ; les Pietri présents dès l'origine, les Susini, issus des Susini de Levie puis les Ortoli -dont Raffé, le premier de la lignée est cité des 1502-, les Rocca Serra, des descendants de Giovan Paolo de Serra di Scopamène.
D'autres familles ont pris leurs marques dans la cité ; entre autres, les Bradi, les Orsini, les Nebbia, les Rosolani, les Chiappe, les Marabotti, les Buttafoco, le Bartoli, les Casella. Il y a ceux qui sont arrivés âpres, comme les Durazzo, les Casanova d'Aracciani, les Perucca, les Mancini.
Au fil des pages, il sera aussi question du territoire sartenais et de ses limites. Antoine Marie Graziani passe en revue les quartiers et les différents hameaux d'Arridavu à Peru Longu en passant par Saparale, Forelli et autres. Un ouvrage qui brasse large avec des illustrations d'époque à l'appui.
Par: G. B. L.
Publié le: 21 octobre 2018
Dans: Corse Matin/Culture - Loisirs
Le lion de Roccapina, cette superbe sculpture de granit rose naturellement façonnée depuis des millénaires par l'érosion, se trouvant à la croisée des chemins entre Sartène et Porto-Vecchio, est l'un des sites les plus emblématiques de la Corse-du-Sud. Dominant sa baie et la plage d'Erbaju, l'animal se dresse, la tête haute, orné de sa couronne, comme le protecteur des lieux.
L'Histoire nous apprend que la construction de sa tour de garde, érigée sur son éperon rocheux, fut planifiée en 1573 dans le cadre de la protection de la côte sud-ouest, zone souvent en danger face aux invasions Turcs. Elle ne sera finalement bâtie qu'au début du XVIIe siècle. Mais les légendes prennent souvent le pas sur l'Histoire.
Du seigneur au cœur de pierre au naufrage du "Tasmania"
La légende raconte qu'au temps des Sarrasins, un seigneur d'un grand courage vivait là, entre Tizzano et la baie de Figari. Il était surnommé le lion de Roccapina. Un bel homme portant des cheveux longs et ébouriffés. Un jour, pendant une chasse, le seigneur rencontra une jeune femme. Épris d'amour pour elle, mais ne pouvant l'épouser, l'homme, désespéré, invoqua la mort et il fut pétrifié sous l'apparence d'un lion. D'où la citation emblématique de cette légende : "Ton cœur est de pierre, lion de pierre tu seras !"
Dans la nuit du 16 au 17 avril 1887, sous l'œil du lion, le Tasmania, paquebot à vapeur anglais, ayant quitté Bombay deux semaines plus tôt pour se rendre à Londres, heurte violemment Le rocher des Moines. Le navire sombrant avait en sa possession de nombreux présents d'une valeur inestimable dont de l'or, de l'ivoire, et de la joaillerie, trésors du maharajah de Jodhpur, cadeaux destinés à la reine britannique Victoria, devant célébrer son jubilé. Une tout autre légende raconterait qu'une partie de ce trésor aurait ensuite été retrouvée par un bandit, puis caché dans une grotte, dans le vaste maquis de Roccapina. Mais la plus grande partie du butin serait encore dispersée dans l'immensité de la mer Méditerranée.
Infos pratiques pour les randonneurs
Pour les amateurs de randonnées, voici quelques indications pour se rendre au lion de Roccapina :
Un chemin commence depuis la
barrière du parking. À partir de celle-ci, il faut prendre l'embranchement à gauche et passer devant une source
aménagée avec une voûte en ruine. Puis il faut gravir une rude montée, passer près des vestiges d'un
four à pain avant de terminer par une escalade facile dans les rochers pour arriver à la crête et à la tour.
L'accès de la tour est interdit mais il est possible d'admirer une vue splendide jusqu'à la Sardaigne et les aiguilles de Bavella.
Il faut compter environ deux heures aller-retour pour cette balade authentique.
Par: Ange-François Istria
Publié le: 30 septembre 2022
Dans: Corse Matin/Patrimoine
Face à la mer, il rêve de rugir. Le Lion de Roccapina est un rocher surplombant le littoral sartenais qui a la forme très nette d'un lion couché.
Une tour qui s'effondre et c'est un patrimoine qui disparaît.
Le site de Roccapina, un territoire remarquable de 500 hectares, appartient au Conservatoire du littoral de Corse depuis 1977. Il recèle deux éléments pittoresques, la tour génoise et le fortin (petit château privé du Moyen Âge, destiné à l'origine à protéger des invasions barbaresques, habité par le seigneur local et désormais en ruine) sur la tête du célèbre lion (qui constitue sa crinière).
Mais où en est la procédure d'expropriation ?
Ces deux fameux édifices sont situés sur deux parcelles de deux hectares qui appartiennent à une société privée italienne, qui les a acquis à la fin des années cinquante. Depuis longtemps, des pierres chutent et l'espace se dégrade, ce qui représente une certaine dangerosité pour les visiteurs. Un environnement en péril qui requiert une intervention rapide.
Les deux parcelles privées, sur lesquelles sont situés la tour génoise et un fortin en ruine, devaient faire l'objet d'une procédure d'expropriation du Conservatoire du littoral en 2016. Une mesure indispensable pour pouvoir débuter une potentielle restauration.
Six ans plus tard, la procédure a-t-elle été lancée ? Contacté par nos soins à deux reprises au mois de septembre, le Conservatoire n'a pas donné suite. Une situation ambiguë qui interpelle. "Nous avons délibéré en 2016 en conseil municipal et donné notre accord en ce sens", indique pour sa part le maire de Sartène, Paul Quilichini.
"Qu'est-ce qu'ils attendent, qu'elle soit par terre ? Ils se réveilleront quand tout sera écroulé", déplore un habitant de Pianottoli-Caldarello. "Roccapina, j'y vais depuis tout petit. On a toujours connu et fréquenté ce site. Aujourd'hui, ce sont mes enfants qui l'apprécient beaucoup. Il s'agit véritablement du symbole du tournant de l'Extrême-Sud. Si la tour s'effondre, c'est un pan du patrimoine qui s'en va."
Un site qui fait partie du patrimoine matériel et immatériel puisque la chanson traditionnelle U liò di Roccapina évoque entre autres, avec humour, le départ au régiment et un rocher en forme de lion.
Très inquiet, cet habitant de Pianottoli-Caldarello a eu l'occasion dernièrement d'évoquer la situation avec une élue de l'Assemblée de Corse. "En tant que simple citoyen, j'ai décidé de me mobiliser. Elle n'était pas vraiment au courant du sujet. Mais m'a dit que la CdC allait s'y pencher."
Le processus de dégradation est en marche
À Roccapina, la sirène d'alarme retentit depuis un moment déjà. Les pierres continuent inexorablement à tomber et la tour est littéralement éventrée en son centre. "Ce trou béant ne va cesser de s'agrandir. Il y a urgence !", s'exclame-t-il.
In situ, la crinière du lion ne ressemble plus à grand-chose depuis longtemps.
Au loin, depuis l'aire de stationnement aux abords de la RT 40, le paysage offert par dame nature continue à donner le change, mais jusqu'à quand ?
Une association de défense de Roccapina avait vu le jour il y a une trentaine d'années. Mise en sommeil, vu l'état de détérioration du site, elle pourrait être réactivée. En 1730, la Corse comptait 120 tours génoises. Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une soixantaine.
Par: Ange-François Istria
Publié le: 12 octobre 2022
Dans: Corse Matin / Patrimoine
Une renaissance qui s'annonce compliquée. Comme relaté dans notre édition du 29 septembre, la tour génoise de Roccapina est presque à l'état de ruine. Après plusieurs décennies d'abandon, un trou béant s'est formé en son centre.
En Corse, le conservatoire du littoral protège 21 000 hectares répartis sur 73 sites (sur 63 communes). Depuis plus de 40 ans, il sanctuarise les trésors du littoral en poursuivant les acquisitions de terrains. Un travail de longue haleine, parfois rendu complexe par de longues procédures.
Au mitan des années 2010, le Conservatoire du littoral se penche au chevet de la tour et du fortin qui couronne la tête du lion de Roccapina, deux édifices très dégradés, situés sur la commune de Sartène. Une procédure d'expropriation devait être lancée. Depuis, plus de nouvelles. Le Conservatoire donne enfin des explications.
La négociation à l'amiable privilégiée
"Conformément au code de l'environnement, nous avons saisi la commune pour avis une première fois le 29 février 2012. Celle-ci a émis un avis favorable par délibération du 18 mars 2016. Le Conseil d'administration du Conservatoire a ensuite décidé d'engager la procédure d'expropriation par délibération du 30 juin 2016", indique Michel Muracciole, délégué de rivages Corse, qui suit personnellement le dossier depuis longtemps.
L'expropriation, une procédure exceptionnelle d'atteinte au droit de propriété qui ne forme pas le quotidien des missions du Conservatoire du littoral. Elle donne en outre aux citoyens des possibilités de recours. "Nous avons malgré tout privilégié la négociation à l'amiable avec le représentant de la société concernée, la société Bubika domiciliée en Italie. Après plusieurs échanges, nous avons formulé une dernière offre fin 2019".
Une procédure de Déclaration d'utilité publique
Pendant près de quatre ans en effet, cette société a laissé croire au Conservatoire qu'elle allait vendre, avant de se rétracter.
Durant l'année 2020, le Conservatoire tente en vain de relancer les discussions avec celle-ci. Aussi, devant le silence du propriétaire, il établit le dossier de Déclaration d'utilité publique (DUP) qui a été déposé à la préfecture de Corse-du-Sud le 10 août 2021 (qui en a accusé réception le 13 septembre 2021). "Le commissaire enquêteur a été nommé le 17 septembre 2021 et l'enquête publique s'est déroulée du 26 novembre 2021 au 13 décembre 2021 en application de l'arrêté du 25 octobre 2021 d'ouverture des deux enquêtes publiques conjointes (enquête préalable à la DUP et enquête parcellaire). Le rapport du commissaire enquêteur a été achevé le 15 janvier 2021 et transmis au Conservatoire par courrier du 10 février 2022", détaille Michel Muracciole.
Le projet d'acquisition foncière par le Conservatoire du littoral de deux parcelles (50 ha) d'emprise de la crête rocheuse dominée par le Lion et la tour génoise du site classé de Roccapina, a été déclaré d'utilité publique par arrêté préfectoral en date du 18 mars 2022. Il n'y a pas eu appel de la DUP du préfet.
Acheter un édifice historique
"Nous restons dans l'attente de l'ordonnance du juge de l'expropriation qui rendra le Conservatoire propriétaire de fait dans l'attente du règlement du prix qui sera proposé. En l'absence d'accord du propriétaire, le juge de l'expropriation sera saisi pour une fixation judiciaire du prix".
Bientôt peut-être, se dessinera un alignement de toutes les planètes dans la constellation du Lion de Roccapina.
Une fois pleinement propriétaire de la tour et du Lion, le Conservatoire prévoit d'engager les études nécessaires en vue de la sauvegarde de ce patrimoine, en lien avec les services de la conservation des monuments historiques et l'architecte des bâtiments de France, puis les travaux qui en découleront.