Manu Théron a découvert le chant traditionnel dans le Mezzogiorno, puis en Bulgarie, et en a rapatrié l’idée à Marseille.
Sa pratique pouvait permettre une réappropriation de leurs repères culturels aux Provençaux, spécialement aux Marseillais dont l’histoire populaire est généralement évacuée par les institutions.
C’est pour cela que l'artiste crée en 2001 Lo Cò:r de la Plana après Gacha Empega.
A Marseille, il est connu comme le loup blanc. De Gacha Empega au Còr de la Plana en passant par Chin Na Na Poun, Polyphonic System, Madalena, Ve Zou Via ou en menant de nombreux ateliers, Manu Théron continue son immersion au cœur des répertoires des pays d’Oc. En trio avec Grégory Dargent et Youssef Hbeish au sein de Sirventés, il revisite les poésies contestataires des troubadours. On a donc profité de la sortie de leur disque.
« Il ne faut pas se poser la question des origines, mais celle des itinéraires, et des passages. Comment passe-t-on d’une époque à l’autre ? D’une géographie, d’une région ou d’un imaginaire à l’autre ? C’est comme ça que les musiques fonctionnent et se transmettent. » D’autant que si l’on se prête au jeu des origines, il est aujourd’hui encore difficile d’évoquer celle des troubadours, les fameux poètes de l’amour courtois (sorte d’élévation quasi mystique de l’être par l’amour), dont les vers en langue d’Oc ont massivement influencé l’ensemble du bassin européen pendant plus de trois siècles. Incontournables, d’autant plus que leur œuvre demeure, à ce jour, le premier témoignage en Europe de poésie en langue vernaculaire. « Si tu ne t’intéresses pas à eux, c’est que tu ne t’intéresses pas à la poésie. Tous les poètes s’y sont penchés. Et si on les évoque trop peu dans les manuels d’histoire français, c’est juste dû à la névrose que ce pays entretien envers les langues et les cultures qui le composent, c’est tout. Mais si tu regardes en Italie ou en Espagne, ils sont partout. »
Quoi qu’il en soit, plusieurs thèses se rejoignent pour dire que les troubadours vivaient dans une société en relation permanente avec les royaumes arabes d’Espagne, « où la poésie amoureuse, courtoise était développée depuis le huitième siècle. » Comme pour les recouper, au sein de Sirventés, c’est l’évidence : l’Orient est là, à portée de main, tant dans le chant que dans l’omniprésence du oud de Grégory Dargent (dans une approche des musiques orientales à la fois populaire et savante) et dans les percussions de Youssef Hbeish (Palestinien vivant en Israël, qui n’a pas fait le choix entre musique et philosophie). « A première vue, on pourrait voir quelque chose de médiéval, mais en fait c’est du rock’n’roll », précise d’un ton amusé Manu dans une interview pour le label producteur Accords Croisés. Du rock’n’roll qui ne manque pas de rendre un hommage tout particulier à l’oralité et à ses modes de transmission : « Un bon troubadour connaissait en moyenne entre 300 et 500 chansons. Aujourd’hui, un être humain en connaît à peu près une trentaine, et un chanteur aux alentours de 200... »
Evidemment, une culture, ça prend du temps. Manu en a bien conscience, ça fait un moment qu’il planche sur le sujet, mais jamais l’envie ne s’était ressentie aussi forte de creuser le sillon, faisant de lui un véritable spécialiste en la matière. Comme une corde de plus à l’arc d’un multilinguiste avide de connaissances. Car Manu chante d’abord en occitan. Ce n’est ni un secret, ni vraiment non plus le fruit du hasard. Si l’on ne parle aucune langue minoritaire à la maison, et si ses parents ne sont pas originaires de Provence, c’est après avoir résidé aux quatre coins de l’espace européen qu’il s’est pris de passion pour le fait linguistique. Particulièrement touché par la cohésion culturelle et le bilinguisme encore très pratiqué dans les régions italiennes, il décide de retrouver ce même rapport à l’altérité où il vit désormais, à Marseille. « Liberté, fantaisie, création, inventivité, voilà ce qui fait la vie d’une langue. Et chaque fois que l’on en apprend une, on s’immerge dans une culture. C’est donc pour moi très important, dans mon développement personnel, qui s’appuie sur une certaine idée de la citoyenneté et de la connaissance de son milieu, de connaître la langue qui, pendant mille ans, fût celle de ce peuple et a servi à désigner chaque chose de sa vie et de son environnement. Ce territoire est imprégné par cette langue, et pour connaître ce territoire, il faut connaître cette langue. »
Mais ce qui concourt d’autant plus à faire de Manu un personnage emblématique, c’est cette propension à infiltrer et transcender les milieux pour aller de l’avant. Ainsi, on peut aussi bien le croiser au Bar de la Plaine qu’à l’Alhambra à Paris, en tournée au Japon ou dans une formule plus intimiste à l’Ostau dau País Marselhés. « Tout le monde a besoin de tout le monde. Il faut des gens qui s’intéressent à la recherche, d’autres à la fonctionnalité, d’autres à la vulgarisation et d’autres, au contraire, à l’élitisme... » De toutes les situations, de tous les contextes, Manu Théron fait de la musique sa vie. Comme une nouvelle forme d’amour courtois, ce « sentiment qui révèle l’être humain. »
Jordan Saïsset
Source : Ventilo
Le sirventès, c’est le genre roi des troubadours, le répertoire de ceux qui “ont la rougne”, comme dit Manu Théron, “la colère, quoi !”. Une sorte de “protest song” avant l’heure, donc, avec laquelle les artistes occitans de l’époque se permettaient d’apostropher les grands de leur monde et de régler – subtilement – leurs comptes avec l’église, la royauté ou les autres totalitarismes du moment.
Manu Théron, fondateur du Còr de la Plana, travaille sur ce répertoire depuis une paire d’années. Dans les partitions du XIe au XIIIe siècles, il a pioché quelques chants qu’il a adaptés. Présent dès les premiers balbutiements du Trobar (la poésie des troubadours), le sirventès est de style contestataire : il décrit sans ménagement les violences de son siècle, la stupidité des puissants et la fugacité des sentiments humains. Au cliché réduisant le troubadour à un amant éploré réfugié dans sa tour d’ivoire, le Sirventés oppose l’image d’un poète-musicien qui brocarde les princes, moque l’Eglise, pris avec ses contemporains dans les tourments et la guerre.
Les trois musiciens ont choisi de respecter, en les développant ou en s’en inspirant, les mélodies originales, consignées à la fin du XIIIème siècles par les derniers troubadours. Ils mettent à profit leurs expériences respectives, accumulées lors de rapprochements - utopiques ou avérés - entre les musiques orientales et occidentales, populaires et savantes, anciennes et contemporaines, pour explorer toutes les potentialités de la monodie occitane médiévale. Coutumiers de la digression et de l’improvisation, ils proposent aussi une réponse courtoise, immodérée et surtout inattendue à ceux qui savent, comme nos troubadours, ce que la musique et la poésie peuvent pour atténuer l’absurdité du monde.
Manu Théron: chant
Grégory Dargent: oud, arrangements
Youssef Hbeish: percussions
Si ce disque ne recherche aucunement l’authenticité, s’il est à cheval entre des documents d’époque et des interprétations contemporaines, des compositions de Manu Théron et d’autres de l’ère médiévale, il n’en demeure pas moins littéralement imprégné d’un précieux savoir. Historique d’abord (Théron est un véritable spécialiste en la matière), culturel ensuite (il est plus qu’impliqué depuis vingt ans dans le renouveau des musiques des pays d’Oc). De fait, ce disque, véritablement attribué à un trio (Hbeish/Dargent/Théron) et non à une seule et même personne, présente plusieurs niveaux de lectures : la forme impulsive et alerte en fait quelque chose de très entraînant, dès la première écoute (du « rock’n’roll » en somme), où les textes ne lésinent pas en références. Ajoutez à cela les univers de chacun des musiciens qui, s’ils ne forment bien qu’un à la sortie, ont donc été considérés jusqu’à la mise en boîte comme des entités distinctes. On y croise aussi bien les apports extrême-orientaux que persans et bien sûr mozarabes. Un précieux savoir-faire qui concourt à faire de ce disque une aventure essentielle et un objet bien pensé, agrémenté d’un livret explicatif permettant aussi bien aux néophytes qu’aux nerds du Trobar de se frayer un chemin dans l’histoire éminemment complexe et fascinante des premiers poètes de la langue d’Oc.
Jordan Saïsset
23/01/2015
Héraut du renouveau occitan, chanteur de Lo Còr de la Plana, le musicien Manu Théron plonge aujourd’hui, avec bonheur et érudition, dans le répertoire des troubadours, et plus particulièrement dans leurs poèmes satiriques et contestataires : les Sirventés. Avec Grégory Dargent au oud, et Youssef Hbeisch aux percussions, il relie, en musique, selon leurs propres interprétations et sensibilités, ce patrimoine. Comme les poèmes des troubadours, sa démarche et son disque, loin d’être passéistes, illuminent surtout notre présent. Rencontre.
RFI Musique : D’où vient votre intérêt pour l’art poétique des troubadours (XIe -XIVe siècle) ?
Manu Théron : Il se connecte à ma passion pour les cultures occitanes. Des troubadours, il nous reste un patrimoine écrit, riche et complexe : des textes précieux, que je fréquente assidûment. Les troubadours émergèrent lors d’une période charnière du Moyen Âge, à la lisière entre mondes chrétien et musulman. L’une des hypothèses de l’avènement du "Trobar" ? De possibles rencontres entre artistes/poètes des princes occitans et ceux des seigneurs d’Al-Andalus. Cette histoire me fascine !
Selon votre livret, le "Trobar" dépasse le seul cadre de "l’art poétique", pour s’assimiler à une philosophie, une mentalité…
Bien sûr ! Le "trobar", cet art de cour très élaboré sur le plan littéraire, développe un niveau exigent de codification pour permettre une amélioration de l’esprit humain et du cœur. Ses multiples formes – la Canso et sa courtoisie ; l’Alba, dialogue amoureux chanté à l’Aube ; le Joc Partit, joute poétique, etc. – concourent, suivant un cheminement précis, à l’élévation de l’âme. Ainsi, le fin’amor ("l’amour courtois") crée une philosophie inédite de l’amour : par ce sentiment et ses épreuves, le chevalier parfait ses qualités. Pour la première fois dans l’histoire européenne, la femme ne se conçoit pas comme simple "procréatrice" : elle permet à l’homme d’atteindre l’excellence, et la beauté. L’amour charnel, voire dans certains cas l’amour adultère, participe de cet accomplissement spirituel.
Parmi les formes de "Trobar", vous axez votre disque principalement sur son expression la plus contestataire : le satirique Sirventés. Pourquoi ?
La langue devient parfois l’instrument ou le refuge de "résistants", d’hommes debout… Je citerais ainsi, au sujet de l’Occitan, trois moments historiques : lors de la Grève des viticulteurs (1906-1907), les ouvriers résiniers écrivent leurs pancartes en occitan ; dès 1945, le regain de cette langue (création de l’Institut d’Etudes Occitanes, etc.) tient à la ferveur d’excellents écrivains, héros de la résistance : Tristan Tzara, Ismaël Girard, Jean Cassou, René Nelli, Max Rouquette, etc. Enfin, dans les années 1970, dans le Larzac, l’occitan devient la langue de la première prise de conscience écologique, contre l’absurdité de l’hégémonie économique sur l’environnement. Ce retour vers l’occitan ne manifeste nul conformisme ni repli identitaire : il signe au contraire le moment d’une contestation, d’une évolution. Je voulais retrouver la source de ces écrits politiques, nichés dans les Sirventés. Dès l’origine, ces textes s’opposent ainsi à toute forme de hiérarchies étatiques, religieuses… Des troubadours, tels Peire Cardenal, apostrophent le créateur, argumentent avec Dieu, court-circuitant les autorités religieuses. J’ai choisi pour ce disque des textes admirablement écrits, nobles, raffinés : des bijoux de poésie.
Sur ces poèmes, restait-il des musiques, des partitions ?
Sur les 3000 poèmes conservés, plus de 150 possèdent encore leur musique : un des premiers vestiges non religieux, de partitions "neumatiques" (l’écriture ancienne). Elles se composent de lignes mélodiques, bâties sur des échelles grégoriennes. J’ai conservé quatre mélodies originales, et en ai créé quatre sur les mêmes modes.
Comment avez-vous composé et arrangé la musique, avec Grégory Dargent (oud) et Youssef Hbeisch (percussions) ?
Il existe un petit corpus iconographique sur les instruments joués à l’époque, les circonstances de jeu, etc. Pour autant, je ne souhaitais pas m’atteler à une reconstitution historique "fidèle". Je voulais au contraire m’approprier cette poétique de façon personnelle. Depuis trente ans, les musiques occidentales, le jazz etc. cherchent des connexions, se mixent avec des esthétiques orientales, arabes, etc. À leur époque, déjà, les troubadours établissaient cette passerelle entre mondes chrétien et musulman. Je désirais éclairer ces liens. Avec l’Hijâz’Car, son groupe, Grégory Dargent travaille sur ces points de jonction. Tout comme le Palestinien Youssef Hbeisch, rencontré en Israël. Les percussions ancrent la métrique poétique ; l’oud ramène à la modalité, et à ce que la musique européenne, écrite, a évacué depuis la fin de l’âge baroque : l’improvisation.
Comment avez-vous travaillé l’oralité des textes, rendu leur violence, leur colère ?
Il fallait accepter leur fougue intrinsèque. Pour les saisir, j’ai "dit" ces textes le plus possible, les ai fait résonner : plus de dix ans que je les "mastègue". La mise en musique arrive alors de façon naturelle, suivant l’inclination des textes. J’aime les formats logorrhéiques, les diatribes : quand les flots de parole correspondent à un malaise de l’humain. De ces longs discours, je veux transmettre les côtés enivrants…
En quoi ces créations des troubadours nous parlent-elles aujourd’hui ?
Les références à l’adultère, comme dans la Canso D’Alba S’Anc Fui Bèla Ni Prezada ou encore la poésie nihiliste et joliment absurde Farai un vers de dreitnein, s’affranchissent des conventions sociales, des préceptes religieux. Les Sirventés critiquent la hiérarchie spirituelle, la politisation des religions. Le "Trobar" se situe ainsi dans une autre forme de spiritualité : l’accès à la beauté, en chacun de nous, libéré de l’imposition de préceptes ou de codes de vie. Par ailleurs, les rapports riches qu’entretiennent les troubadours avec le monde musulman, présents dans leurs créations, rendent caduques les discours sur la soi-disant nature "judéo-chrétienne" de l’Europe qu’essaie de définir la droite Française, ou sur la nature uniquement musulmane du peuple arabe. Loin d’une période "obscurantiste", ou d’une réduction à son propre imaginaire, le Moyen Âge se lit ici à la lumière de ces artistes : leurs créations nous renvoient au bégaiement historique que nous vivons aujourd’hui, et peut constituer un rempart à nos bêtises, à nos ignorances.
Manu Théron, Youssef Hbeisch et Grégory Dargent Sirventés (Accords Croisés/Harmonia Mundi) - 2015
Page Facebook de Manu Théron
En concert le 5 février à l'Alhambra à Paris dans le cadre du Festival Au fil des Voix
Par Anne-Laure Lemancel pour RFIMusique : http://www.rfimusique.com/actu-musique/musiques-monde
Manu Théron: Chant, tambour sur cadre, direction artistique
Guillaume Maupin: Chant
Damien Toumi: Chant, tambours sur cadre
Thomas Georget: Chant
Geoffroy Dudouit: Chant
"Les Pas des Géants" ("dins lei piadas dei gigants") est un concert de musique vocale inspiré par les musiques populaires de Méditerranée et dans lesquelles la poésie occitane contemporaine de Roland Pécout occupe une place majeure. Son œuvre est caractérisée par ses liens avec la Beat Generation et les mondes poétiques des années 60 et 70. Sont ainsi conviés l’univers de poètes tels que Pasolini, Ginsberg et, plus loin encore dans le passé Rimbaud et même Hafez. C’est l’attachement aux cultures populaires qui irrigue cette exploration, et Pécoud s’en fait le grand condensateur, celui qui témoigne d’un certain « état du monde » de la force d’univers toujours prêts à naître et à renaître.
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